Tous irresponsables
L’OCDE, dans son dernier rapport sur l’économie mondiale, le 16 juin, confirme une tendance lourde, depuis les années 90, à savoir une croissance constante de la part des pays émergents dans le PIB mondial. Il était de 38% en 2000 et sera de 57% en 2030. Le même rapport souligne que cet accroissement de richesse s’accompagne de celui des inégalités. Thomas Friedman dans le New York Times, constate lui, que si les pays émergents ont en 2009 connu des taux de croissance élevés, alors que les pays industrialisés du Nord pataugeaient dans la récession, ils ont par contre subi, excepté l’Inde, un déficit en démocratie. Viennent en tête du peloton, la Chine, l’Iran et le Venezuela. Le Liban n’est pas en reste avec une croissance de 8%. Si l’inégalité y est une bombe à retardement, le déficit en démocratie est une bombe dont la mèche est allumée. La démocratie ne consiste pas uniquement pour les hommes politiques à se faire élire et diriger. C’est tout autant leurs pratiques politiques, c’est-à-dire le débat qu’animent les adversaires, sa forme et son fond. Le débat chez les Grecs, inventeurs de la démocratie, devait selon Platon respecter la règle essentielle de la mesure des propos et ne rechercher que le bien commun. Chaque fois que la mesure était dépassée, l’agora, où se déroulait le débat, se transformait en un cirque sanglant et la cité était ruinée. Depuis l’antiquité ni l’histoire ni personne n’a pu contredire cette règle. Or nos dirigeants, viennent ces deux dernières semaines, nous rappeler si nous l’avions oublié, qu’ils n’ont que faire de cette règle. Le mot Démocratie émaille sans cesse leurs discours, plus comme un aveu d’impuissance à éliminer l’autre, qu’une sincère conviction en ses vertus. Deux événements illustrent ce triste constat. Le premier est la commémoration de l’anniversaire du massacre d’Ehden et des représailles qui l’ont suivi, le second est la séance parlementaire sur les droits sociaux des réfugiés palestiniens. Dans le premier cas, cet épisode dramatique de la lutte interchrétienne a donné lieu à un déversement de haines sur les sites officiels des Marada et des Forces libanaises, relayés par les médias du CPL. Certes il ne faut pas oublier, même si la Justice a officiellement amnistié tous les crimes de la guerre civile. Mais le devoir de mémoire comprend une dimension pédagogique. L’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a regardé son passé récent et en a tiré les conclusions qu’il fallait. Aucun conflit entre ces Etats ne se ressouderait désormais sur les champs de bataille. La paix entre les nations devient l’état normal du continent et non plus une trêve entre deux guerres. L’incitation à la haine, le déni de l’autre et le racisme seront punis par la loi. Et si les banlieues des grandes métropoles avec leur population d’immigrés ne sont pas des cités idéales, c’est loin d’être Kandahar. Or, ce que nous avons entendu et écouté sur les médias cités plus haut, se résume en une expression: Un appel au meurtre. Tel est le débat politique entre les chrétiens, tel est leur programme politique.
Walid Joumblatt, de son côté, a encore une fois ressuscité le cadavre d’une terminologie décédée. Si ses adversaires sont de droite donc lui est de gauche. Le «Capitaliste rouge» de Sibline, le seigneur de Moukhtara, un homme de gauche? Ses adversaires représentent de surcroît une droite « stupide ». Stupide pour avoir refusé de voter en une seule séance les droits sociaux aux réfugiés palestiniens, alors que cette question empoisonne l’existence des Libanais depuis 60 ans. Stupide parce qu’insensibles aux souffrances des réfugiés et traîtres à la cause palestinienne. Bref tout le chapelet des imprécations qui avaient précédé et alimenté le discours politique avant et pendant la guerre civile.
Voilà deux belles leçons qui mériteraient de figurer dans un ouvrage de science politique intitulé «Manuel d’autodestruction des nations». En plébiscitant sans cesse les mêmes partis et dirigeants, ne sommes-nous pas les coauteurs de cet ouvrage?
Amine Issa
L’Hébdo Magazine
02/06/2010