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citoyen libanais
10 septembre 2008

La troisième voie au Liban

 

Le gouvernement actuel n’est ni un gouvernement d’union nationale ni un forum de réconciliation, mais un outil administratif pour gérer le pays d’ici les élections législatives de deux-mille-neuf. Le seul objectif des ministres sera de tirer la couverture vers leurs camps respectifs, ne s’arrêtant que lorsque celle-ci menacera de se déchirer. Le gouvernement servira uniquement à contenir les antagonismes dans un cadre feutré « politiquement correct » et quand la pression sera trop forte, l’axe de misère Bab-El Tebanneh-Baal-Mohssen, s’embrasera pour rappeler à l’ordre les politiciens turbulents. Seul un changement dramatique dans la région peut bousculer cet état des choses. Nous devrions nous féliciter que les Libanais laissent le soin aux urnes de décider de leur avenir. L’expérience des élections de deux-mille-cinq prouve qu’il n’en est rien. L’opposition, prétextant l’exclusion de la moitié des Libanais de la prise de décisions essentielles pour l’avenir du Liban, a bloqué le fonctionnement des institutions et a paralysé l’économie du pays. Elle prétendait que seul le consensus devait prévaloir dans la gestion des affaires publiques. Pour dénouer la crise, elle prit les armes ! C’est regrettable, mais en définitive cela permit de démontrer que le Liban ne possède pas encore les outils légaux qui lui permettent de dénouer les crises constitutionnelles autrement que par la violence. Le Hezbollah même sans armes, possède une telle capacité de mobilisation qu’il aurait pu occuper Beyrouth par une marée humaine, ce qui aurait engendré nécessairement des heurts et des destructions. Que serait-ce alors, quand ce parti possède des armes, que certains de ses adversaires s’en sont procurées, des pétoires servies par des adolescents imberbes importés du Akkar et égarés dans les rues de Beyrouth, dans un pays traditionnellement regorgeant d’armes individuelles, avec un passé milicien, sur un territoire parsemé de camps de réfugiés surarmés et infestés d’intégristes de tout poil prêts à en découdre. Or les élections à venir ne résoudront pas cette équation et personne ne semble d’ailleurs s’en soucier, tant le but de chaque camp est d’arracher le plus de sièges à la prochaine législature pour imposer sa vision du Liban.

Pour le premier, celui de la majorité, elle se résume au rétablissement de l’autorité de l’Etat et à un programme économique qui s’en remet aux règles du marché et aux privatisations pour, la régularisation des déficits, la croissance et le développement. Or les détenteurs de ce discours sont pour la plupart issus d’une classe politique accusée par les Libanais d’avoir détournés les avoirs de l’Etat ou pour le moins de les avoir mal géré. Depuis l’indépendance jusqu’au Président Hariri les gouvernements ont surtout privilégiaient l’infrastructure et le développement de la capitale. Ils pensaient que, partis de Beyrouth, les investisseurs privés trouveraient dans les régions périphériques des opportunités du moment que le réseau routier était convenable et que l’électricité et les communications y étaient assurées. Cela ne se fit pas et le reste du Liban ne connut qu’un très faible taux de développement. Une des principales causes de la guerre du Liban est justement la négligence de ces régions par l’Etat. Leurs habitants, soit entassés dans les banlieues de Beyrouth, soit restés dans leurs villages, répondirent aux sirènes d’organisations et de partis politiques qui souvent étaient en concurrence avec l’Etat Libanais. Je cite, les organisations palestiniennes, les ordres, et aujourd’hui, les partis religieux. Quant aux crédits consentis aux députés pour leur circonscription, ils servaient le plus souvent à asphalter les tronçons de route qui mènent du domicile des électeurs aux bureaux de vote. À aucun moment la majorité actuelle n’a montré un infléchissement de cette politique. La réception au Grand Sérail de délégations de ces régions venues présenter leurs doléances, a un air de déjà-vu, démarches jamais suivies d’effets. De plus, la représentativité des ténors de la majorité est de nature clanique, familiale et confessionnel, ce qui les met dans l’impossibilité de prétendre à une audience nationale.  Dans leur discours pourtant ils y postulent, mais en réalité leurs revendications au sein des instances étatiques gardent un caractère local au service de leurs clientèles la plus immédiate. Cette incapacité d’aller au-delà de leur premier cercle et soit le fait d’une inaptitude, soit le fait d’une décision mûrie, convaincus qu’ils sont que le Liban ne sera jamais une nation unifiée et qu’il est condamné a être géré par le recoupement d’intérêts singuliers, avec tout ce que cela entend comme instabilité quand les appétits enflent et les caisses de l’Etat sont vides.

