Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
citoyen libanais
20 octobre 2007

L’ère des milices au Liban est-elle révolue ?

Dans ce texte, je tenterai d’établir comment et pourquoi le reflux du phénomène milicien au détriment ou au profit de l’armée s’est déroulé depuis l’indépendance à nos jours. Dans un état-nation moderne, souverain, les milices apparaissent au moment où les citoyens ont le sentiment que l’Etat n’est plus capable de les défendre contre une menace extérieure ou intérieure. Ce sentiment est décuplé quand le niveau d’appartenance à cet Etat est faible. Cette définition s’applique au Liban. Notre pays est une nation jeune. Elle fut constituée à partir d’un noyau dur qui connut divers formes d’autonomie au cours de son histoire : la montagne du Liban. Le Liban ne connut ses frontières actuelles qu’en 1920, quand on y adjoignit d’un trait de crayon, des régions et des populations qui souvent ne demandaient rien ou autre chose. Depuis les tiraillements entre les diverses communautés à propos du système politique et de la politique étrangère, n’ont eu de cesse de miner le sentiment d’appartenance au Liban. Le PSNS, formé de chrétiens et de musulmans, tenta par deux fois (1949 et 1961) de renverser l’édifice au nom du Croissant Fertile. En 1961, le PSNS échoua car l’armée qu’il pensait, à tort, avoir noyauté, resta fidèle au gouvernement. En 1958, le Nassérisme triomphant, comptait parmi ses partisans beaucoup de chrétiens et le patriarche Meouchy. Celui-ci s’opposé au président Chamoun qui tournait le dos à Nasser pour s’allier à ses ennemis en adhérant à la doctrine Eisenhower. Les prétentions du Président de renouveler son mandat, mis le feu aux poudres et le Liban s’embrasa. Des milices, marquées par leurs identités communautaires, malgré la présence de chrétiens dans le camp opposé au Président Chamoun, s’emparèrent de la rue et la crise ne se dénoua que lorsque seule l’armée se chargea du maintien de l’ordre. En 1967, survient un événement majeur. Alors que les armées arabes s’étaient faites laminées par Tsahal, l’OLP réussit une opération spectaculaire, au-delà des frontières Israéliennes. Ce succès de la guérilla, acheva de discréditer les armées nationales et fit des émules. Les organisations palestiniennes se multiplièrent. Quand elles se replièrent sur le Liban, chassées de Jordanie par le roi Hussein qui s’opposa violemment à leurs tentatives de contrôler le Royaume Hachémite, elles recrutèrent des libanais à tour de bras. Le caractère communautaire de cet enrôlement pris des contours très net. Quoique beaucoup de chrétiens appuyés la cause palestinienne, ils furent peu nombreux à s’enrôler dans les rangs des organisations de la résistance. De l’autre coté du prisme des chrétiens commencèrent à s’entraîner et à s’armer, craignant une réédition du scénario Jordanien au Liban. En 1973, face à l’arrogance de l’OLP qui la défiait sans cesse malgré les accords du Caire, l’armée libanaise tenta de mâter les combattants palestiniens. Alors que l’invasion des camps de Beyrouth par l’armée allait bon train, la classe politique lui brisa les reins en l’obligeant à stopper net son offensive. Les chrétiens eurent le sentiment que leurs concitoyens musulmans, utilisaient les palestiniens pour obtenir une révision du pacte de 1943 et les musulmans accusaient les chrétiens de vouloir liquider la résistance palestinienne. Ce fut le prélude à un emballement de l’armement des milices de tout bord, qui, après quelques répétitions, s’affrontèrent à partir de 1975, pendant quinze ans.

En amont de ces raisons précitées, qui ont poussé les libanais à faire confiance à leurs milices respectives plus qu’a l’armée de leurs pays, se trouvent des raisons historiques, particulières à chacune des deux confessions. En islam, sous l’empire Abbaside (Sunnite) à son déclin et sous la dynastie Fatimide  (Chiite) en Egypte, l’aristocratie guerrière de l’empire est progressivement remplacée par des milices formées  d’esclaves-mercenaires tel les Mamelouks turcs, les Kutamas et les Sanhajas berbères, les Daylamites iraniens et les Banis Hilal bédouins de la péninsule arabe. Cette pratique de confier la défense du Califat, se répandit à tel point que certaines de ces milices formèrent elles-mêmes des dynasties, la plus célèbre étant celle des Mamelouks. L’universalisme de l’islam y est pour beaucoup dans ce phénomène. Tout musulman de naissance ou convertis peut prétendre à prendre les armes pour protéger la Umma islamique qui ne connaît de frontières. Plus proche de nous, le désintérêt des musulmans pour la carrière militaire à l’indépendance du Liban (1) et l’exemple des jihadistes de toutes nationalités qui se battent en Afghanistan et en Irak. Le Hezbollah lui-même ne se définit-il pas comme « La révolution Islamique au Liban » ce qui souligne son extra-territorialité ? Pour les chrétiens la référence milicienne plonge ses racines dans l’histoire des Mardaites (Ou Marada en arabe) ces soldats chrétiens aux origines incertaines, alliés ou ennemis des Byzantins, occupèrent les hautes montagnes du Liban-Nord et protégèrent la communauté Maronite (2). Plus récent également, le moine-soldat des croisades au service de la chrétienneté n’est pas loin du modèle adopté par les milices chrétiennes vers la fin du conflit libanais.

