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citoyen libanais
2 septembre 2011

Abattre le monstre

L’hydre aux innombrables têtes se réveille de sa sieste. Ou plus exactement, les dompteurs en difficulté du cirque libanais dérangent son sommeil. La Syrie est déstabilisée, le gouvernement Hariri est tombé et le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) envoie une première charge; trois conditions suffisantes pour mettre en émoi le landernau politique. Auparavant, la déliquescence de l’Etat, le surendettement, la paupérisation des Libanais, la crise de l’Université libanaise, la pollution et la défiguration du pays, pour ne citer que ces quelques dysfonctionnements, ne valaient pas une montée en première ligne. Mais dès qu’une parcelle de pouvoir peut changer de propriétaire, l’émotion est à son comble. Et, au lieu de mener le combat de la société libanaise, on allume le front des communautés. Le communautarisme est la politique pour les nuls. L’invective remplace l’argument. Traître pour les uns, assassin pour les autres, il est beaucoup plus facile de qualifier ainsi son adversaire, que de le contredire sur, par exemple, une refonte du programme scolaire. C’est ennuyeux et cela ne mobilise guère. Il est tellement plus aisé pour les hommes politiques de jouer de la peur du sunnite effrayé par le chiite conquérant, de la peur du chrétien alarmé par un salafiste déchaîné. Les combinaisons sont nombreuses et variées, du moment qu’elles réduisent le discours à des mises en garde dont le retour sur investissement est rapide et élevé. Gagner des élections sur la réforme du système de santé est fastidieux et n’offre aucune garantie. Ces cracheurs de feu, tout en sachant pertinemment dans quelles fournaises ils peuvent nous précipiter, ne se retiennent pas. Sayyed Hassan Nasrallah, dans ces deux derniers discours, a dit:«toute complication au Liban prend une dimension confessionnelle». Ce constat ne dédouane ni lui ni ses collègues. Ils sont ensemble responsables de la pérennité de ce système. Car là est bien le nœud du problème. Pour beaucoup de Libanais entraînés par leurs dirigeants, le communautarisme est une garantie de survie. C’est le réflexe communautaire qui aurait permis aux chrétiens de ne pas être balayés par la guerre civile. Il y eut, certes, un combat de survie au début de la guerre civile. Et les chrétiens se sont retrouvés, en 1977, contrôlant un territoire allant de Bécharré à Sodeco. Puis la frontière nord recula jusqu’à Madfoun et se fixa, à la fin de la guerre, pour une partie des chrétiens à Dora. Le territoire communautaire chrétien fut dépecé en 1990 et l’ensemble soumis, en 1991, au diktat syrien. Belle leçon de survie. Elle est la même pour les autres communautés. Les sunnites, coïncés dans les villes, gouvernées par l’OLP, assiégées par Israël en 1982, et ensuite soumises à Damas. Les chiites, agglomérés au Sud, dans la Békaa et dans la banlieue sud, constamment sous le feu d’Israël.

Le communautarisme est un fait et non pas une fatalité. S’il est un héritage culturel et religieux, il ne doit pas être la seule composante de notre identité. Le communautarisme est un concept qui se renouvelle mais n’évolue pas. Il est l’antithèse de la liberté, sans laquelle il n’y a pas d’avancée. Comment le dépasser sans se sentir démuni d’une partie de soi-même? En faisant un choix. C’est vrai que nous naissons chiites ou druzes, c’est vrai que nous portons dans nos gènes les strates superposées de cette hérédité. Mais, sans nous renier ni enterrer Dieu et ses prophètes, nous pouvons prétendre en limiter les interférences, en nous adjoignant d’autres référents. Soyons chiites ou druzes, mais aussi libanais, ou écologistes ou résistants ou pacifistes ou féministes. Il existe une infinité de repères qui, tout en nous rassurant, en nous pourvoyant une personnalité, nous permettent en même temps de briser ce face-à-face exclusif avec notre communauté. Puisque pour l’instant il n’y a rien à espérer de la classe politique et donc de l’Etat, c’est à la société civile d’agir. Que les ONG, les syndicats, les écoles privées, les entreprises, la presse, entament un travail de diffusion de valeurs transversales, c’est-à-dire qui ne puissent être attribuées à une seule parenté confessionnelle. Par le savoir, l’art, le contact, la discussion, la production, défaire la nasse communautaire. C’est possible, cela a déjà été fait, mais doit être multiplié, transformé en objectif, en réflexe, en habitus. C’est un travail de longue haleine qui n’a pas l’horizon comme échéance électorale. Débarrassé de l’obligation de résultat immédiat, il peut réussir. C’est seulement ainsi que notre catégorisation deviendra plus difficile, mutante, et donc notre appartenance communautaire moins sujette à la récupération politique, qui finira par tout embraser.

 

Amine Issa

L'Hébdo Magazine

02/09/2011

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