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citoyen libanais
21 janvier 2011

Le feu contre la violence

Grâce aux séries télévisées américaines, on peut facilement imaginer la scène suivante. Dans une salle sombre, éclairée par d’immenses écrans, les adjoints du président Bush évaluent, avec lui, le chiffre acceptable de pertes humaines pour  l’invasion de l’Irak. 1000 Marines. Au-delà de ce nombre, chaque soldat tué se répercutera négativement sur le parti républicain. 4000 soldats sont morts et le parti républicain en 2008 a perdu le pouvoir. En 2006, avant de lancer leur machine à tuer, les dirigeants israéliens ont vraisemblablement fait le même calcul. 120 soldats israéliens et 1300 civils libanais étaient, sans doute, le plafond autorisé pour briser les reins au Hezbollah. Ce chiffre atteint, mais sans le résultat escompté, Israël se retire piteusement et Kadima est relégué à l’opposition. En Tunisie, si l’enjeu est différent, la logique est la même. Les militaires ont estimé à cinquante, le nombre de manifestants qui pouvaient mourir avant qu’ils ne doivent renvoyer le président Ben Ali. On n’a pas su combien de Tunisiens étaient prêts à se sacrifier avant de baisser les bras. Le Hezbollah considère que le Tribunal spécial pour le Liban est une machinerie internationale créée pour le détruire. On sait que du jour où Daniel Bellemare a livré l’acte d’accusation à la sentence du juge, des années peuvent s’écouler. Entre la déconsidération des preuves, du sérieux de l’enquête dont les détails sonores sont sur toutes les chaînes, à la défense des inculpés, aux pressions diplomatiques des nations alliées au Hezbollah, le verdict n’est pas acquis. Le Hezbollah le sait et son secrétaire général, en reconnaissant l’impossibilité d’annuler le tribunal, se prépare à l’affronter. Il demande aux Libanais d’annuler la couverture légale du gouvernement à ce tribunal. C’est un des atouts, parmi bien d’autres, qu’il veut détenir dans sa bataille. Mais à quel prix? Malgré tous les démentis et les protestations pacifistes, la démonstration de force de mardi matin est un signal fort. Le 7 mai 2008 est toujours dans les esprits et sa réédition, même s’il était suicidaire pour le Hezbollah, n’est pas à exclure définitivement. Donc la question qui se pose est la suivante: en admettant la mauvaise foi de ses adversaires, dans sa stratégie de défense, combien de morts libanais le Hezbollah est-il prêt à admettre pour obtenir gain de cause, alors qu’il clame à qui veut l’entendre que le complot est international et que ses adversaires libanais ne sont que des pions? Ces morts peuvent être de son fait et ensuite par celui d’islamistes radicaux qui ne manqueront pas de réapparaître.  

Hassan Nasrallah a félicité le peuple tunisien pour son combat. Je ne sais pas dans quelle mesure, lui et tous les gouvernants ont saisi la signification du phénomène inédit qui est brusquement apparu. Je ne parle pas du renversement d’un dictateur, mais de la vague d’immolation par le feu qui l’a précédé et suivi. Partie de Tunisie, elle a traversé l’Egypte, l’Algérie et la Mauritanie. Qu’est-ce qui a poussé ces individus à se donner la mort? Le désespoir. Celui-ci est né de l’absence de liberté, de la corruption et de l’affairisme au sommet de l’Etat, du chômage et de l’impossibilité de vivre dignement. Difficultés, somme toute communes, que la majorité des Libanais partagent. Ce qui reste surprenant est la façon d’exprimer ce désespoir, par le suicide. C’est un acte de protestation totalement étranger à nos traditions, contraire aux lois des trois religions monothéistes de l’Orient. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il est à rebours de la vague d’attentats suicides par lesquels d’autres désespérés ont exprimé leurs colères en se tuant et provoquant la mort d’innocents. On pensait que cela était devenu l’unique mode de résistance et de revendications. Les immolés par le feu bousculent les consciences, mobilisent une foule qui, sans meneurs, sans partis, renverse un régime, sous les balles des tueurs du dictateur, en brandissant pour seule arme du Jasmin. La réaction des régimes arabes à la suite du renvoi du président Ben Ali  est symptomatique d’une incompréhension totale du phénomène. Du déni de la répétition du scénario tunisien ailleurs, au rétablissement en catastrophe de subventions, les gouvernants arabes ont ainsi révélé leurs malaises. Les anciennes recettes de la répression, craignent-ils, peuvent cette fois être indigestes et se retourner contre ceux qui les ont concoctées. Il faut peut-être qu’un Libanais s’immole par le feu pour que le Hezbollah renonce à l’usage de la force et que la classe politique établisse un Etat de droit et égalitaire. 

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

21/01/2011

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