Les Haredims, sont-ils le cancer d'Israël?
Au dix-neuvième siècle, les juifs occidentaux, sous le double fait de l'impossible assimilation dans les sociétés occidentales et les pogromes dans les territoires de l'empire tsariste, décidèrent au congrès de Bale de créer l'état israélien en Palestine. Pour les pères fondateurs, le sionisme, l'idéologie fondatrice d'Israël, devait être nationaliste laïc et démocratique, pour assurer la réussite de leur entreprise. Les palestiniens pour eux, n'étaient pas une nation, mais appartenaient à une plus vaste communauté politique : l'Empire Ottoman. Quand celui-ci disparut, le nationalisme arabe hésitait encore entre un regroupement de plusieurs nations indépendantes et une nation arabe regroupant l'ensemble des territoires anciennement ottoman sous une même autorité. En 1948, Israël accepta le partage de la Palestine en deux états. Les Arabes le refusèrent et lui firent une guerre qu'ils perdirent. Pour toutes ces raisons, les sionistes ne virent jamais une contradiction entre la privation des palestiniens d'un état et leur idéaux. Par contre, ceux-ci sont remis en question à l'intérieur même d'Israël par les Haredims ou les ultras orthodoxes qui rejettent le sionisme, car ils considèrent que l'état d'Israël ne doit pas exister avant la venue du messie. Ils vivent en autarcie dans leurs quartiers et leurs colonies. Ils considèrent la modernité comme une déviance. Ils refusent de participer à la vie publique, ne servent pas dans l'armée et refusent de travailler pour se consacrer à l'étude du Talmud (interprétation de la Bible) dans les Yeshivas (écoles religieuses). Ils parlent le yiddish au lieu de l'hébreu la langue nationale. Ainsi décrits, seraient-ils une menace pour Israël?
D'abord, leur nombre. S'ils ne forment que neuf pour cent de la population, vingt-cinq pour cent des enfants israéliens sont issus de familles Haredims (1). Le taux de natalité de leurs femmes est de 7,6 enfants, presque le triple de la moyenne nationale. Ils forment 30.7 pour cent de la population des colonies juives dans les territoires occupés (2). Faisant l'impasse sur leur refus de la vie publique, ils commencent depuis vingt-cinq ans à s'immiscer dans la vie politique pour faire avancer leur cause. Le Shass, parti des Haredims séfarades (d'origine orientale) comptait quatre députés en 1984 lors de sa création, aujourd'hui il occupe onze sièges à la Knesset. Le Yahadut Hatorah (judaïsme unifié de la Torah), représente,lui, les Haredims ashkénazes (d'origine occidentale) et détient cinq sièges au parlement. À ces seize députés, il faut ajouter les trois élus du parti Ha Bait Ha Yehoudi (la maison juive) ce qui nous amène à dix-neuf députés Haredims sur les cent vingt que compte la dernière législature israélienne. Ils ont également obtenu cinq portefeuilles ministériels sur les trente que compte le cabinet israélien formé par Benyamin Netanyahu et deux des neuf ministres adjoints. Dans le sillage de leur ascension politique on remarquera le recul de partis laïcs, comme le Sinoui, antireligieux, qui en 2003 détenait quinze sièges au parlement, juste après le Likoud et les Travaillistes, et qui a complètement disparu. Ils sont soutenus sur certaines questions, dont aujourd'hui la judaïté de l'état d'Israël et l'extension des colonies, par les partis ultranationalistes et même le parti de Avigdor Liberman pourtant réputé laïc. Représenté à la Knesset et au gouvernement, d'une main, ils rançonnent l'état et de l'autre ils l'agressent. La majorité des Haredims ne travaillant pas, ils vivent d'allocations et ne payent donc pas d'impôts. Le député Moshé Gafni a obtenu en juin que les écoles ultras orthodoxes soient totalement subventionnées alors qu'elles ne l'étaient qu'à soixante-quinze pour cent (3). Malgré cela ils s'attaquent constamment à l'état. Le rabbin Shalom Dope Wolp, qui s'était opposé au retrait de la bande de Gaza déclarait le onze novembre 2008 que" l'état d'Israël était devenu l'ennemi du peuple et de la terre d'Israël". Le Haaretz du trente octobre 2008, rapporte que les colons, dont on a dit que 