Daech, origines et identité.
Je vais essayer dans cet article de montrer quels sont les facteurs endogènes et exogènes qui ont poussé les sociétés arabes à se révolter. Et comment ces facteurs, surtout endogénes, ont débouché sur le phénomène Daech, dont la véritable identité n’est pas celle qu’il annonce.
Une organisation de cette ampleur, qui contrôle des milliers de kilomètres carrés et des millions de personnes, n’est pas comme le souhaitent ou le prétendent certains, une création de « services », à des fins tactiques. Cette organisation trouve ses racines dans un long processus de formation que des conditions politiques, sociales, économiques et religieuses informent. Des interventions politiques ponctuelles peuvent accélérer ce processus, mais elles ne peuvent en aucune façon le créé du néant ou à l’inverse l’interrompre brusquement et définitivement. La date du lancement d’un processus est toujours problématique. Quelque soit celle qu’on choisit, on trouvera un élément qui la précède est qui peut être un éclairage. Il s’agit donc de faire un compromis pour commencer quelque part et la date que je retiens et l’année 1973, celle de la guerre d’Octobre. A l’occasion de celle-ci le roi Fayçal d’Arabie Saoudite, décide un embargo sur le pétrole à destination de l’Occident qui soutient Israël, ce qui fait flamber le prix du pétrole qui passe de trois à douze dollars le baril. Cette guerre est également révélatrice de plusieurs changements dans la pratique politique des dirigeants arabes :
1- Il est clair désormais que le président Sadate à déclencher cette guerre, briser les lignes de défense israélienne, pour s’assurer une victoire symbolique et négocier un traité de paix avec Israël. Ce sera fait en 1978 à Camp David.
2- Le président Hafez Assad de Syrie, n’était entré en guerre que malgré lui. Depuis sa prise du pouvoir à Damas il menait une politique de désengagement armé avec Israël. Les deux pays arabes qui pouvaient menacer sérieusement Israël avaient fait le choix soit de la paix froide, soit de la guerre froide, ils avaient en tout les cas renoncés à vaincre Israël par la force de leurs armées.
3- Après la défaite de 1967 des armées arabes face à Israël, L’Olp et Yasser Arafat, décident d’élargir leurs libertés de manœuvre. Plusieurs opérations spectaculaires sont menées en territoire israélien, ce qui renforce le prestige de la centrale palestinienne face à l’humiliation de la guerre de 1967. Ce moment de grâce ne durera que trois ans. En 1970 Yasser Arafat commet l’erreur de vouloir contrôler la Jordanie par la force. Non seulement c’est un échec, mais l’opinion arabe commence à douter de ses intentions. Arafat chassé de Jordanie, commet la même erreur au Liban à partir de 1975. C’est également un échec. Désormais l’Olp est plus occupé par des querelles intestines, et les Palestiniens radicaux, comme le FPLP, le FPLP-CG et le FDLP, ne sont plus que des tueurs à la solde de régimes arabes qui règlent leur compte par Palestiniens interposés
4- Ce dévoiement de la grande cause arabe s’accompagne par deux autres grandes déceptions. D’abord le rêve d’une seule nation arabe sombre définitivement après plusieurs tentatives désastreuses menées par Nasser, les batthistes et le PPS. Ensuite les régimes en places, qu’ils soient laïques et socialisants ou de type monarchique, partagent plus ou moins un bilan semblable. Après les indépendances et les espoirs de régimes justes et démocratiques, les pays arabes sont plongés dans une longue nuit d’échec économique et de dictature liberticide. L’Islam, qui a été pendant des siècles le référant des Arabes et désormais, hors du Golf, déconsidéré, réprimé (en Égypte sous Nasser, en Syrie et en Irak) et en même temps manipulé (Sadate en Égypte), pour contrer les partis de gauche démocratique. Il ne tardera pas à reprendre sa revanche.
