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citoyen libanais
23 décembre 2011

Si peu catholique

 La dernière trouvaille de la basse-cour politique locale est la loi électorale dite le «projet de la Rencontre grecque-orthodoxe», comme si ceux qui le soutiennent, en lui gardant son nom, ne voulaient pas en assumer la paternité pour pouvoir, une fois enterré, s’en démarquer comme une tache honteuse. Parce que le projet, qui prévoit que chaque communauté au Liban élise ses représentants, est honteux et ne passera pas. A dix-huit mois des élections législatives, pour nous distraire de la cherté de vie, de l’insécurité, de la peur au ventre que la tuerie en Syrie ne se transpose chez nous, on nous jette en pâture une loi électorale qui ne peut que réveiller l’appétit des candidats au paradis parlementaire. Même si cette formule sera, très vite, reléguée aux oubliettes, le venin est craché. Le seul fait d’y avoir pensé est une hérésie. Voilà que d’un coup on veut nous ramener au système ottoman des «Millets», où chaque communauté gérait ses affaires indépendamment des autres sujets de l’empire. Donc, ce qui valait au XIXe siècle et qui provoqua deux tueries, en 1840 et 1860, serait la panacée à tous nos maux actuels. Pourquoi les chrétiens doivent-ils élire leurs représentants? Parce qu’ils sentent que les autres communautés, qui les dépassent en nombre dans certaines circonscriptions, ne voteront jamais pour un candidat agréé par ces mêmes chrétiens. C’est un aveu d’échec du vouloir-vivre ensemble des Libanais. Nous serions sur deux planètes différentes.

Alors, il faut pousser la logique jusqu’au bout et ne pas avoir peur des mots. Si aucun chrétien ne représente les musulmans – et vice-versa –, si aucun député n’est celui de la nation toute entière, mais seulement le délégué de sa communauté, il faudrait alors prononcer l’oraison funèbre du Liban et appeler à son dépeçage. Car aujourd’hui, les chrétiens éliront des chrétiens et la prochaine fois les maronites des maronites, les chiites duodécimains et ismaéliens choisiront, chacun indépendamment, leurs députés, et les quatre écoles juridiques sunnites auront chacune leur représentant. Ainsi coulera le navire au fond des mers. Quelle est cette nation qui, au lieu de trouver les moyens de renforcer sa cohésion, de produire un citoyen au-delà des communautés, creuse elle-même sa tombe? Les chrétiens, diriez-vous, sont les plus lésés, ils n’élisent que la moitié de leurs députés? Comment se fait-il que dans la Békaa, par exemple, avant la Guerre civile, Henri Pharaon, Habib Moutran et Joseph Skaff se faisaient élire par des voix musulmanes? Oui, il existe effectivement aujourd’hui une très grande méfiance entre les communautés. Mais la protestation de la direction de la communauté musulmane contre ce projet est quelque part sujette à questionnement. N’est-elle pas la principale bénéficiaire du système électoral actuel, qui lui permet de choisir un député chrétien sur deux? N’est-elle pas dans sa pratique de partage presque exclusif du pouvoir entre sunnites, chiites et druzes, responsable de cette réaction isolationniste des dirigeants chrétiens? En définitive, n’y a-t-il pas une autre loi électorale, un découpage différent des circonscriptions, qui éviterait l’injustice d’une représentation tronquée et qui renforcerait l’appartenance nationale? Le projet concocté par Fouad Boutros ne méritait-il pas une plus ample attention? Ce que propose l’actuel ministre de l’Intérieur est-il à ce point détestable? Certainement, si on se met dans la peau des roitelets sur mouchoir de poche, qui comptent sur leurs doigts le nombre de voix qu’il leur faudrait pour être élus par ceux qui, comme eux, ont le sang bleu, et devraient rester en famille pour ne pas se souiller. Il ne s’agit, une fois de plus, que d’une basse manœuvre pour effrayer ces concitoyens avec les grands méchants loups qui les avaleront aux prochaines élections. Une manœuvre qui permettra à leurs partisans de se poser comme les garants des droits de leur communauté, pour qu’on s’en souvienne le jour où il faudra glisser le bulletin de vote dans l’urne et engranger quelques voix supplémentaires pour le trône d’une circonspection électorale. Entre-temps la suspicion entre les Libanais aura augmenté d’un cran. C’est ce dont nous n’avons vraiment pas besoin. Le plus vite ce projet sera enfoui et le plus vite on pourra sauver le Liban de l’éclatement.

 

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

23/12/2011

 

 

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