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citoyen libanais
24 juin 2008

Violence

La violence fonctionnelle. C’est ainsi que l’on pourrait nommer les accrochages armés, d’intensités variables, qui accompagnent les tractations pour la formation du nouveau gouvernement. Malgré les morts, les destructions et l’instauration d’une haine durable entre les deux camps, les commanditaires des accrochages ne réalisent pas (ou trop bien !) qu’apprentis sorciers, s’ils savent allumer des feux, ils ne peuvent toujours les éteindre.

Comment toute une génération qui n’a pas connu la guerre civile, se laisse t’elle entraîner dans ces combats ?

D’abord, en amont de l’éruption des violences, les partis politiques, relayés par leurs médias, ont incité leurs partisans à prendre les armes. L’adversaire fut tué politiquement avant de l’être physiquement par des épithètes infamantes, dont la plus dégradante était celle de traître. Abordé par un discours idéologique, discours de La Vérité, l’ennemi perd toute légitimité et sa destruction atteste de cette Vérité. Par son ignominie, cet ennemi est délesté graduellement de toute qualité humaine ce qui rend sa disparition, non seulement souhaitable, mais nécessaire, par souci de conservation de soi. Un premier passage à l’acte fut la transgression des coutumes. Depuis 1975 et dans le Liban de Taëf, manifestations et sit-in, interdits par le mandant syrien, n’étaient plus dans les mœurs politiques. Leur généralisation les deux années écoulées, fut un prélude à la contestation par les armes. Les frustrations dues à toute socialisation qui nécessairement induit des interdits, s’expriment alors, comme l’explique Freud et Nietzche, par des actes violents, encouragés donc en cela par le climat d’infraction à la norme en vigueur depuis plus de trente ans. Dans ce cas, le danger réside en l’attribution des ces actes violents, par leurs auteurs ou par la société, à des causes autres que les frustrations, qui elles sont inconscientes. En se trompant de cible, le traitement est inopérant et la violence persiste.

Ensuite ce qui peut être spécifique aux combattants du Hezbollah, est la glorification du martyr au service de la sauvegarde de la communauté. Plus généralement la Assabiya exacerbée à l’égard de sa communauté qui est agressée par une autre (commune aux chiites et aux sunnites), légitimise l’utilisation des armes. Enfin, l’affirmation de soi par le port des armes et le sentiment d’utilité comme guerrier, la révolte contre l’autorité parentale, et l’excitation pour l’aventure hors norme qu’est la guerre, sont aussi des stimulants pour l’engagement des jeunes dans les combats.

 

Voilà pour ce qui est des incitations à prendre les armes, quitte à y laisser sa vie. Mais qu'est-ce qui peut entraîner les combattants à refuser de les déposer, même si leurs chefs le leur ordonnent ?

 

D'abord, mourir en martyr au service d’une cause est souvent un acte particulier qui peut s’accomplir en dehors de toute décision hiérarchique.

De plus, quand les combats commencent, d’autres agents violents se manifestent. En premier lieu, des délinquants rongés par la culpabilité, peuvent provoquer des combats pour s’y distinguer et y mourir. Leur mort, à leur sens est un moyen de purification et de reconnaissance fut-elle post-mortem. Ils imaginent déjà, dans un rêve éveillé, leurs photos sur les murs avec la motion de martyr. Apparaissent aussi les laisser pour compte du circuit économique, de plus en plus nombreux dans une société où le travail est dénigré au profit du capital et qui, en plus de vouloir s’approprier des biens matériels, détruisent avec rage ce qu’ils ne peuvent posséder et n’hésite pas à tuer ceux qui le détient. Ils agissent le plus souvent en solitaire et en dehors des règles d’engagement que dictent les protagonistes, quitte à ré-embraser un front apaisé.  

La même désobéissance à l’arrêt des batailles peut être observée chez les combattants réguliers. Après un premier mort, le groupe auquel celui-ci appartenait se transforme en ce qu’Elias Canetti, appelle une « Meute funèbre ». Elle pleure le défunt et dans un moment de grandes émotions se transforme en une « Meute guerrière » qui doit le venger. « C’est le premier mort qui communique à tout le monde le sentiment d’être menacé » un sentiment qui ne peut être conjuré que par la vengeance « On ne serait surestimer l’importance de ce premier mort dans le déclenchement des guerres » (1). Désormais, on va tuer pour éprouver sa force. Face au danger, qui peut désormais survenir à tout moment, tout le monde ne peut survire et pour être ce survivant, on doit soit procréer, ce qui n’est pas possible dans l’urgence de la confrontation, soit tuer. L’expression arabe au moment des condoléances n’est pas anodine : vis et prend sa vie (celle du défunt).

Alors, pointe le risque d’autonomisation des groupes ou des individus armés, qui, prennent seul l’initiative d’engager les hostilités.

 

L’antagonisme qui oppose les Libanais, ne peut être résolu par des embrassades, et même l’accord signé dans un hôtel des mille et une nuits dans la péninsule arabique n’est pas le garant d’une aube lisse et sans peur. Le traitement du mal est un long processus, mais la maison brûle. Comme je viens de le démontrer, même la volonté, si elle existe, des adversaires de renoncer à la violence, n’est pas une garantie suffisante pour rentrer les fusils. Quitte à me répéter, seule une troisième force, c'est-à-dire l’armée doit, sans compromis et brutalement, s’opposer aux contrevenants à l’ordre public. 

 

(1) Elias Canetti, Masse et puissance, Gallimard, Page 147.

Amine Issa

L'Orient - Le Jour

24/06/2008

 

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