30.7 pour cent était des Haredims, avaient attaqué quatre cent cinquante fois des soldats de l'armée au cours des neuf premiers mois, cinquante pour cent de plus que l'année précédente. Cette violence est aussi dirigée contre la société. En juillet, pendant trois jours, en réaction à l'arrestation d'une femme qui avait laissé dépérir son enfant de trois ans, les Haredims ont occupé les rues de Jérusalem, incendiant les poubelles, cassant les feux de signalisation et blessant vingt policiers par des jets de pierres. En juin la municipalité de la ville sainte ayant voulu ouvrir un parking le samedi, jour du shabbat, les mêmes émeutes s'étaient déroulées. Le premier août, ils attaquaient une communauté homosexuelle en assassinant deux de ses membres. Adeptes de la séparation totale et du renvoi des Israéliens d'origine palestinienne, ils expriment leur racisme même à l'encontre des autres juifs. Le rabbin Avraham Sherman a annulé en 2008 la conversion de milliers d'immigrants, doutant de leur sincérité et de leurs origines juives. Pourtant, cette conversion avait été accordée par le Grand Rabbinat qui est l'institution religieuse habilitée à le faire et dont il fait partie,(4). Le douze août, cent juifs éthiopiens habitants de la ville de Peta Khiva se sont vu refuser leur inscription dans une école tenue par des ultras orthodoxes (5). Un des fondements de l'état d'Israël, la laïcité, fait aussi l'objet de leur assaut. Le 11 février de cette année, un groupe de rabbins connu sous le nom des Rabbins Sanhédrin qui s'est autoproclamé Cour Suprême Judiciaire du Peuple juif, a demandé aux nouveaux élus Haredims de rejeter toute loi contraire à la Torah et de transformer le Grand Rabbinat en cour suprême indépendante du gouvernement. En juin et pour la seconde fois consécutive, les Haredims à la Knesset manoeuvrèrent pour faire échouer une loi qui instaurait le mariage civil. Pourtant, cette loi avait été proposée par Kadima, leur allié dans le gouvernement. Enfin, le comble du mépris de l'état de droit est exprimé par le chef du Shass et actuel vice-premier ministre, ministre de l'intérieur, Elie Yishaï. Le Haaretz du onze août, rapporte qu'il a adressé une lettre au chef de l'état lui demandant de gracier l'ancien ministre Shlomo Beniziri, membre du Shass, condamné à quatre ans de prison pour corruption. Quelques semaines au paravant, il avait demandé à un juge de ne pas condamner un sympathisant de son parti qui avait écrasé une femme.
Quels sont les motifs profonds des Haredims qui remettent en question l'architecture idéologique du sionisme, fondateurs de l'état d'Israël? Olivier Roy nous dit que "le sionisme fait des juifs un peuple, un groupe ethnique, une nation en quête de son Etat. Aujourd'hui, l'état d'Israël définit la judaïté par la filiation et par la non-appartenance à une autre religion, c'est-à-dire que le marqueur strictement religieux (la pratique) est neutralisé au profit d'une appartenance ethnique. La judaïté se définit alors dans le cadre du paradigme nationaliste du dix-neuvième siècle (un état, une terre, une langue)" (7). A cela répond Benny Lévy, un philosophe français de gauche, qui termina sa vie à Jérusalem en Haredims, dirigeant une Yeshiva. Pour lui, être Juif s'est réalisé le mode de vie de la Torah, par l'étude seulement et la pratique. La vérité réside seule dans le "Livre" qui peut nous changer. Le juif est l'Universel, non pas l'Homme des humanistes de dix-huitième siècle. Et il ajoute, la politique est l'autonomie de l'humain qui ne peut mener qu'à la tyrannie, sans "pasteur" (8). Donc rejet en bloc des trois fondements du Sionisme, le nationalisme, le juif est l'Universel, donc ne peut être confiné à une nation, une ethnie comme le décrit Olivier Roy. Il rejette la laïcité, être juif s'est avant tout la pratique, l'étude et surtout l'autonomie de l'humain sans "pasteur" est source de tyrannie. Il récuse aussi la démocratie puis quelle est aussi une conséquence de l'autonomie de l'humain consacré par cet humanisme du dix-huitième siècle qu'il ne reconnaît pas. Voilà tout l'édifice du sionisme ébranlé.
