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citoyen libanais
23 février 2009

La laïcité est-elle une option ?

Je résumerais la nuisance du système politique confessionnel au Liban par ce qui suit: Il pré conditionne l'appartenance politique du citoyen dès sa naissance à un groupe donné et entrave sa volonté de s'exprimer en dehors de ce même groupe. D'abord parce que c'est sa confession d'origine qui définit ses droits politiques; un maronite ne peut se présenter dans une circonscription qui ne prévoit pas de siège maronite, et il ne peut prétendre à une fonction publique si elle n'est pas réservée à sa confession. Ensuite, le système ne produisant que des clones de représentation confessionnelle, ce même maronite ne trouvera nulle part un parti qui ne détermine pas l'appartenance de ses partisans autrement que par la confession et pouvant le séduire. Il est vrai qu'au sein des grandes confessions et surtout chez les chrétiens, l'offre de partis est plus variée, mais en définitive elle reste cantonnée dans le cadre confessionnel.  Cette absence de mobilité a pour conséquence le maintien de la classe politique et son corollaire, l'absence de sanctions de la mauvaise gestion des affaires publiques. L'apparition de nouveaux partis ou de nouvelles figures est le plus souvent l'effet d'un bouleversement politique régional et rarement le signe de désaveu des citoyens. Mais même ces changements se font dans la perpétuation du système confessionnel.  Ce système figé, en plus des effets sus mentionnés, permet à ses dirigeants de capitaliser sur les craintes existentielles de leurs partisans pour détourner leur attention de leurs quotidiens qui ne cessent de se détériorer. Cette capitalisation dut-elle accoucher d'une guerre civile. Comment s'en sortir? Par la laïcisation du système politique. Ce n'est pas une proposition inédite.  Les années 70 virent au Liban se développer un mouvement laïc en dehors de la représentation politique traditionnelle. L'essor de partis à forte idéologie socialisante, nationaliste, antisioniste et arabisant attirèrent des partisans de toutes les communautés; je citerais le Parti Communiste, le PPS, le BAAS et dans une moindre mesure le PSP et les Nassériens. Kamal Salibi et Farid El Khazen (1) s'accordent à dire qu'à la veille de la guerre, au niveau social, la polarisation confessionnelle était à son plus bas niveau dans l'histoire contemporaine du Liban. Les revendications sociales économiques et la cause palestinienne transcendaient les frontières communautaires. La guerre civile balaya cette orientation. Qu'en est-il aujourd'hui, la laïcité est-elle compatible avec l'Islam? Les fondamentalistes répondent par la négative. L'Islam pour eux est un système révélé, totalisant, où le politique et la religion ne peuvent être séparés. Les fondamentalistes n'occupent plus seuls le terrain de la pensée. Abdel Majid Charfi, un réformateur, prétend que le Qoran fut "inspiré " et non "dicté " au prophète et que celui-ci dût le contextualiser au gré des événements. La Sharia serait alors une "voie" à suivre et non pas une "loi." Il refuse de résumer les 6500 versets du Qoran aux 220 à 250 versets d'ordre juridique qu'il contient. Il dit aussi, que ce qui est "Makhtoum", c'est à dire définitif, est la responsabilité de l'homme donc son libre choix, confirmé par plusieurs versets, ce qui permet aux citoyens de choisir le système politique qui leur convient à leur risque et péril puisqu'ils ont été "avertis " de ce qui peut leur nuire. Mohamed Mahmoud Taha nous explique lui, que l'idée républicaine laïque de liberté permet seule au musulman de déployer l'éthique et la responsabilisation inhérente à l'Islam, alors que la confusion des domaines religieux et politique abêtit le citoyen et fait de lui un automate que les plus extrémistes peuvent conduire à la barbarie.

Cette même admission de l'idéal républicain laïque est partagée par Mohamed Mehdi Chamsedine, pour qui la liberté de vivre les valeurs essentielles de l'Islam sont compatibles avec un système politique dont la source des lois, sans être en contradiction avec l'islam, ne serait pas le Qoran (2). Malgré la diffusion de la laïcité en Occident chrétien, il est important d'en rappeler les bases si méconnues par les églises orientales. La séparation du divin et du temporel est inscrite pour Marcel Gauchet dans l'essence même du christianisme, dans le principe de la transcendance de Jésus qui remonte au ciel après sa crucifixion. La relation des citoyens avec le politique avec César s'autonomise et la relation à Dieu s'individualise. La religion comme le dit Marx n'est plus une Superstructure qui conditionne la communauté comme un seul homme (comme l'est l'économie), elle n'occupe plus le citoyen qu'individuellement. Newton a défini des lois de la nature. Celles-ci ne sont pas toujours parfaites, et depuis le cosmos n'est plus considéré comme nécessairement harmonieux. L'homme qui est dans la nature est fini, imparfait (contrairement à Dieu) il ne peut plus se comparer à son créateur. Seul la morale laïque lui permet de se sauver sur terre et d'aménager des relations paisibles avec ses semblables. La morale religieuse n'est plus fonctionnelle puisqu'elle est d'une autre nature, divine, parfaite, alors que l'homme ne l'est pas. Dieu est renvoyé au Ciel. Nous frôlons l'athéisme, on n'en demande pas tant. Le mythe du progrès linéaire, de la paix sur terre, de la fraternité entre les hommes, promis par les philosophes des lumières et plus tard le marxisme, en se débarrassant de Dieu, ne s'est jamais totalement réalisé. Loin de là, le 20ème siècle aura connu les plus grands massacres de l'histoire de l'humanité et le 21ème siècle démarre par l'échec de l'économie ultralibérale (après l'échec de l'économie communiste)  a assuré une croissance régulière, une juste répartition des richesses et une saine gestion des ressources naturelles de la planète. Mais un retour de la gestion de la Cité par Dieu, n'est pas non plus souhaitable, tant l'humanité a souffert de la confusion des deux royaumes.

