Ah, les bonnes vieilles méthodes! Le régime syrien, gêné aux entournures, rappelle à Israël et à l’Occident sa capacité de nuisance. Après la déroute de 1948, la raclée de 1967, la fausse victoire de 1973 et la débandade de 1982, les Arabes avaient renoncé à défaire militairement l’Etat hébreu. Restent les réfugiés palestiniens que l’on exhibe chaque fois que le besoin se fait sentir. Cette fois, à Damas l’alerte est chaude, donc on sort les grands moyens. Interdits de frontières depuis des décennies, les réfugiés sont embarqués, dimanche, par les Syriens et leurs alliés pour une sortie «drapeaux et jets de pierres».

Voilà ce qu’ont vu les organisateurs: des morts pour CNN, l’octogénaire qui brandit sa clé rouillée et le salafiste de service, le col raide, qui débite en arabe littéraire la litanie du jihad et de Jérusalem terre sacrée. Les morts auront un bel enterrement et la vieille dame rangera sa clé. Le salafiste reviendra à ses livres et peut-être fabriquera-t-il une petite bombe. S’il renonce à l’utiliser, c’est très bien, si elle explose, c’est encore mieux, ça justifiera une nouvelle rafle.

Voilà ce qu’ont vu les Israéliens et les Occidentaux: l’avant-garde d’une armée de réfugiés prête à déferler sur toutes les frontières de l’Etat hébreu, chaque fois que le président Assad le jugera utile.

Il y a aussi ce que personne n’a voulu voir ou du moins comprendre: ce sont ces jeunes, vêtus de jeans et de t-shirts tagués, en baskets, et le keffieh élégamment enroulé autour du cou, tels des loups qui regardaient, droit dans les yeux, les tueurs de l’armée israélienne bardés de fer et de plomb. A chaque balle tirée, à chaque jeune abattu, un autre prenait sa place.

Le président Assad gagnera éventuellement son pari. Le message était très fort et peut-être sera-t-il reçu en Israël. Mais après le massacre des innocents, il faudra ramener les loups dans leurs tanières et les nourrir de nouveau du discours sur la oumma, la nation arabe, les sionistes, la Palestine éternelle, l’Amérique impériale, le front du refus et ses grands stratèges. Des loups? Oui face à Israël, mais dans les camps ce ne sont que des rats. On en a fait des rats. On les a parqués dans la fange, sans égouts, dans l’humidité et le froid, poissés par la chaleur, on leur a donné des sentiers pour rues, des murs aveugles pour balcons, des poubelles pour jardin et le larcin pour seule compétence. Mais la nuit, dans l’obscurité, le visage de ces jeunes est éclairé par une multitude d’écrans. Des téléphones, des tablettes, des ordinateurs, des télévisions, achetés, empruntés, volés, piratés… peu importe. Et qu’est ce qu’ils y voient? D’autres rats qui leur ressemblent, leurs voisins, qui parlent la même langue et le même langage, qui sont sortis des mêmes caves et ont, en Egypte et en Tunisie, renversé des despotes; en Libye et au Yémen, ont défié les tyrans; en Syrie, ont levé la tête. Des rats devenus loups et qui le sont restés. «L’on se reverra bientôt, dans un an, dans deux ans, dans un siècle», écrivait Mahmoud Darwich. Les rats des camps, devenus loups pour un jour, ne resteront plus dans leurs trous. Quand on goûte une fois à la liberté, à la dignité de mourir comme on veut, quand on voit la stupéfaction dans le regard des soldats israéliens, le temps du grand mensonge est terminé. Les Palestiniens de la diaspora respecteront la souveraineté des pays qui les accueillent. Ils ne veulent pas répéter les égarements de l’OLP à Amman et à Beyrouth. C’est un prix qu’ils ne payeront pas une troisième fois. Ils laisseront ceux de l’intérieur, de Gaza et de Cisjordanie mener le combat, qui est autant le leur. Mais qu’on ne les expose plus à la frontière, comme un ours sur une place publique, le carcan au cou. Face au mur d’acier d’Israël, ils pourraient se retourner contre les forains, au Liban comme en Syrie.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

20/05/11