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citoyen libanais
10 juin 2011

Les menteurs et nous

«Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose».

Joseph Goebbels

 

L’on savait déjà que les Israéliens étaient friands et consommaient sans modération des pistaches iraniennes, que les architectes de Tel-Aviv raffolaient du marbre gris et doré de Gohare, provenant des montagnes d’Ispahan. Aujourd’hui, l’on apprend que les tankers des frères Ofer, magnats de l’économie israélienne, se trouvent à quai à Bandar Abbas. Ces petits arrangements entre nations ennemies ne sont pas une nouveauté. Par contre, leur étalage, légèrement différé sur la place publique, et leur ampleur sont inédits. Peut-on croire encore les dirigeants iraniens qui, d’une main, veulent annihiler l’Etat hébreu et, de l’autre, engraissent ses armateurs? Peut-on croire encore les dirigeants israéliens qui brandissent la menace de la bombe iranienne et, tels les marchands du temple, écoulent le brut iranien pour quelques piastres de plus?

L’enrichissement, à n’importe quel prix, de sociétés commerciales israéliennes avec la complicité, ou du moins la complaisance de la classe politique, est un signe de duplicité et d’immoralité institutionnalisées. Prétendre encore qu’Israël est la seule démocratie dans ce Moyen-Orient «arriéré», c’est pervertir la signification de ce mot. L’Iran, lui, malgré les sanctions, n’a jamais connu de réelles difficultés à exporter son pétrole pour avoir recours à un transporteur israélien bon marché. Ces méthodes, pratiquées par les apparatchiks iraniens pour engranger des gains financiers afin de maintenir à flots un régime repu, sont à beaucoup d’égards semblables à celles qui ont enflammé les peuples arabes. Le régime iranien devrait se méfier. Il devrait examiner, par exemple, ce qui s’est passé chez son allié syrien, au lendemain du sanglant dimanche de Majdal Chams, où 23 Syriens et Palestiniens ont laissé leurs vies en tentant de démonter les barbelés qui les séparaient du Golan. Lundi, dans le camp palestinien de Yarmouk, proche de Damas, ont été enterrés les morts. Les chefs palestiniens, venus à la récupération, sont pris à partie par la foule. Leurs gardes tirent et d’autres Palestiniens meurent. Les parents des victimes vilipendaient leurs dirigeants, ainsi que l’armée syrienne, pour n’avoir pas répliqué dimanche quand les soldats israéliens ont ouvert le feu. Palestiniens et Syriens, disposés à donner leur vie pour fouler une terre occupée, ne la perdront plus pour sauver un régime à la recherche d’une diversion. Le temps des mystificateurs tire à sa fin. Les grands menteurs étaient d’ailleurs absents en Tunisie et en Egypte au moment de la révolte. Et quand, dans ces deux pays, des partis s’organiseront pour mener les élections, il y a fort à parier que leurs dirigeants seront moins enclins à vendre une marchandise périmée. Les dates de péremption ne sont plus extensibles. Même les Frères musulmans ont compris que leur slogan «l’islam est la solution» sans autre explication ne trouvait plus beaucoup d’acquéreurs.

Au Liban, en revanche, les vessies sont toujours vendues au rayon des lanternes et nous les achetons sans regarder à la dépense. La nouvelle majorité s’agite depuis 5 mois sans succès pour former un gouvernement. Deux obstacles sont avancés pour en excuser le retard. D’abord, la distribution des portefeuilles. On nous dit que l’avenir du Liban est tributaire de l’attribution des ministères de l’Intérieur ou de l’Energie à tel ou tel camp. C’est une prétention démesurée de la part de ceux qui le déclarent, ou tout simplement s’y accrochent, pour en tirer profits financiers et avantages électoraux. Le second obstacle, qui n’exclut pas le premier, est que, tantôt la Syrie ou l’Iran, tantôt les Etats-Unis, bloquent la formation du cabinet.  L’intervention de pays dans nos affaires n’est plus à démontrer. Mais cela signifie deux choses: ou nos dirigeants sont à la solde de ces pays, ou ils en ont peur. Ego hypertrophié, appétit financier et soif du pouvoir, déloyauté ou frilosité n’en font pas des hommes d’Etat.

Et nous, Libanais, dans tout cela? Repliés sur nos «identités meurtrières», avalant couleuvre après couleuvre, au pire, nous leur accordons le crédit qu’ils réclament pour nous couler la conscience tranquille, au mieux, indifférents, enfoncés dans notre petit confort, nous les laissons faire. Il y a une Bastille à prendre, personne ne nous la donnera, n’abandonnons pas la Place des Martyrs aux pigeons.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

10/06/2011

 

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