Perspectives au Moyen-Orient
Cinq ans après l’invasion de l’Irak, le Moyen-Orient connaît une succession d’événements et de tractations diplomatiques. Leurs conséquences peuvent modifier le visage de toute la région. Mais pourquoi cette soudaine frénésie ? Quelles en sont les manifestations ? Et à partir des constantes de chaque pays, quelles peuvent être les perspectives ?
Pour répondre à la première question, l’on peut sans risque avancer que tous les acteurs majeurs sont dans une impasse. D’abord, les États-Unis sont à bout de souffle en Irak. Selon le Congrès américain, la guerre coûte six milliards de dollars par mois. Joseph Sitgliz, prix Nobel d’économie en 2001, dans un ouvrage publié cette année, avance même le chiffre de trois mille milliards de dollars depuis le début du conflit. Ce gouffre sans fond, correspond à un moment où l’économie américaine malmenée par la crise des Subprimes, connaît une perte d’emplois depuis 6 mois consécutifs (1) et une baisse de la consommation des ménages (2) (qui constitue 70% de l’économie américaine). En Irak, la sécurité depuis un an, c’est certes améliorée. En Mars, Basra est pacifiée, Sader City en Avril, Mossoul en Mai et Missan ville frontalière de l’Iran en juin. Diwania devient en juin la dixième province sur dix-huit a passé sous le contrôle exclusif de l’armée irakienne. Cependant, l’armée du Mahdi n’est hors jeu que par la volonté de son chef. Les Cheikhs de la « Sahwa » sunnite, opposée à Al-Qaida sont régulièrement assassinés et se plaignent autant de l’armée américaine qui ne les arme pas, que du gouvernement Irakien qui refuse d’enrôler plus de vingt mille combattants dans l’armée et la police, sur les quatre-vingt mille promis. Plus grave encore, les attentats suicides ont repris à Dayali et Bakouba depuis le mois de juin. Il est vrai également que les sunnites veulent mettre fin au boycott du gouvernement qui dure depuis plus d’un an, mais le conflit entre les composantes irakiennes sur le partage des revenus pétroliers et l’autonomie des provinces reste entier. Enfin, les Irakiens et les Américains ne sont toujours pas d’accord sur l’avenir des troupes américaines à l’expiration du mandat de l’ONU donné à celles-ci et qui expire le 31 décembre de cette année.
En Iran, malgré le discours officiel triomphant, le pouvoir fait face à une série de déconvenues. Politiquement, les déclarations du président Ahmadinejad où il prétend être guidé par le Mahdi, indisposent la hiérarchie religieuse. Les démissions de plusieurs ministres fragilisent son gouvernement et le président est en conflit ouvert avec le directeur de la banque centrale sur la politique économique. Sur ce plan, malgré l’accord gazier entre l’Iran et la Suisse et qui ne prendra effet qu’en 2010 pour des raisons techniques, les retombées de l’embargo sur l’Iran ne sont pas sans effet. L’Iran perd chaque semaine mille emplois (3). En Mars, 80 dirigeants d’usines, dans une lettre adressée au président, menaçaient de fermer leurs portes, si le gouvernement n’honorait pas ses dettes (4). L’Iran, troisième producteur mondial de pétrole importe 40% de son essence à cause de l’incapacité et de la vétusté de ses raffineries et sa balance commerciale de produits agricoles reste déficitaire (5). L’inflation galopante a poussé le gouvernement à rationner l’essence subventionnée et le président s’en est pris au Bazar en l’accusant de provoquer la hausse des prix. Cette critique prend toute son importance quand on connaît le rôle charnière qu’a joué le Bazar auprès de l’Imam Khomeiny lors de la révolution et qui reste un des principaux appui du régime. Enfin, sur le plan sécuritaire, l’année 2008 a connu la multiplication des incidents meurtriers dans la province arabe du Khouzestan, sur fond de revendications séparatistes.
La Syrie, ostracisée par l’Occident et le monde arabe, connaît une crise sociale et économique sans précédent. Malgré les investissements arabes et surtout ceux du Qatar dans l’immobilier et le tourisme, les fondements de l’économie restent fragiles. Le prix du pain, en augmentant, a provoqué des émeutes. Les subventions du Fuel Oïl et de l’essence ont diminué et la récolte de céréales de l’année 2008 n’atteint que la moitié de celle de l’année 2007. Le gouvernement syrien a également annoncé le 27 mai la réduction de la flotte civile à 6 avions. Signe du malaise politique, de grandes compagnies détenues par des proches du pouvoir sont mise en vente (6), dont la plus significative, SyriaTel appartenant à Rami Makhlouf, grand apparatchik et cousin du président, qui aurait été vendue à des investisseurs turcs (7).
