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citoyen libanais
12 février 2002

Le patriarche, les patriarches et les chrétiens

La lutte politique au Liban oppose actuellement les deux communautés chiite et sunnite. Le TSL, les armes du Hezbollah, la concurrence saoudo-iranienne, sont les lignes de fractures qui les séparent et tiennent le Liban en haleine. Les chrétiens sont partie prenante de ce débat, mais il est clair qu’ils n’y tiennent pas le premier rôle. Pour les plus pessimistes, ils ne sont que les faire-valoir des deux grandes confessions musulmanes. La minoration du rôle chrétien, autant que le monopole de l’action détenu par les chiites et les sunnites, sont une anomalie. Pour le deuxième énoncé, quand une ou deux communautés s’octroient le champ politique au détriment des autres, le Liban se porte mal.

Je traiterai ici du reflux relatif des chrétiens. Le Liban dans ses frontières actuelles est né de la volonté certes des pays mandataires, mais aussi du désir des chrétiens. Rappelons-le, les musulmans avaient d’abord choisi le rattachement à la Syrie du roi Fayçal. Ce n’est pas cela seulement qui particularise les chrétiens, car les musulmans se sont, en définitive, ralliés à l’idée d’un Liban indépendant. Dans le brouillard de la naissance des nations, il ne s’agit pas d’une course contre la montre. Ce qui distingue aussi les chrétiens, est leur souhait d’étendre les limites géographiques du Liban de la Mutasarrifiya, à des régions à majorité musulmane, tels le Akkar, la Békaa-Nord et le Sud, où ils sont présents, mais en nombre réduit. Les chrétiens sont devenus ainsi, par leur présence sur l’ensemble du territoire – ce qui n’est pas le cas des autres communautés –, l’épine dorsale du Liban. Les patriarches libanais, en exigeant ces territoires, ont voulu faire de leur communauté le liant de la nation, de ses confessions. Ils en ont fait le point de fixation et de dialogue autant des chiites, des sunnites que des druzes. Des siècles d’antipathie les ont éloignés, opposés, fait combattre, et qui ressurgit aujourd’hui. Cette vocation de la communauté chrétienne, ouverte sur l’Occident, s’est renforcée par une autre particularité: son rôle pionnier dans l’élaboration du nationalisme arabe. Je citerais Ibrahim el-Yazigi, Farès el-Chidiac, Boutros el-Boustany, Amine el-Rihani, Georges Antonios et tant d’autres. Ce sont eux, chrétiens libanais, qui ont forgé, avec des musulmans, l’identité nationale arabe contre le califat ottoman. Ce sont eux aussi, avec leurs multiples talents, qui ont défendu la cause arabe. Feyrouz, Ziad el-Rahbani, Marcel Khalifeh, Georges Haoui, Samir Kassir, Nakhlé Moutran, Raymond Eddé, le patriarche Meouchy, le père Youakim Moubarak et j’en passe, y ont participé. S’ils se sont battus entre eux, au risque de détruire le Liban, ils se sont également battus pour sauver le Liban. Mais ces chrétiens qui ont rassemblé les Libanais, et lié le Liban aux deux mondes arabe et occidental, sont les chrétiens de tout Liban, ceux des régions centrales monochromes autant que ceux des régions périphériques. Ainsi l’ont voulu les premiers patriarches de l’indépendance, et c’est ainsi que l’histoire du Liban s’est faite depuis 1920.

C’est pour cela que l’on peut s’étonner que le patriarche Sfeir, lors de ses derniers déplacements, ait ignoré les chrétiens de Baalbeck et du Hermel, qu’il ne se soit jamais rendu ni à Marjeyoun, ni à Aïn Ebel, ni à Jezzine, ni à Machghara. J’ai rencontré ces chrétiens dans leurs villages et ils ne comprennent pas le peu de cas qu’on en fait. Ignorer les chrétiens de ces régions, si peu nombreux soient-ils, c’est ignorer l’héritage des patriarches. Celui d’un Liban pluriconfessionnel et élément essentiel de l’intégration du monde arabe dans la modernité. Cette modernité technique, certes, mais surtout politique, qui se déploie sous nos yeux, depuis trois mois, dans le monde arabe qu’on croyait définitivement corseté par l’obscurantisme islamique et la dictature des affairistes. Que le nouveau patriarche néglige les chrétiens des régions périphériques, ce sera le signe de l’abandon de la mission originelle des chrétiens du Liban, ce sera les réduire à des querelles de pouvoir sur des fragments de territoires, ce sera renoncer à prétendre circonscrire la grande «fitna» qui engloutirait le Liban qu’ils ont créé.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

11/02/2011

 

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