En 1979, la révolution iranienne en est la première manifestation d’ampleur après l’interdiction des Frères Musulman en Égypte. Une fois au pouvoir, l’Imam Khomeiny, va rapidement éliminer tous les partis laïques qui avaient soutenu la révolution, et il va lui donner un caractère définitivement religieux. Il y’aura dans le monde arabe trois réactions différentes :
1- Une réaction opportuniste. Celle des laïques Yasser Arafat et Hafez El-Assad. Les deux sont sous pression. Arafat est mis à mal depuis ses aventures jordanienne et libanaise et est poursuivi sans relâche par Damas. Assad, est en conflit avec les autres régimes arabes à cause de son régime confessionnel, sa main mise sur le Liban et sa guerre contre l’Olp. De plus, depuis Camp David, les Américains font pression sur lui pour qu’il signe une paix avec Israël, ce qu’il n’est pas disposé à faire si le Golan ne lui pas restitué.
2- Une réaction de rejet. Celle des pays du Golf et particulièrement de l’Arabie Saoudite ; cela pour deux raisons. D’abord, la légitimité du pouvoir saoudien est religieuse. Le Wahhabisme est une alliance entre le sabre et le goupillon, entre le roi Ibn-Saoud et le prédicateur salafiste Mohamed Ibn Abdel Wahhab. Or l’Imam Khomeiny se positionne comme l’Imam de tous les musulmans, et pas seulement des chiites. Deuxièmement, par son discours et dans les faits il reprend le flambeau de la cause palestinienne, abandonné par les Arabes. L’Olp est invité à installer son ambassade dans le bâtiment qu’occuper la légation israélienne à Téhéran et les gardiens de la révolution vont débarquer avec leurs armes au Liban pour soutenir la résistance à Israël.
3- Une réaction positive. Une frange importante des populations arabes est réceptive au discours iranien. Pour la cause palestinienne, c’est entendu. Pour l’établissement de régimes islamiques sur l’initiative de l’Iran, ce l’est moins pour des Arabes à majorité sunnites. Mais il faut savoir que l’idée de République Islamique et de sa version définitive, Willayat-Al-Fakih appliqué en Iran, est née à Najaf en Irak. Certes sanctuaire chiite, mais au sein d’un parti irakien, Al Dawa, fondé par Mohamed Baker-El-Sader. Or, à ce parti, appartenaient des sunnites et il y’eu longtemps un débat s’il fallait adopter la doctrine des Frères Musulmans sunnites ou proposer une nouvelle approche. Même si le déroulement des événements va privilégier plus tard une approche chiite au sein des principaux cercles du pouvoir iranien, notons que L’Imam Khamenei, l’actuelle guide suprême en Iran, a personnellement traduit en perse une partie de l’œuvre de Sayyid Qotb, le successeur de Hassan Al-Banna à la tète des Frères Musulmans et leur plus important théoricien. L’Iran à condamner la destitution de Mohamed Morsi et refuse de considérer les Frères Musulmans comme une organisation terroriste. D'ailleurs, des mouvements islamistes sunnites continuent à collaborer avec l’Iran, tels le Jihad Islamique et le Hamas. Les plus réfractaires sont comme je l’ai signalé les royaumes et émirats du Golf. C’est avec le roi Fahd intronisé en 1982 que la grande contre-offensive sunnite va réellement débuter. Ce souverain, aux caisses pleines par la montée des cours du pétrole, va financer l’ouverture de centaines de mosquées, d’écoles coraniques, d’associations caritatives et la formation d’Imams de tendance wahhabite, expressément opposés aux chiites. Une guerre de longue haleine va débuter entre les deux camps au moment ou l’image de l’Iran n’est pas encore totalement ternie dans le monde sunnite, car l’offensive des mollahs est ralentie pendant presque deux décennies, c'est-à-dire jusqu'à l’élection du président Ahmadinejad en 2005. L’Iran doit faire face à une guerre dévastatrice avec l’Irak, se remettre de cette guerre et connaitre la présidence du Président Khatami, qui tente autant qu’il le peut concentrer les ressources de l’Iran sur ses problèmes internes. Ces années la ne seront pas perdues pour tout le monde. L’Iran continue malgré tout à se renforcer au Liban et en Syrie mais au nom de la défense par une République Islamique de la principale cause arabe. Le wahhabisme est en pleine expansion et surtout, les partisans de régime islamistes se mettent à rêver et s’organisent. La déconsidération des idéologies nationalistes arabes et laïques, couplé à la réussite de la révolution iranienne et la réaction wahhabite suscite d’immenses espoirs. Même les islamistes sunnites que l’Iran peut inquiéter et qui ne sont pas tous wahhabites, tels les Frères Musulmans présents dans plusieurs pays arabes, se disent et pourquoi pas nous ? En 1985, les islamistes prennent le pouvoir au Soudan. En 1992 ils gagnent les élections législatives en Algérie, mais sont réprimés et commence une longue guerre civile. Un scénario identique se déroule en Somalie en 2006. En 1996 les Talibans afghans sont aux commandes. Le Hezbollah, à contraint Israël de se retirer du Sud-Liban et Oussama Ben Laden, lui s’attaque aux États-Unis et réussit une opération suicide spectaculaire au cœur du principal allié d’Israël. Les partis islamistes fleurissent un peu partout dans le monde arabe. De la clandestinité à des partis autorisés ou simplement admis, aux groupes terroristes, l’islam politique est de retour en force.