Israël, si elle connaît une inflation de 5,5 % en 2008, ses prévisions de croissance pour la même année sont de 4,2 %, ce qui est appréciable dans la morosité ambiante de l’économie occidentale à laquelle Israël est liée (8). C’est sur le plan sécuritaire et politique que les inquiétudes sont grandes. L’Iran reste une menace. La déclaration la plus récente à ce propos est celle de Shavtai Shavit, un ancien chef des renseignements, au Sunday Telegraph le 29 juin. Il y prévient qu’Israël n’a plus qu’un an pour détruire le programme nucléaire iranien. Le Hezbollah, loin d’avoir été anéanti en 2006, a reconstitué toute sa force de frappe. De plus, il est accusé par Israël de financer le groupuscule palestinien, les « Brigades de Libération de la Galilée » qui a effectué l’attaque contre l’école Talmudique à Jérusalem le 7 mars et l’attaque au bulldozer dans la ville sainte le 2 juillet. Le Hamas aurait reçu de l’Iran des missiles qui atteindraient le port d’Ashold et des « Road Side Bombs » utilisés en Irak contre les troupes de la coalition (9). Il aurait également utilisé pour la première fois en juin des lances roquettes multiples de fabrication Iranienne (10). Si l’Etat hébreu par les assassinats ciblés et le blocus de la bande de Gaza, n’arrive pas à stopper les attaques du Hamas, une opération terrestre de grande envergure serait trop coûteuse en vie humaine et ne ferait que reporter le problème de quelques mois. C’est ce que l’ensemble des éditoriaux de la presse israélienne s’accordait à dire le 16 juin. Cette accumulation de défis sécuritaires est aggravée par une crise gouvernementale. Le premier ministre est sur la sellette pour une affaire de corruption et l’ensemble du cabinet est affaibli par une fronde menée par Ehud Barack, Tsipi Levni et Shaoul Mofaz et par les critiques du rapport Vinograd sur le déroulement de la guerre de 2006.
Le Hamas à Gaza, seul maître à bord depuis l’été 2007, ne parvient pas à faire redémarrer une économie en lambeaux. Si la population le soutient dans son combat contre Israël, elle ne souffre pas moins du blocus. À cet effet, et pour alléger la pression qu’il subit, le mouvement islamiste a accepté une trêve avec Israël et va jusqu'à poursuivre les militants du Jihad Islamique et des Comités Populaires de Défense qui persistent à bombarder le territoire ennemi.
L’impasse que je viens de décrire aboutit pour le moment à des prises de position qui révèlent pour le moins l’absence d’une communauté de vues entre les parties prenantes au conflit et dans chaque camp. Je n’en citerais que quelques-unes, répondant ainsi à la deuxième question. Sur l’Irak, la question la plus brûlante est celle de l’avenir des troupes américaines dans ce pays. Le 7 juillet, le premier ministre Nouri El Maliki demande que dans l’accord soit précisé un calendrier de retrait de l’armée américaine. Or le lendemain, le porte-parole de la Maison Blanche s’y oppose. Sur l’Iran, le 30 juin, une source du Pentagone déclare au Washington Post que si l’Iran enrichissait l’uranium à un degré avancé et que s’il obtenait le système de défense anti-aérien Russe SA20, les États-Unis l’attaquerait. Cette information fut démentie le lendemain par la Maison Blanche (11). Le 29 juin, le journaliste Simon Hirsch dévoile dans le New Yorker que le président Bush a obtenu du Congrès 400 millions de dollars pour déstabiliser l’Iran, alors que le 24 du même mois la Secrétaire d’État évoquait la possibilité d’ouvrir un bureau de représentation d’intérêts communs à Téhéran, initiative saluée positivement par Manouchahr Moutaki, ministre des affaires étrangères iranien. À la suite des propositions des grandes puissances à l’Iran pour l’inciter à geler l’enrichissement de l’uranium, la réponse du président Ahmadi nejad fut un refus ferme. Ce qui n’était pas l’avis du conseiller de l’Imam Khamenei, Ali Akbar Willayati qui critique les provocations de son président et lui demande d’accepter les incitations de l’Occident.
