La faute du discours
Dans son discours du Caire, Barack Obama proposait de réconcilier les États-Unis avec le monde musulman. Il a voulu briser le mur de défiance érigé entre les deux parties par l'administration précédente. Il a insisté sur la franchise dans les échanges, il a demandé aux américains et aux musulmans de se départir des perceptions erronées qu'ils avaient les uns des autres et a insisté sur la communauté de valeurs qu'il percevait entre l'Amérique et l'Islam. En abordant chaque question conflictuelle et dans le style de son discours, Barack Obama était juste. Il a distribué également les blâmes et a accordé la reconnaissance des revendications légitimes de chaque camp. Cette approche égalitaire démontre sa connaissance ou du moins celle de ses conseillers de l'Islam, d'un de ses principaux fondements, la justice. Les sourates du Coran qui y font références sont innombrables. Des cinq piliers de l'Islam, le seul qui concerne autant l'individu que le groupe, le zakat, l'aumône aux démunis, est un principe de justice. Sur la cause palestinienne, cause juste, il n'a pas donné de date butoir à sa résolution. Mais dans ses propos son engagement était tel, que tout atermoiement sur cette question remettrait en cause sa crédibilité et celle des États-Unis qu'il tente précisément de rétablir. Pourtant, dans ce même discours, il a usé d'une notion qui, si il y croit réellement, est une porte ouverte à beaucoup d'amalgames malheureux. Dans son discours, il s'adresse aux " Musulmans". Il aborde ainsi un milliard et demi d'individus en se référant uniquement à leur religion, ignorant toute autre caractéristique qui peut les circonscrire, comme la langue, la nationalité, le régime politique et les traditions sociales. Il s'inscrit ainsi dans la droite ligne de la lecture des antagonismes à travers le prisme du "conflit des civilisations ", concept élaboré par Bernard Lewis et repris plus tard par Samuel Huntington dans son fameux ouvrage (1). Le débat sur la pertinence de cette approche n'est toujours pas clos, je ne prétends pas y contribuer, mais je veux juste analyser ses répercussions sur la perception de la nature des antagonismes au Moyen-Orient et au Liban.
Même si la religion n'en a jamais était absente, le conflit israélo-palestinien et arabe a opposé l'Etat sioniste israélien aux détenteurs de la nation palestinienne et, aux nations égyptienne, jordanienne et syrienne qui voulaient recouvrir leurs territoires occupés. A Camp David, c'est au nom de l'Égypte, doté d'un régime à parti unique et laïc, qu'Anouar El Sadate a récupéré le Sinaï et c'est au nom des autres territoires nationaux encore occupés que l'ensemble du monde arabe a boycotté l'Égypte. Suite aux accords d'Oslo, Yasser Arafat en foulant le sol de Gaza, annonçait la création prochaine de l’Etat palestinien. Il organisa sous surveillance internationale des élections législatives et présidentielles libres. C'est la monarchie jordanienne, système politique dont les deux piliers sont la représentation parlementaire de partis et le support inconditionnel des tribus bédouines, qui à Waddi Araba en 1994 a signé un traité de paix avec Israël. C'est la Syrie, baassiste, socialiste et laïque, dirigée par une minorité religieuse, qui depuis 1967 se bat ou négocie pour récupérer le Golan. La résolution des conflits territoriaux, ne peut être envisagée que lorsque elle est négociée au nom des Etats, quel que soit leur système de gouvernance, la structure de leur société et leur régime économique. Il en est ainsi au Moyen-Orient, ainsi qu'ailleurs dans le monde, en Europe centrale (Balkans) et de l'Est (Géorgie-Ossétie), en Amérique du Sud (Pérou-Bolivie) et en Asie post soviétiques (Arménie-Azebadjian). Mais si le conflit au Moyen-Orient devait être associé à celui des trois monothéismes, si la terre devait être accordée par Dieu, si "Les religions révélées se considéraient comme les détentrices d'une vérité qui placerait automatiquement toute forme d'altérité dans le domaine de la non-vérité" (2), comment serait-il possible encore de réconcilier les ennemis? Si Israël est la terre promise de l'Etat du même nom et qu'il est celui du peuple juif comme le premier ministre israélien l'a déclaré (applaudit le lendemain par Barack Obama) à l'université religieuse de Bar'Illan, comment le croire quand il prétend accepter un Etat palestinien en Judée et Samarie? Même si le Hamas venait un jour à reconnaître Israël, comment le croire, alors que ce parti se réclame de l'Islam dont le troisième lieu saint est Jérusalem qu'il doit libérer, alors que la droite religieuse au pouvoir en Israël considère la sainte ville comme sa capitale biblique indivisible et éternelle ? En s'adressant aux "Musulmans", et non pas à des Etats, leurs populations fut-elles majoritairement musulmanes, Barack Obama, ne peut qu'encourager les tenants des exclusivismes irréconciliables. Au Liban, nous ne sommes pas en reste. Aux dernières élections certains ont jugé que tel candidat était plus légitime, car élu uniquement par les voix maronites, que celui élu par l'addition des voix maronites, arméniennes et syriaques !
1- Bernard Lewis. "The Roots of Muslim Rage" The Atlantic, Septembre
1990.
2- Jan Assman. "Violence et monothéisme", Bayard, page 18.
Amine Issa
L'Orient - Le Jour.
18/07/2009