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citoyen libanais
6 janvier 2010

La dangereuse unité des chrétiens

Dans les grands moments de tensions, des politiciens chrétiens ont souhaité l'unité de leur communauté pour la préserver. Prenant exemple sur les autres constituantes de la république, ils pensent que celles-ci en parlant d'une même voix ont assuré des privilèges à leurs membres. Seule l'atomisation des partis chrétiens serait responsable de leur marginalisation politique. Cette conviction est appelée à se développer depuis que le président de la Chambre ressort des cartons la déconfessionnalisation du système politique. Sur ce point, on peut autant lui donner raison sur le principe que de s'étonner de son insistance sur l'urgence existentielle de la matière. Pourquoi maintenant et à la hussarde, alors que l'on vient d'échapper à un bain de sang entre les confessions mahométanes qui auraient, sans aucun doute, entraînés dans la tuerie généralisée les chrétiens? Alors que les esprits sont échauffés et que la suspicion est généralisée? Pourquoi par le biais de la politique (le président du Parlement est le chef d'un parti confessionnel, membre d'une coalition opposée à la majorité parlementaire) et pas celui de la société? Ce sujet devrait être avant tout abordé par l'éducation,  l'histoire de la nation, la pratique de la cœxistance, pour ensuite être institutionnalisé. La démarche est encore une fois louable, l'approche est suspecte. 

Quel est le fondement de l'union d'une communauté? Elle doit se faire selon l'idée de l'adhésion de tous à un principe commun. Celui-ci peut être d'ordre religieux ou séculier. Religieux entend que, la vérité ultime qui commande le comportement des individus, est d'ordre divin, inscrit dans les livres sacrés, auquel tous souscrivent, sans distinction. Cela implique une soumission de la politique, de la culture, des rapports sociaux, de l'économie, à l'interprétation de ces mêmes textes. Soumission par la foi aveugle ou par la foi et la raison que saint Thomas d'Aquin a introduite comme outil de compréhension de la volonté divine. Or, les évangiles sont clairs là-dessus, la foi est une question d'ordre privé et ne doit en aucune façon s'immiscer dans la gestion de la cité qui est du ressort des hommes, du "César" comme le précise le texte évangélique. Pourtant, il y eut l'Empire Romain dont le prince se convertit au christianisme et gouverna au nom de Dieu. Ensuite, le Saint-Empire germanique dont les souverains européens, sacrés par les Papes, se disputèrent la direction, pour gérer le monde par procuration céleste. Quand l'Empire se défit et que les nations indépendantes commencèrent à se former, les rois ne prétendaient pas moins à la "souveraineté de droit divin". Quatre événements capitaux mirent fin graduellement à cette anomalie qui n'avait que suffisamment duré. La réforme protestante qui débute au 14ème siècle, la révolution anglaise au 17ème siècle et les révolutions américaine et française au 18ème siècle. Ces quatre développements essentiels se sont déployés sur fond de théories philosophiques et de découvertes scientifiques qui allaient remettre en question l'ensemble du système politique et de la compréhension du monde prévalant jusque-là. Depuis, les pays chrétiens se sont certes faits la guerre, mais plus jamais au nom de Dieu. Qui veut croire, croit, qui est athée est libre de l'être, plus personne ne prétend soumettre l'autre au nom d'une vérité transcendantale. Aux États-Unis, la religion est restée une référence pour les américains et cela pour deux raisons. D'abord, croyant et n'ayant pas à combattre un clergé impliqué dans la gestion de l'Etat comme c'était le cas en Europe, la religion est ses représentants ne les rebutait pas comme pour les révolutionnaires européens. Deuxièmement, les premiers américains étaient tous des immigrants de plusieurs nations européennes, de langue et de culture différentes, dans un continent qu'ils découvraient. La religion leur servit d'identité de substitution avant qu'ils ne forment une nouvelle nation. Mais dès l'origine, ceux qui avaient fui l'Europe de la persécution à cause de leurs religions ou de leurs idées politiques, surent confinés leur croyance dans la sphère privée et fondèrent ce qu'on appelle encore aux États-Unis la "Religion civile". Que le président jure serment sur la bible ou qu'il se rende à la messe, ne doit tromper personne, la séparation des pouvoirs est durablement inscrite dans la constitution et l'esprit des américains. Quand les néo-évangélistes, sous l'ère des républicains et plus particulièrement du président Georges W. Bush, ont prétendu et avec succès, donner une coloration religieuse à la conduite des affaires d'Etat, l'Amérique s'est engagée dans des expéditions militaires dont elle n'est pas encore sortie et son image à travers le monde s'est dégradée à un point inégalé à ce jour.