Or, pour beaucoup de libanais, le retour des milices est synonyme de catastrophes. La première raison est que les Libanais sont conscients qu’en l’absence d’une armée nationale, les milices qui s’installent dans la durée, se transforment rapidement en force de répression des populations qu’elles sont censées défendre et finissent par se scinder en groupes rivaux qui se battent entre eux. Cette expérience n’est pas particulière au Liban. Je prends à témoin les cas Irakiens et Soudanais qui les deux, souffrent de ces dérives. En Irak, les milices chiites en plus de s’opposer aux milices sunnites, s’entretuent (le mouvement « Sadriste », contre « Le Conseil Supérieur De La Révolution Islamique en Irak », et contre « Hezb El Fadila ») Les sunnites, eux, qui s’opposent aux chiites et aux américains, se sont scindés en deux groupes, ceux qui continuent d’appuyer Al Qaida en Irak (« Hezb Dawlat Al Irak Al Islamia »), et ceux qui se battent contre elle (Sahwat Al Anbar). Au Soudan, les hordes des « Janjawid » des tribus arabes, ont fini par éclater en groupuscules qui s’entretuent, ainsi que leurs victimes, les tribus africaines. Deuxièmement, Machiavel dans « Histoires Florentines » et Ibn Khaldoun dans « Al Moukadima », disent que les victoires et les défaites obtenues par des mercenaires ne sont jamais définitives et ne sont pas, à quelques exceptions, fondatrices de périodes stables. Je ne qualifie pas les milices Libanaises de mercenaires, mais je relève comme même le parallèle entre les situations d’exceptions qui précèdent, accompagnent et suivent le règne des milices et des mercenaires, si ce n’est au moins, l’absence d’une armée forte, reconnue comme nationale et impartiale. Plus encore, si je n’accrédite pas personnellement la confusion entre milices et mercenaires, ne sont-elles pas perçues ainsi par leurs adversaires ? Les opposants au Hezbollah, ne désignent-ils pas ses combattants comme des mercenaires au service de L’Iran ? Les Forces Libanaises pendant la guerre, n’étaient elles pas considérées par leurs ennemis comme des mercenaires à la solde d’Israël ? En Irak, le Proconsul Paul Bremer, eut la brillante idée de dissoudre l’armée Irakienne. Celle des Etats-Unis, à court de moyen, fit appel à des « sociétés privées de sécurité » (140000 combattants !) euphémisme pour ne pas prononcer le mot dégradant de mercenaires. Quelles victoires éclatantes ont emporté ces supplétifs sur les insurgés Irakiens ?

Le vécu des Libanais et ce qu’ils constatent dans la région est-il suffisant, surtout pour les jeunes qui n’ont pas connu le règne des milices, pour les persuader de rééditer les exploits des années noires ? C’est ici qu’intervient un nouvel élément qui peut être déterminant. La victoire de l’armée sur les terroristes de Naher El Bared. Au commencement de la bataille des esprits chagrins pariaient sur la dislocation de l’armée. D’autres petits malins prétendirent que le camp était une ligne rouge à ne pas franchir. Non seulement l’armée tient bon, mais la seule ligne rouge fut le flot de sang qui coula des militaires lâchement assassinés le premier jour et qu’il fallait effacer à tout prix pour rendre justice aux soldats martyrisés. L’esprit de corps s’avéra plus fort que tous les clivages confessionnels et politiques. Plus les soldats tombés, plus leurs camardes se serraient les coudes. Un des principaux liants de la troupe, les officiers, moururent autant que leurs soldats. On vit des soldats blessés revenir sur le champ de bataille alors qu’ils tenaient à peine sur leurs jambes. Cette attitude corporative de la troupe n’est pas inédite. Une enquête menée par le psychanalyste anglais Henry Dicks, auprès de mille soldats allemands prisonniers des alliés à Cherbourg en 1944, démontra que seul 11% des soldats appartenaient au parti Nazi. Et pourtant l’armée allemande continua à se battre avec la même détermination jusqu’aux dernières semaines précédant la capitulation (3). Egalement, de sombres augures prétendirent que si un nouveau front venait à s’ouvrir ailleurs, l’armée s’écroulerait. Mais en politique il n’y a pas de si et un autre front ne s’est pas ouvert.

