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citoyen libanais
8 avril 2011

Roumié, Wikileaks, la Libye et Damas

«Peu d’informations sont publiées sur les prisons: c’est l’une des régions cachées de notre système social, une des cases noires de notre vie». Cette phrase est tirée du manifeste du Groupe d’information sur les prisons en France en 1971, parrainé par Michel Foucault. C’est à cette même date qu’a été inaugurée la prison de Roumié. Je ne saurais me prononcer pour la France, mais 40 ans plus tard, la prison est toujours «une case noire» au Liban. Pour certains, la mutinerie était manipulée; pour d’autres, il ne faut y voir que la conséquence des conditions abominables d’incarcération. Mais aucun ne se pose la question de l’exclusion. De ceux qu’on cache derrière les barreaux. La prison est occupée par des criminels. Ils y paient l’amende que la société leur a infligée. Celle-ci leur doit en retour l’opportunité de se racheter. Mais il ne peut y avoir rédemption quand il y a déni de réalité. Comme dans toutes les sociétés, les criminels sont le miroir de la nôtre. Ils sont l’aveu d’un échec. Comme pour tant d’autres mal fonctionnements, nous refusons de le reconnaître. Nous refusons d’avouer que nous produisons des criminels. Ils sont enfermés, livrés à leurs geôliers. Nous ne les voyons pas et c’est très bien comme cela!

 

*

Autre phénomène, même aveuglement. Les dernières révélations de Wikileaks. Partielles certes, mais suffisantes. Le 14 mars réuni, et des politiciens du 8 mars, ont avoué leur ressentiment et leur méfiance à l’égard du Hezbollah aux émissaires américains pendant l’agression israélienne de 2006. Le Hezbollah n’y voit que haute trahison. Souvenons-nous de Nasser en 1958 qui soutient la révolte contre Camille Chamoun et les Américains qui y mettent fin. Des Syriens au Liban en 1976 qui, tour à tour, laminent le Mouvement national et l’OLP au profit des chrétiens puis se retournent contre les Forces libanaises. Les Israéliens, en 1982, qui chassent les Palestiniens au plus grand soulagement des chiites au Sud et des chrétiens plus au Nord, puis tendent un piège à ces derniers dans la Montagne. De l’armée syrienne qui déloge le général Aoun en 1990 au profit de ses ennemis, dont le Hezbollah. Depuis 1958, lequel des camps n’a-t-il pas applaudi à la défaite de son adversaire par une armée étrangère? C’est quand les Libanais renonceront à chercher des appuis au-delà des frontières que les télégrammes de Wikileaks nous apprendront quelque chose.

*

En Libye, les Occidentaux ont rangé leurs avions et dégainé de nouveau les calculatrices. Les Américains ont retiré leurs bombardiers et les Européens ont ralenti la cadence des raids aériens. Le commandant des forces rebelles se dit «déçu» par la prestation de l’Otan, son armée piétine. Sans doute, les rebelles ont-ils hésité à signer dès aujourd’hui des contrats exclusifs avec les grandes compagnies occidentales, pour l’extraction du pétrole. Ce qui a sans doute refroidi les réacteurs des avions de chasse. Voilà qui permet à ceux qui ne voient dans l’intervention occidentale, même si en définitif elle déloge Kadhafi, qu’un retour des colonisateurs. Mais qu’ils aillent dire cela droit dans les yeux aux soldats rebelles qui, il y a une semaine, étaient au bord de la capitulation. Ils risquent d’y perdre leur langue. Au sens propre.

 

*

En Syrie, le marché du travail doit absorber tous les ans 250000 arrivants. L’Etat propose 20000 emplois annuellement. Le secteur privé doit couvrir la différence. Celui-ci, pour se développer, a besoin de crédit. La Syrie est placée au 181e rang des 183 pays en termes d’accès au crédit. Le problème reste entier. Or les dernières initiatives du président syrien sont les suivantes: il ordonne la fermeture du seul casino existant en Syrie; il réintègre les enseignantes de l’école publique qui avaient été écartées pour cause de port du Niqab; il crée un nouvel institut d’étude de la Charia à Damas et lance une télévision satellitaire affectée au prêche religieux. Pour remplir les assiettes, il faudra repasser. Mais ces mesures encourageront certainement la frange la plus démocratique de la population. En 1971, le président Sadate avait commencé un long flirt avec les islamistes pour contrecarrer les nassériens et tous les partis laïques de gauche. On connaît la suite. C’était il y a quarante ans. Le président Assad avait six ans. Il peut s’en souvenir.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

08/04/11

 

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