2003 est une date charnière. Au moment où les États-Unis envahissent l’Irak, la concurrence entre sunnites et chiites, commence à s’exaspérer et les islamistes ont la cote. Saddam Hussein à massacrer des chiites après la première guerre du Golf, Bachar El-Assad en refusant de participer à la seconde guerre du Golf, renforce sa dépendance à l’Iran au mépris des Arabes sunnites et est accusés d’avoir assassiné Rafic El Harriri, une personnalité sunnite respectée dans tout le Moyen-Orient. Entre temps, les dictatures arabes sont de plus en plus répressives et incapables d’assurer à leurs populations les conditions minimales d’une vie digne. Les résultats de l’invasion de l’Irak, sont tous à l’avantage de l’Iran. Non seulement il se débarrasse de la seule menace réelle sur son territoire, mais avec l’assentiment des États-Unis, s’installe en Irak un pouvoir qui lui est totalement acquis. Après le retrait des troupes américaines, aux élections législatives, c’est une coalition nationale inter confessionnel et qui comprend des Kurdes, qui arrive en tète, mené par Iyad Allawi. Américains et Iraniens, vont imposer leur poulain, Nouri El-Maliki, qui va se comporter en chef de bande revancharde et mener une mise à l’écart systématique de toute représentation sunnite. L’armée irakienne n’est plus qu’un ramassis de généraux corrompus et les milices chiites règnent sur la rue. Entre temps en 2005, le président Ahmadinejad est élu à la présidence. Après l’ère de Khatami réformateur élu à soixante-dix pour cent des voix et dont les alliés contrôlent le parlement, le guide et son entourage, l’institution religieuse et les Gardiens de la Révolution, prennent peur. Ahmadinejad est imposé par Khamenei et succède sans réel concurrent à Khatami. Tous les réformateurs sont interdits de se représenter aux élections législatives. L’Iran reprend l’offensive vers le monde arabe. Depuis 2005 à ce jour nous en voyons tous les jours les effets, que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen. Face à cette offensive, les pays du Golf répliquent de la seule façon dont ils sont capables. Ils financent et encouragent l’Islam politique sunnite le plus radical. Ces pays, n’ayant pas un modèle séduisant différent de la théocratie iranienne, ne sauraient agir autrement. Contrer le modèle religieux iranien, par un modèle démocratique les mineraient eux-mêmes.
Le dernier acte avant l’apparition de Daech est le « Printemps arabe ». La Tunisie et l’Égypte ont pu éviter la désintégration. Cela est au fait, que malgré leurs régimes dictatoriaux, dans ces deux pays, une société civile organisée et militante, parvenait à se maintenir. Pressentant qu'est-ce qu’un islam politique radical pouvait représenter comme danger, à la chute de la dictature elle a pu reprendre le relais, proposer des programmes de remplacement convaincant et organiser une large mobilisation, même si beaucoup reste à faire. Si les frères Musulman ont remporté les élections en Égypte et s’il est vrai que l’armée a destitué le président Mohamed Morsi, il faut admettre que celle-ci ne serait vraisemblablement pas intervenue sans la dérive autoritaire des Frères et surtout la présence de quatre millions d’Égyptiens dans la rue, mobilisés contre les islamistes.