Si, il est encore des doutes sur la préférence des libanais pour une armée nationale au détriment des milices, il n’est qu’à voir, malgré les honteuses récupérations publicitaires des grands acteurs économiques, l’enthousiasme des libanais à l’égard de la troupe. Je voudrais à ce propos me référer à une enquête menée auprès des parents et des amis d’un soldat, habitant de Chiyah, parents et amis qui conclurent que leur fils est aujourd’hui « aussi populaire que Sayyed Hassan » (4) En définitif, un Etat ne se construit que si l’exclusivité de la coercition est accordée à l’armée, même en Iran les « Gardiens de la Révolution » et les « Basiji » relèvent de l’autorité du Guide, la plus haute autorité de la République.

Doute-t-on encore des capacités de l’armée ? Tiraillée entre son déploiement au sud, son maintien de l’ordre à Beyrouth, sa surveillance des frontières avec la Syrie, avec un armement désuet, elle s’est battue avec rage et succès contre des hommes surarmés, très bien entraînés, ne craignant pas la mort, dans les dédales tortueux d’un camp fortifié par des experts soviétiques quand l’OLP l’occupait encore. Pourtant, cette victoire nous fait courir un danger. Si la classe politique ne lui reconnaît pas de façon unanime et sans faux semblants (« La résistance sous l’égide de l’armée » et autres approximations) sa position unique dans le monopole de la coercition, et si elle continue d’ignorer le sacrifice des soldats, (je rappelle que pour chaque député assassiné un jour de grève fut décrété alors que la mort de 170 soldats ne fut même pas saluée par une minute de silence !) l’armée risque de s’autonomiser pour défendre ce privilège. Forte de l’appui populaire, elle peut prétendre à jouer un rôle qui n’est pas le sien. L’arrivée de son chef à la tête de l’Etat à la suite d’un coup de force ou comme recours à l’ambiance délétère du bazar politique, peut avoir des conséquences désastreuses sur la démocratie, tout aussi boiteuse quelle soit, au Liban. Je rappellerai que la première initiative du président Lahoud, élu à l’unanimité des députés et sous les vivats des libanais, fut d’instaurer un bureau de plaintes au palais de Babdaa, bureau qui court-circuitait toutes les institutions juridiques du pays, pratique pour le moins démagogique et autoritaire.

Aujourd’hui, le Liban est encore une fois à la veille d’une échéance cruciale. Si l’élection présidentielle ne devait pas avoir lieu, tout le processus politique risque de s’effondrer. Les institutions étatiques cesseraient de fonctionner normalement. Le sentiment d’appartenance et la confiance des citoyens dans leur Etat s’étioleraient de nouveau, comme je l’avais indiqué au début du texte. Toutes les fées diaboliques se penchent sur le nouveau-né, c’est à dire la deuxième république débarrassée de son régent Syrien. Les forces centripètes communautaires sont à l’œuvre et la classe politique incapable de proposer une issue à la crise. Reste l’armée. Sera-t-elle à même de rétablir, comme le fit l’armée turque à trois reprises, l’ordre constitutionnel. L’armée-a -t-elle la capacité structurelle de le faire, sans qu’elle ne cède elle-même aux sirènes du communautarisme ? Et si elle réussissait, saura- t-elle rendre le pouvoir aux civils ? Ce serait une première dans l’histoire des pays arabes. Est-ont en droit de l’espérer ? Après tout qui aurait jamais imaginé que plusieurs centaines de milliers de libanais, se retrouveraient sur une place publique, à plus d’une reprise, arborant le seul drapeau Libanais.

 

(1) Farid Khazen, « Tafakok awsal al dawla fi loubnan » Edition Dar El Nahar, page 329.

(2) Kamal Salibi, « Une Maison aux nombreuses demeures » Edition Naufal, page 95-7,132.  

(3) Henry Dicks « German Personality traits and National-Socialist ideology, in revue Human Relation III page 112.

(4) “Al Safir” du 01/08/07.

 

Amine Issa

L'Orient - Le Jour

20/10/2007

 

 

 

Commentaires
citoyen libanais
Newsletter
Archives