Même de nos jours que ce soit les islamistes d'Al-Qaida ou les Evangélistes Néo Conservateurs aux USA, là où, ils ont exercé leurs talents il n'y eut que morts et destructions. La laïcité ne doit être confondue avec athéisme. La laïcité est le règne de la Raison, associée à une spiritualité dont nous ressentons tous encore le besoin, mais pas nécessairement à l'intérieur des églises traditionnelles. D’où la prolifération aux USA par exemple de nouvelles églises moins dogmatiques, le succès des philosophies extrême-orientales en Europe et le désir de musulmans de revenir à un islam apaisé, individualisé, spirituel, loin de la violence et du littéralisme juridique des islamistes. Beaucoup de Libanais appellent à la laïcité et font le pari de convaincre ceux qui y sont réticents par conviction ou par ignorance. Ont-ils raison, la laïcité est-elle une option au Liban? Je réponds oui, pour deux raisons en plus de tout ce qui précède. D'abord le Liban et particulièrement ses grandes villes, ont évolué loin du modèle de la ville pré médiévale occidentale et de celui de la ville arabe traditionnelle. Ces deux formes d'organisation de l'espace urbain faisaient des villes, des citées garnisons au service du Prince, où les hommes de religion contrôlaient les âmes ignorantes. Beyrouth, est aujourd'hui une ville démilitarisée, où la division du travail en métier permet des regroupements corporatifs qui ont leurs propres identités. La circulation entre les divers quartiers tend à fondre l'architecture de la ville dans un moule qui n'est plus spécifique à une communauté. La société de loisirs abat des frontières. La politique ne se fait plus uniquement au sérail, mais également dans la rue. Les universités et le savoir profane qu'elles dispensent ont ôté au lieu de culte et à leurs serviteurs le monopole du savoir et le contrôle exclusif des esprits. Le beyrouthin peut exister avant d'être musulman ou chrétien. Deuxièmement la question de l'arabité du Liban a longtemps servi de combustible pour alimenter la méfiance entre les communautés. Les chrétiens y voyaient une forme déguisée de retour à la Oumma islamique et les musulmans considéraient les chrétiens réfractaires à l'arabisme comme des isolationnistes, agents de l'Occident. Or  trente-quatre ans après le déclenchement de la guerre civile au Liban voilà ce que l'on constate. Les nationalités de chaque pays arabe se sont confirmées contre l'idée d'une seule nation, Aujourd'hui l'arabisme est devenu l'adversaire de l'islamisme et ils ne se confondent plus. Parce que l'Occident leur a le plus souvent tourné le dos, parce qu'Israël a détruit le Liban, parce que les bonnes affaires se traitent dans le Golf, parce que Fairouz et Nancy Ajram chantent en arabe, les chrétiens ont définitivement compris qu'ils appartiennent d'abord à cette rive de la méditerranée. Parce que les Arabes ont été en dessous de tout quand le Liban brûlait, parce que la Syrie a occupé le Liban trente ans, parce que celui-ci reste le seul espace de liberté et d'innovation dans cette région, parce que les chrétiens malgré toutes les avanies qu'ils ont subi et les malheurs qu'ils se sont infligé eux-mêmes n'ont pas quitté le Liban, les musulmans croient désormais qu'être Libanais avant tout est leur seul avenir possible. Edmond Rabbath disait en 1973 que la laïcité ferait le lit du nationalisme libanais (3). Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit. Le nationalisme libanais, exprimé symboliquement le 14 mars 2005, permettra à la laïcité de se manifester. Or cette manifestation ne peut prendre corps sur la durée que si elle se traduit par une action politique emmenée par un parti qui s'annonce avant tout laïc. Pourquoi ce parti alors qu'il existe déjà au Liban des partis laïcs tels le PC, le PSNS, et le BAAS? Car ceux-là sont tributaires de leur idéologie qui malgré la démonstration par l'histoire de leur faillite, reste leur marque de fabrique. Ce ne sont plus en définitive que des appareils de pouvoir grâce auxquels on peut prétendre à un siège au parlement ou au gouvernement. Ensuite, se réclamer avant tout de la laïcité et de la proposer comme solution pour la résolution de l'équation politique libanaise aurait l'avantage de l'innovation et du courage et de l'honnêteté. Tous les autres slogans: souveraineté, indépendance, justice, démocratie, résistance ayant été pris, usés, jusqu'à la corde, galvaudées, ne suffisent plus pour créer un nouveau mouvement citoyen crédible. Courage, parce qu’un parti résolument laïc affronterait les corps religieux constitués dont le confessionnalisme est le fond de commerce. Honnêteté, parce que dans le respect de la pratique cultuelle et spirituelle de ces mêmes corps constitués, on leur refuserait toute capacité politique. On rejetterait l'hypocrisie de politiciens qui tout en jurant leur totale obéissance aux autorités religieuses de leurs communautés à des fins de mobilisation, n'ont aucun respect pour l'avis de ces mêmes autorités.

 

1- Kamal Salibi, "Une maison aux nombreuses demeures" & Farid El Khazen "Tafakok aoussal al dawala fi Loubnan".

2- Entretien de Wagih Kawthrani avec Mohamed Mehdi Chamsedine "Manbar al hiwar", 1994, page 12-13.

3- Edmond Rabbath, "La formation historique du Liban politique et constitutionnel". Page 637.

Amine Issa 

L'Orient - Le Jour

23/02/09

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