La Syrie, tout en menant des négociations avec Israël et en déclarant par la bouche de son président que l’ambiance au Moyen-Orient est propice à un accord de paix, a signé le 26 juin un accord de coopération militaire avec l’Iran. Le premier ministre israélien déclare vouloir faire des concessions douloureuses, dont la restitution du Golan. Mais une loi proposée entre autre par un député de Kadima, passe le 30 juin en première lecture au parlement. Elle stipule que pour restituer le Golan il faut, soit le vote positif des deux tiers des voix de la Knesset, soit l’organisation d’un referendum populaire. Or les deux tiers de la Knesset ne sont pas acquis à cette restitution et un sondage d’opinion effectué par l’Institut Menahem Bégin indique que 70% des Israéliens y sont opposés. Si le Hamas refuse toujours de reconnaître Israël, Khaled Mechaal déclarait le 24 mars qu’il accepterait un Etat palestinien dans les frontières de 1967.
Tout cela veut dire que toutes les options sont encore ouvertes, la paix comme la guerre. S’il faut prévoir dans quel sens penchera la balance, il faut avant, répondre à la troisième question; quelles sont les constantes de chaque pays ?
Pour les États-Unis, la sécurité d’Israël et celle de ses approvisionnements en pétrole occupent le haut de liste. S’y ajoute, une retraite honorable d'Irak et le souci d’y laisser un régime allié. L’Iran cherche désespérément le moyen de sortir de l’affrontement stérile qui l’oppose à l’Occident pour pouvoir reconstruire un pays exsangue par 29 ans de confrontation, tantôt armée contre l’Irak, tantôt économique avec les sanctions que les grandes puissances lui imposent. La flambée des prix du pétrole qui ne saurait durer éternellement est une opportunité que l’Iran ne veut pas perdre. Il souhaite également que son rôle de puissance régionale lui soit définitivement reconnu. La Syrie, qui subit le même isolement, si elle récupérait le Golan, une reconnaissance internationale et garantissait le maintien de son régime, elle serait prête pour la paix. Israël veut, elle aussi, la paix et la disparition de toutes les menaces qui remettent en cause son existence dans les frontières qu’elle-même est en train de définir pour la première fois de son existence. Ses limites seraient celles du mur qui la sépare des Territoires Occupés, la frontière internationale avec le Liban et la mer. Les Palestiniens, toutes factions confondues veulent un Etat viable, Jérusalem Est comme capitale et le droit de retour de la diaspora dans ce futur Etat.
Or pour ce qui est de l’Iran, le conflit tourne autour de son programme nucléaire. Celui-ci, tel qu’il est conduit actuellement par le régime, est absolument absurde. L’Iran possède dans son sous-sol de l’uranium apte a être enrichi, pour une durée maximal de dix ans, et ce, pour faire tourner uniquement trois centrales. Il ne possède pas les moyens techniques pour en traiter les déchets. Et le plutonium que doit produire l’usine d’eau lourde de Natanz est destiné à un type de centrale dont il ne dispose pas et dont il n’a jamais annoncé l’intention d’acquérir. En Irak et dans le monde arabe, l’Iran mène une politique expansive. Celle-ci, qui lui coûte chère, n’a réussi jusqu'à présent qu’à monter les gouvernements arabes, à l’exception de la Syrie, contre cette expansion et à mettre en danger toutes les minorités chiites du monde arabe, soupçonnées d’allégeance au grand frère Iranien. Tout cela veut dire que si les négociations venaient à aboutir avec les grandes puissances, sur un enrichissement de l’uranium en dehors du territoire iranien, et si l’Iran cessait son ingérence dans les affaires de ces voisins, l’Occident et le monde arabe seraient disposées à lui reconnaître un statut particulier et la réintégreraient dans le concert des nations.
Le régime syrien, lui, bénéficiait jusque-là de l’indulgence israélienne tant qu’il tenait à bonne distance les groupuscules armés qui la menaçaient à partir de sa frontière ou celle du Liban. Or la donne actuellement à changer. Les intégristes du Hamas et l’Iran par l’entremise du Hezbollah doté de milliers de missiles sont aux portes d’Israël. Cela l’État hébreu ne peut l’admettre. Un régime allié de l’Iran protégeant les extrémistes religieux devient une menace qu’il faut éliminer. Un premier coup de semonce fut le bombardement par Israël de la prétendue installation nucléaire syrienne. La Syrie aurait-elle compris le message ? L’assassinat d’Imad Moughnié que beaucoup attribuent aux Syriens et la mise à l’écart d’Assef Chawkat seraient-ils les premiers gages de bonne volonté versés par la Syrie ?