Dans l’autre camp, celui de l’opposition se retrouvent pêle-mêle, des leaders très proches par leur profil historique et représentatif des dirigeants de l’actuelle majorité et appartenant par opportunisme politique au Huit Mars, et, deux formations clefs qui sont le CPL et le Hezbollah. Le Général Aoun ratisse large dans son combat contre la corruption et le clientélisme, mais il est prisonnier de ses propres contradictions. Pourfendeur des prévaricateurs, il est aussi l’allié de politiciens véreux. Opposé au féodalisme, la direction de son mouvement est quadrillée par sa famille. Se posant comme leader national, son discours populiste s’adresse avant tout à un public chrétien qui forme la majorité de son état major et de ses partisans. Le Hezbollah est lui détenteur d’un programme politique, une république islamique. S’il en remet l’application, car comme il le reconnaît, le Liban multiconfessionnel n’y est pas adapté, il n’en reste pas moins son objectif à long terme. Pour cela il tente par tous les moyens de prémunir la communauté qu’il représente de toute contagion culturelle qui remettrait en question cet objectif. Écoles, centres de formations religieuses, institutions caritatives et associations de jeunes, rien n’est laissé au hasard. Sa défense héroïque du Liban face à l’occupation Israélienne, n’a pas comme unique horizon l’intégrité du territoire, mais bien au-delà, vise la libération de la Palestine de l’entité sioniste. Malheureusement, il semble méconnaitre les implications catastrophiques de cette politique exclusive, en dehors d’un consensus national et d’une politique arabe concertée. En refusant de partager la mise en œuvre de cette politique, il a provoqué le réveil des démons de l’autodéfense des autres communautés, dont la crise du 8 Mai en est la manifestation la plus violente à nos jours. Ce n’est pas en se rapprochant d’un groupuscule Salafiste qu’il en désamorcera les effets. Son alliance sans nuance jusque-là, avec la Syrie, en ignorant le ressentiment des autres libanais à l’égard du régime Baassiste, à tort ou à raison, a également alimenté la suspicion à son égard. Enfin hasard ou pas, quand la table ronde du dialogue tenue en deux-mille-six aborda la stratégie de défense, le Hezbollah choisit ce moment pour enlever deux soldats israéliens. Pour beaucoup, ce fut un moyen d’échapper à l’évocation de l’intégration de son armement au sein de l’armée, désormais seule force légale au Liban et de reconnaitre à l’Etat l’exclusivité de la coercition et de la déclaration de la guerre à Israël.

Tel que nous le constatons, si les électeurs devaient en deux-mille-neuf confirmés par les urnes et vraisemblablement à proportion égale la pérennité des choix des deux camps opposés, le Liban, même épargné par les bouleversements régionaux n’a pas d’avenir en tant qu’Etat unifié, fort et moderne où se reconnaitraient tous ses citoyens. Et si les deux camps sont dans l’attente de ces éventuels bouleversements pour s’attribuer une plus grande part de pouvoir, le résultat sera identique. Ce qu’il faut aujourd’hui c’est d’abord reconnaître que la société civile libanaise non partisane est la seule qui maintient l’économie du pays à flot et est la seule qui croit encore à une possibilité de rétablir la citoyenneté au-delà des particularismes, empêchant par là les débordements qui pourraient se transformer en guerre civile. C’est cette même société civile, plus nombreuse qu’on le croit, qui devrait se défaire de sa neutralité, s’organiser en une troisième voie, en parti politique, nécessairement laïque et multiconfessionnel comme elle l’est et pesée de tout son poids pour infléchir les politiques stériles, voire suicidaires des deux camps. Elle devrait s’inviter ou s’imposer au sein des prochaines réunions du dialogue, par le biais d’une intervention auprès du Président de la République, dont le rôle est de convoqué tout ce que la nation comprend de forces vives. Ces réunions qui devraient être des assises nationales pour redéfinir l’identité du pays, ses institutions, devraient également amplifier les revendications de cette même société civile. Elle rappellerait leur limite aux divers camps et proposerait des solutions intelligentes qui pourraient séduire plus d’un partisan affilié à un parti de façon circonstancielle ou par manque de perspective. Sa première requête devrait être l’introduction de la proportionnelle dans la loi électorale, pour s’assurer une place au prochain parlement. Illusion ? Non. J’en veux pour preuve la présence au sein du cabinet, par la volonté du Président de la République, de représentants de cette troisième voie. C’est un début timide certes, mais paradoxalement la lassitude des libanais pourrait en être le moteur. A condition de descendre dans l’arène, de se mouiller, de ne plus se contenter pour ceux qui le font, de parodier à petite échelle les formations actuelles qui occupent la scène politique. Au tenant du fatalisme, je rappellerais que le Liban a déjà connu des périodes de sursaut, les Forces Libanaises quand les palestiniens et ensuite les Syriens croyaient pouvoir contrôler le Liban sans embarras, le Hezbollah quand les Israéliens débarrassés de l’OLP pensaient avoir assujetti le Liban, le mouvement Aouniste à ces débuts et enfin le mouvement du 14 mars. Quoi qu’on pense de ces mouvements, l’essentiel reste leur apparition. Entre le laisser faire de la majorité et les utopies de l’opposition, avons-nous le droit d’ignorer nos responsabilités, au moins celle de dénoncer la cécité des hommes qui nous gouvernent ?

Amine Issa 

L'Orient - Le Jour

10/09/08

     

 

 

 

 

 

 

 

 

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