De l’Imam Ali à AhmadiNejad
L’histoire de la pensée chiite, ne commence pas avec l’Imam Khomeyni. Pour comprendre la deuxième plus importante branche de l’Islam, il faut remonter à l’Imam Ali. Il faut surtout préciser le rôle qui lui est dévolu dans la réflexion que font les chiites sur eux même. L’Imam Ali, à travers les grands textes est le récipiendaire de la «Haqiqua Mohamadiya» c'est-à-dire de la vérité ultime, contenu dans le Coran. Or cette vérité n’est pas à la portée de n’importe quel lecteur du livre saint. Yahia Shoravardi et Molla Sadra Chirazi pour ne citer qu’eux, ont tracé les chemins vers la découverte de cette vérité. Elle est un effort intellectuel, un voyage initiatique, vers l’ «Orient» d’où jaillit la lumière, la vérité. Au cours de cette longue quête on découvre des repères moraux qui nous évitent les erreurs dans notre parcours humain. Le rôle des onze saints imams infaillibles qui ont succédé au premier d’entre eux, l’Imam Ali, est de nous aider à trouver le chemin de cette vérité. Ils ont ainsi vécu, loin des affaires de l’Etat, éclairant les esprits. Les conditions du martyr de l’Imam Hussein sont, en eux mêmes, la démonstration de son mépris pour le pouvoir. Si les Imams ne sont plus là, leurs enseignements demeurent. La première rupture avec cette compréhension de la religion est apparue avec la conversion au seizième siècle des souverains iraniens séfévides au chiisme. Ils le firent par calcul politique. Voulant se doter d’une légitimité religieuse face aux ottomans sunnites, ils changèrent de confession. Ignorants de la pensée chiite, ils importèrent du Liban et d’ailleurs, des ulémas chiites. En vain, à part la légitimité de façade qu’ils tirèrent d’uléma à leur solde, ils ne purent apporter un changement radical dans la pensée chiite qui restait réfractaire à toute implication dans les affaires politiques. Ce n’est qu’à la moitié du vingtième siècle qu’apparurent les premières tentatives sérieuses de théoriser l’implication de la religion imamite dans la gouvernance de la nation. Elles furent formalisées par l’Imam Khomeyni à travers sa théorie de «Wilayat Al Fakih». L’influence du sunnite Sayed Quotob, théoricien des Fréres Mususulmans, chantre du gouvernement islamique, dont l’Imam Khomeiny à traduit les œuvres, est avéré dans la pensée de l’Imam.
Au Liban, cette théorie du pouvoir adoptée par le Hezbollah, doit plus son succès à des conditions politiques qu’idéologiques. Aides financières aux plus démunis, absence de l’Etat, replis communautaires face aux dangers existentiels qu’ont représenté la guerre civile et les invasions israéliennes, canal d’expression politique en l’absence de structure multiconfessionnelle. Pourtant, cela n’a pas toujours était le cas. Je rappellerais qu’au moment où le Liban subissait le gouvernement du confessionnalisme politique, représenté par les maronites, les sunnites et les druzes, les chiites formaient l’épine dorsale de tous les partis laïcs et progressistes. L’imam Moussa Sadr, en organisant sa communauté à l’image des trois autres, ne lui rendit service que sur le court terme. L’Imam Mohamed Mehdi Chamsseddine, pour ne citer que lui, fut alarmé par cette dérive et l’exprima au crépuscule de sa vie. Il est aujourd’hui ignoré, tant il est gênant.
Mais c’est en Iran qu’il faut observer le rejet de cette réinterprétation de la pensée chiite. D'abord pour l’histoire, si l’Imam Khomeyni souleva tant d’enthousiasme c’est que Le Chah était un despote qui n’avait pas compris l’attachement des Iraniens à leurs traditions et leur rejet de sa dictature. Il ne faut pas, non plus, oublier la participation essentielle des communistes et des libéraux à la révolution. Ils s’opposèrent à la qualification de la république «islamique», ils furent éliminés. Enfin, le décès des principaux «marja» chiites facilita à l’Imam Khomeiny sa mainmise idéologique. La répression sanglante des opposants dans les années quatre-vingt, le plébiscite du président Khatami, dix-huit ans seulement après la révolution et la contestation constante depuis du régime, apporte la démonstration du rejet de ce système politique dans lequel les chiites ne se reconnaissent pas.
Je me suis rendu en Iran. J’y ai rencontré des gens de la rue qui critiquent sans peur, leurs gouvernants mais sont prêts à mourir pour défendre leur pays. J’ai discuté avec des intellectuels, qui se réfèrent aujourd’hui à Abdel Karim Sorroush, chef de file des réformateurs, inventeur de la «laïcité positive». J’ai écouté des attristes doués et rebelles. J’y ai croisé des femmes dont le voile était un séduisant accessoire de coquetterie. J’y ai vu un peuple, libre, entreprenant, indocile, qui aime Dieu sans tapage. Je n’y ai rencontré nulle part Mahmoud AhmadiNejad.
Amine Issa
L’Hébdo Magazine
15/10/10