Au Liban, les chrétiens tiennent deux discours. Le premier qui est en relation avec ce qui précède est celui des chrétiens du 14 mars. En gros, ils considèrent le Patriarcat maronite comme l'ultime référant national et prétendent se plier à ses décisions. Quelle que soit leur sincérité, il n'en reste pas moins que la religion est instrumentalisée pour légitimer le pouvoir de ceux qui affirment agir en harmonie avec les instructions de son plus haut représentant. Nous n'en sommes pas encore à un rétablissement du Césaro-Papisme et le patriarche n'a encore sacré aucun homme politique. Mais cela dénote un état d'esprit. Celui qui ne partage pas notre avis, s'oppose au Patriarche et donc à Dieu. L'on n'imagine pas le potentiel d'exclusion et de violence que cette attitude contient. Il est inutile ensuite de parler de fraternité chrétienne et de démocratie.

La seconde forme que peut prendre l'adhésion de tous à un principe commun et comme je l'indiquais, séculier. Ainsi au lendemain de la Révolution française, il fut entendu que le prince ne gouvernerait plus que par procuration. Le peuple choisirait librement ses représentants et ceux-là assumeraient le pouvoir. Mais au nom de ce principe, les représentants du peuple en virent à éliminer toute forme de contestation. Quiconque s'opposait au prince, s'opposait au peuple et il fallait le neutraliser. Ce fut la "Terreur", un bain de sang que les rois les plus sanglants n'avaient provoqué. Le principe démocratique était perverti par la démocratie elle-même. Comment cela put se passer? La réponse est simple. Au lieu de partir de l'individu, comme principe premier et valeur intangible, qui s'associe librement avec d'autres individus pour édicter ensemble des lois qui les gouvernent sous la forme d'une communauté politique, on a fait précéder la communauté politique sur l'individu. Cette logique a connu ses développements les plus extensifs avec les fascismes de droite et de gauche, le national-socialisme et le communisme. Dans leur logique, les régimes personnifiés la volonté des peuples, étaient issus de l'unanimité et étaient au service de l'ensemble, donc incontestables. Toute protestation était dirigée contre la volonté du peuple, pour les uns, les nationaux socialistes, contre la communauté raciale et la supériorité du "Volk" (peuple) allemand, les autres, les communistes, contre la classe ouvrière. On pouvait alors légitimement "éduquer  soit neutraliser" toute voix discordante. Ce qui fut fait au prix de dizaines de millions de morts tant en Allemagne, qu'en URSS, qu'en Chine et au Cambodge. Forte de sa représentativité populaire, le Général Aoun s'est prévalu de cette même logique il y a vingt ans, quand il disposait de moyens militaires, pour éliminer une milice certes devenue comme toutes les autres impopulaires, qui refusait de reconnaître sa seule autorité sur les régions chrétiennes. C'est en sa qualité de représentant des chrétiens qu'il signe un accord avec le représentant de la communauté chiite. Ce n'est pas le contenu de l'accord qui est critiquable que le statut que s'octroient ses deux signataires et l'injonction que fait le Général aux autres chrétiens de s'y rallier du moment qu'il en est lui le promoteur. C'est la même logique d'intolérance qui prévaut dans son discours quand il traite ces adversaires chrétiens de noms d'oiseaux pour marquer leur insignifiance et de n'être que les faire-valoir du Courant du Futur.

Les deux courants représentant les chrétiens confondent élection et démocratie. L'obtention d'une majorité de voix ne fait que renvoyer les perdants dans l'opposition, elle ne signifie en aucune façon leurs ralliements aux vainqueurs. Aucun plébiscite quelque soit son ampleur ne doit exclure l'alternative de l'alternance. La défense d'une communauté, d'une nation est d'abord le respect de l'individu dans sa différence, dans le respect de la loi et non pas par sa soumission à l'avis du plus grand nombre. C'est à cette seule condition que les individus se sentent libres, réfléchissent, s'instruisent, innovent et font avancer leurs sociétés. Les régimes qui ignorent encore cette évidence arrachée de longue lutte sont en faillite socialement et économiquement. Le miracle chinois devient un mirage pour les centaines de millions de paysans miséreux. La démocratie indienne est un échec pour l'égalité des droits face à la ségrégation que perpétue le système des castes. Le pétrole des monarchies, figé dans un système politique archaïque, s'épuisera avant qu'une économie indépendante des hydrocarbures ne puisse assurer la survie de ces pays. La "démocratie souveraine", entendre par ces mots l'autoritarisme du pouvoir, cher aux dirigeants russes, empêche cette immense nation de retrouver son rang. Les dernières élections en Bosnie-Herzégovine ont renouvelé le mandat des dirigeants qui se présentaient sur une plateforme strictement communautaire, croates, bosniaques et musulmanes. Ce pays ne vit que de trafic et des subsides de l'Europe.
Le jour où les chrétiens n'auront plus qu'un seul représentant, il faudra s'inquiéter pour leur avenir.

 Amine Issa

L'Orient - Le Jour

 06/01/2010

 

 

 

 

 

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