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citoyen libanais
17 septembre 2011

Le patriarche a peur

 

Le patriarche Raï a entamé son mandat par une série de visites pastorales aux diocèses chrétiens où ceux-ci vivent en minorité au milieu de musulmans. Il témoigne ainsi  de l’attachement de l’Eglise à leur présence  séculaire sur tout le territoire libanais, mais aussi au sein du monde arabe, particulièrement en Syrie. Mgr Raï  nous rappelle par son geste l’histoire des maronites étroitement liée à celle de l’islam. Le premier patriarche fut élu à la tête d’une Eglise désormais autocéphale quand la conquête arabe arriva en Syrie et que le titulaire du siège d’Antioche alla se réfugier à Constantinople. Le patriarche Doueihy, en écrivant l’histoire  des maronites, l’inséra dans un ouvrage plus vaste qui avait pour titre L’histoire de l’islam. C’était pour démontrer la communauté de destin des deux monothéismes en Orient. Malgré les persécutions que les maronites ont subies de la part du sultanat, à aucun moment ils ne se constituèrent en nation irrédentiste comme ont pu le souhaiter  les juifs, les Arméniens ou les Kurdes. Dans le Liban de Fakhreddine, à la «Amiet» d’Antélias en 1840, les maronites et les autres communautés du Liban ont établi des pactes de coexistence dans un seul ensemble qui les réunissait. Nous reviendrons sur l’après 1840. Au Moyen-Orient, sous le règne du califat, tout en préservant leur particularisme religieux, Kamal Saliby nous apprend que «Les Arabes chrétiens ordinaires sentent instinctivement qu’ils ont un droit inaliénable d’intervenir dans les affaires islamiques». Cette immersion dans ce milieu qui est le leur ne s’est jamais autant illustrée qu’à l’époque de la «Nahda» où, malgré la confusion dans l’esprit des Arabes entre arabisme et islam, les chrétiens ont été les fers de lance de la renaissance de la langue arabe, langue du Coran et des mouvements d’indépendance. Leur participation à la résistance palestinienne, avant que celle-ci ne s’égare à Aman et à Beyrouth, est le moment où leurs rôles et leur appartenance à l’ère arabo-musulmane ont été les plus éclatants. Il ne faut pas occulter leur lente émigration, suite aux politiques vexatoires des dictatures arabes à la recherche de boucs émissaires pour leurs défaites successives. Mais n’était-ce pas l’ensemble du monde arabe qui émigrera vers des cieux plus cléments? Sauf que les musulmans étant plus nombreux, leur départ faisait moins tache.

Le patriarche, semble-t-il, ne croit plus en cette coexistence pacifique. Horrifié par le massacre des chrétiens en Irak et leur fuite massive, il craint la réédition du même scénario en Syrie. Il redoute l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir,  il appréhende des tueries et tout au moins une soumission des chrétiens, leur abaissement au statut de dhimmis et l’extension de cette sujétion aux chrétiens et autres minorités au Liban. Il pense que l’analyse d’Antoine Fattal qui écrivait «le Qanun infléchit dans un sens nettement politique les règles de la Chari’a, on assiste à une sécularisation de la loi islamique» n’a plus cours, que l’islam sunnite au XXIe siècle est prêt à céder au rigorisme moyenâgeux. S’il ne le dit pas clairement, en accordant au Hezbollah, donc aux chiites, l’exclusivité de la défense du Liban, il se situe dans la logique de l’alliance des minorités. Mais est-il sûr que les chiites, les druzes et les alaouites souhaitent ce réductionnisme? Et pour protéger les chrétiens, c’est en Occident qu’il cherche des assurances, en France particulièrement. Faut-il rappeler que quand François Ier obtient par les capitulations, la protection des chrétiens de Soliman le Magnifique, c’était plus pour se faire pardonner son alliance avec le Sultan «impie» contre son ennemi Charles Quint, que par souci du devenir des chrétiens? Faut-il également rappeler que les événements de 1840 et 1860 sont en grande partie dus à cette politique des «minorités» que l’Europe pratiqua dans le seul but de déstabiliser l’Empire ottoman. Les chrétiens syriens ou libanais seraient-ils plus chrétiens que ceux d’Irak, abandonnés des Américains, pour imaginer une expédition de l’Otan pour les secourir?

Tout en appréhendant l’absence d’humanité des salafistes, croyant en l’inéluctabilité de la révolte arabe et regrettant déjà les morts inhérents à tout changement de régime autrement que par les urnes, je ne partage pas le pessimisme du patriarche. Je préfère croire cet autre grand maronite, le père Youakim Moubarak quand il écrit «Il ne fait pas de doute que l’ensemble syro-libanais est, entre la mer et le désert, le point pathétique de convergence entre toutes les résurgences musulmanes aux rendez-vous de la liberté».

Et si le patriarche devait avoir raison, confirment les analystes qui attribuent aux Etats-Unis une procuration accordée aux Turcs et aux Saoudiens pour parrainer au Moyen-Orient des régimes islamistes, c’est à Riyad et à Ankara qu’il faudrait se rendre, pour chercher une véritable protection. Triste sort.

 

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

17/09/2011

 

 

 

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