Sur le plan palestinien, la trêve entre le Hamas et Israël serait-elle le prélude à la reconnaissance de ce mouvement par les Israéliens ? Les efforts entrepris par l’Égypte, le Yémen et depuis peu par la Syrie de réconcilier le Hamas et le Fateh sont-ils les signes avant-coureur d’une réconciliation inter-palestinienne, condition nécessaire pour que les négociations avec Israël aboutissent ? Les propos, généralement pessimistes, de Mahmoud Abass, le 1er juillet, sur un accord possible avec Israël avant 2009, sont-ils annonciateurs d’une avancée sur ce dossier ?
Les événements des mois à venir en répondant à toutes ces questions, détermineront le futur de la région. Cependant, aucune avancée significative dans une ou l’autre direction ne s’effectuera avant au moins un an, et cela, pour deux raisons. La première est la mauvaise humeur de l’actuelle administration américaine, qui privilégie le statu quo. Le président Bush lors de sa visite d’adieu au Moyen-Orient en mai a déclaré à Charm El Cheikh qu’il ne prévoyait sur le court terme que « les contours d’un Etat palestinien ». À la Knesset, il a critiqué les régimes arabes et assuré les Israéliens du support des 300 millions d’américains, et ce, dans un discours fidèle aux idées de ses conseillers néo-conservateurs les plus zélés. Si les États-Unis encouragent les Israéliens et les Syriens à négocier directement, leur ambassadeur à Tel-Aviv déclarait le 3 juillet que son pays n’y interviendrait pas, malgré l’insistance de la Syrie. La Secrétaire d’État aurait d’ailleurs dans un premier temps menacé Israël de restreindre la collaboration militaire entre les deux pays si Israël prenait langue avec la Syrie (12). Sur les négociations inter-palestiniennes, madame Rice aurait signifié à Amr Moussa à Berlin en juin son opposition à tout dialogue entre le Hamas et le Fateh (13). Le rôle de médiateur est pour l’instant dévolu à la Turquie, qui, tel le Qatar comme je l’indiquais dans un article précédent, par sa politique d’ouverture sur l’ensemble des parties est habilité à jouer ce rôle. La France de Nicolas Sarkozy, allié des États-Unis est vraisemblablement mandatée par celle-ci pour surveiller le déroulement des négociations et y jouer un rôle. Dans une importante kermesse, à l’occasion du lancement de l’Union Pour la Méditerranée et du 14 juillet, le président Français a réussi la plus grande concentration de dictateurs, d’adversaire et d’ennemis au mètre carré, en attendant de les réconcilier avec leurs peuples et entre eux. Il faut reconnaître que les présidents Libanais et Mauritanien, part leur dignité, se démarquaient du lot. Donc il faut attendre une nouvelle administration américaine pour que des décisions importantes soient prises. La seconde raison, elle, empêcherait une initiative militaire de la part d’Israël et des États-Unis qui pourrait embraser toute la région, si cette option devenait inévitable. Cette raison est purement technique. Le Système « Amir » anti-missile israélien, dont les premiers tests ont été effectués en mai, ne sera pleinement opérationnel qu’en 2010.
Le Liban dans tout cela ? J’ai évité d’en parler, pour la simple raison que son importance stratégique est mineur face aux enjeux. Mais ce que je peux avancer sans me tromper, c’est que si la foire d’empoigne qui s’est déroulée entre les candidats à l’Eden ministériel venait à se prolonger, il est certain que nous ne pèserons plus rien le jour du grand partage.
1- Washington Post, 03/07/08
2- New York Time, 14/01/08
3- Amir Tahiri, Charq Al Awsat 25/01/08
4- BBC 10/03/08
5- Site Web de la FAO
6- Afak, 13/03/08
7- Sada Souriya, 11/12/07
8- Jérusalem Post, 01/07/08
9- Haaretz, 26/05/08
10- Debka, 05/06/08
11- Haaretz, 30/06/08 & 01/07/08
12- Washington Post, 26/05/08
13- Charq Al Awsat, 08/07/08
Amine Issa
24/07/2008