Il est difficile de faire la part des choses, entre la pression qu'Israël subit à cause de son entêtement à méconnaître le droit des palestiniens à avoir un état viable et les dégâts occasionnés sur la société par l'attitude des Haredims. Mais justement, cette attitude négationniste à l'égard des palestiniens n'est-elle pas également influencée par ces mêmes Haredims? L'état d'Israël est-il en danger du fait de ses propres habitants? La réponse est difficile à trouver tant la réalité est contradictoire. Je citerais quelques faits. Le ministère de l'intégration a publié en fin 2008 des statistiques qui montrent que le nombre d'immigrants a baissé de vingt-cinq pour cent par rapport à l'année précédente. Tzipi Livni, déclarait le treize août que des centaines de milliers d'Israéliens étaient à la recherche de passeport étranger, achetaient des maisons à travers le monde et inscrivaient leur enfant dans des universités étrangères. À la veille des élections législatives, l'écrivain Amos Oz annonçait la fondation, avec d'autres intellectuels et politiciens, d'un nouveau parti, La Nouvelle Gauche. Il espérait récupérer les voix des déçus du parti Travailliste et du Meretz, qu'il accuse d'avoir cédé aux revendications des ultras orthodoxes. Ce parti n'obtiendra aucun siège. Témoin de la ségrégation rampante au sein de la société Israélienne, le vingt et un juillet, un sondage effectuait par le Yedioth Ahronot et la société Gesher, montrait que respectivement cinquante et un et soixante-treize pour cent des laïques et des Haredims, n'aimeraient pas habiter dans le même quartier. Inversement, en mai, la Haute Cour de Justice instaurait l'égalité du financement étatique des services sociaux, qu'ils soient adressés aux citoyens religieux ou aux laïcs. En 2006 une Yeshiva laïque, mettant l'accent sur le judaïsme en tant que culture et non pas uniquement une religion, ouvre ses portes à Jérusalem. En 2008 également, un laïc reprend aux Haredims la municipalité de Jérusalem. Trois événements positifs, certes, mais qui sont réactifs, démontrent l'existence d'un malaise au sein de la société israélienne et la dégradation des idéaux sionistes. Mais encore une fois, pour survivre, Israël doit-il rétablir en force ces idéaux que les Haredims ne reconnaissent pas? Je laisse la réponse à Peter Sloterdjik, qui parlant du destin des juifs, dit qu'ils disposent de "l'alternative historique entre l'option des Macabées et celle de l'Apocalypse, en un mot: entre l'insurrection anti-impériale séculaire et l'espoir religieux ou parareligieux dans la chute globale des systèmes-une alternative à laquelle la modernité n'a ajouté qu'une troisième valeur, mais décisive : celle du dépassement réformiste, visant à rétablir des situations anormales dans des délais moyens par le biais de l'application de procédure libérales-démocrates. Il n'est pas nécessaire d'expliquer pourquoi la troisième option constitue la seule stratégie de civilisation ayant à terme des chances de réussir" (9).
1- Bureau Central Israélien des Statistiques.
2- ArielUniversityCenter Of Samaria 15/12/08.
3- Yedioth Ahronot 29/6/9.
4- Yedioth Ahronot 25/6/9.
5- Haartez 13/8/9.
6- Yedioth Ahronot 12/2/9.
7- La Sainte Ignorance, Olivier Roy, Seuil, pages118,119.
8- Le Livre et les livres, Alain Finkielkraut & Benny Lévy, Verdier, pages 9,70,83,84,129 à 133.
9- Colère et Temps, Peter Sloterdjik, Libella, page 130.
Amine Issa
02/09/2009