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citoyen libanais
7 janvier 2011

Vrai malaise, faux diagnostic

La proposition de Boutros Harb d’interdire la vente de terrains appartenant à des chrétiens, à des Libanais d’autres religions et inversement, est inutile. Elle est un recours à la loi, qui au Liban, n’est plus une garantie, compte tenu du niveau de corruption au sein de l’Administration. Sur un sujet aussi sensible, celui de la naturalisation massive en 1994, les agents de l’Etat, des moukhtars, avaient falsifié à tour de bras les certificats de domiciliation de musulmans dans des villages chrétiens où ils n’avaient jamais mis les pieds. Ces moukhtars chrétiens n’ont jamais été inquiétés à l’époque par les ministres chrétiens qui siégeaient au gouvernement.

Le tollé provoqué par la proposition de Harb, qu’on accuse de vouloir consacrer la ségrégation territoriale au Liban, est tout aussi justifié qu’hypocrite. Oui, empêcher un chrétien de vendre sa propriété à un musulman est contraire à la Constitution, à la liberté de disposer de son bien, à la libre circulation des Libanais sur tout le territoire, à l’interdépendance et à l’émulation entre les familles culturelles qui forment le Liban. La condamnation la plus virulente est venue de Walid Joumblatt, lui qui fait tout bas ce que Boutros Harb dit tout haut.

Cependant, le flot de condamnations esquive maladroitement la réalité du problème. Oui, les chrétiens ressentent un malaise. L’achat massif de terrains par des musulmans leur fait peur. Mais d’abord pourquoi vendent-ils? L’appât du gain n’est pas une explication suffisante. La grande majorité de ceux qui se désistent de leurs biens le font soit parce qu’ils sont dans le besoin, soit qu’ils ne se rendent plus que de façon épisodique dans leurs villages où ils possèdent ces terrains. Ce sont donc principalement des raisons économiques. On ne quitte pas son village si on y trouve du travail et des services sociaux de qualité. C’est aussi parce que les riches et les moins riches qui se séparent de leurs terrains ne sentent plus appartenir aux régions périphériques qu’ils abandonnent. Raison donc économique et identitaire. C’est la conséquence de la concentration, depuis vingt ans, du gros de l’effort d’investissement tant étatique que privé dans la capitale et ses environs immédiats. C’est la conséquence d’une rémunération du capital financier au détriment du travail des Libanais qui n’y trouvent plus leur compte et désertent le pays dès qu’ils le peuvent. La réparation du mal est la responsabilité de l’Etat en premier lieu. Mais si les partenaires chrétiens de cet Etat n’avaient pas de voix, sont-ils toujours aphones depuis 2005? Qu’ont-ils fait depuis cette date, à partir de laquelle le phénomène de vente s’est accéléré, pour inciter leurs nouveaux alliés des autres confessions à réhabiliter économiquement les villages mis à l’encan? Qu’ont-ils fait pour que les chrétiens du Akkar, du Sud et de la Békaa ne se sentent pas déclassés par rapport à ceux du Mont-Liban? Qu’ont-ils fait à part la négation du phénomène ou verser des larmes de crocodile? Trop occupé sans doute à mener les batailles des autres. C’est à eux que Harb devrait d’abord s’adresser.

Pourquoi les chrétiens ont-ils peur de l’achat de terrains par des musulmans et surtout par les chiites? Il faut tout d’abord préciser que les druzes partagent cette peur, ensuite, cette question en appelle une autre. Pourquoi les chiites achètent-ils des terrains? L’explication du nombre n’est pas convaincante. D’abord le Sud et la Békaa, où ils sont implantés majoritairement, ont une densité démographique très basse. Deuxièmement, s’ils ont augmenté en nombre, aujourd’hui leur taux de fécondité par femme (2,2 enfants) se rapproche inexorablement de celui de la moyenne nationale (2 enfants) et ne dépasse que d’une fraction le taux de renouvellement d’une population qui est établi à 2,1 enfants par femme (1). Ce qui pousse les chiites à acquérir de nouveau bien-fonds est essentiellement leur pouvoir d’achat qui s’est accru (on ne peut que s’en féliciter) et l’impulsion du Hezbollah à le faire. Celui-ci, en guerre ouverte contre Israël, se sentant menacé même à l’intérieur du Liban, a le syndrome de l’encerclement. Pour pouvoir mieux se défendre, il lui semble impératif de relier ses zones d’implantations principales, le Sud, la Békaa et la banlieue sud, ou du moins étendre leurs superficies pour pouvoir en rendre l’occupation plus difficile. Or ces couloirs et ces zones de développement sont détenus principalement par des chrétiens et des druzes. C’est cette occupation «militante» du territoire qui effraye. Ce n’est pas le citoyen chiite qui fait peur. C’est l’image d’un Hezbollah militarisé, idéologiquement motivé, son attitude hégémonique, qui sont un repoussoir. Il faut que le Hezbollah sache que ce bouclier est illusoire et que la protection de la communauté chiite ne se trouve pas au sein d’une forteresse.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

07/01/2011

 

1-   Administration centrale de la statistique-2006

 

 

 

 

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