À l’inverse, en Lybie, en Syrie, au Yémen et en Irak, la société de ces pays présentait des traits différents essentiels :
1- Elle était enfermée dans un schéma d’allégeance vertical qui empêché toute organisation nationale de mobilisation.
2- N’étaient autorisées que les structures tribales, familiales, confessionnelles, de type patriarcal, donc sans réel débat ou désignation démocratique de ces dirigeants. Et ces structures étaient elles-mêmes en relation verticale avec le pouvoir, à travers un échange de services, de prébendes, accordé par le pouvoir contre une allégeance sans failles. La force et la terreur venant rappeler à l’ordre tout ce qui tenter d’échapper à cette relation.
Ainsi, il n’existait nulle part dans ces pays la moindre organisation transversale qui aurait pu aboutir à une mobilisation commune politique pour se saisir du pouvoir. De plus, et malgré la richesse immense de la Lybie, la dictature, le népotisme et la corruption l’ont mise ainsi que les trois autres à genoux. Cela s’est répercuté sur deux composantes essentielles de la personnalité de ces peuples, l’éducation et la dignité. Pour le premier, la pauvreté des programmes, l’incompétence des enseignants, l’interdiction à l’accès à l’information, la propagande politique, n’ont produit que des diplômés sans aucune compétence et non formés à l’esprit critique. De plus, l’Islam officiel de ces pays, contrôlé par les régimes, noyauté par le wahhabisme, s’est employé à cultiver dans les esprits la nécessité de l’obéissance aux dirigeants et à un islam ossifiés. Ainsi, les régimes et les autorités religieuses trouvaient leurs intérêts. La dignité de ces populations, elle, a été elle largement piétinée. La corruption et l’absence de moyens dans les services sociaux, ont fait de toute démarche pour obtenir les services les plus basiques, un chemin de croix et pour un résultat médiocre. Vivant dans des économies défaillantes ou leurs niveaux de vie ne cessaient de reculer, maltraiter par les différents services de sécurités, humiliés par les fonctionnaires et les quelques riches associés au pouvoir, soumis à des règles sociales patriarcales autoritaires, détenteur d’une éducation qui ne leur servait qu’à survivre, ces populations n’avaient plus aucune dignité. Contrairement à ce que l’on avance généralement, la multiplication des moyens d’accès aux médias internationaux, qui leur montraient que la vie pouvait être différente, augmenter leurs désespoirs. Même s’ils le désiraient, ils ne pouvaient, démunis et bêtifiés comme ils l’étaient, imaginer comment dans leurs pays, changer leurs trajectoires. Et ceux, qui pouvaient émigrer, même si médecins ou ingénieurs, savaient de ceux qui les avaient précédés, que leurs diplômes ne valaient pas grand-chose et qu’ils pouvaient se retrouver à faire la plonge ou manœuvre sur un chantier. Voilà quel est l’état d’esprit des populations, syrienne, libyenne, yéménite et irakienne, à la veille des insurrections. Certainement, il existe des différences entre ces quatre populations, mais sans grossir le trait au point de gommer toutes dissemblances, elles étaient toutes au bout d’un demi-siècle d’indépendance, déçues et désespérées et totalement désarmées pour se relever.
Il existe bien en Lybie une frange de la population qui tente de freiner la descente en enfer. Au Yémen, il y eut une tentative de se reconstruire avant que les intérêts régionaux n’imposent leurs rythmes et que l’on assiste à la lente désintégration du pays. En Irak, les chiites, qui ont pris le pouvoir, non seulement rechignent à le partager avec des sunnites, qui eux n’admettent pas encore de l’avoir perdue, mais ils rétablissent plus ou moins le même schéma dictatorial de Saddam Hussein. Sauf que cette fois les prétendants à la direction du pays sont encore nombreux et que la pseudo démocratie qui y règne, n’est qu’un masque qui cache les ambitions des différents prétendants. Seuls la peur de se retrouver de nouveau marginalisé et le parrainage de l’Iran les retiennent encore de s’entretuer. En Syrie également, il existe une élite pacifiste, démocratique et laïque, certes timide et éclatée, mais dont les slogans trouvèrent un écho favorable auprès de ceux qui osèrent défiés les premiers la dictature. Mais ce n’était qu’une brebis qui devait traverser une fosse de lion et personne ne la protégea. La sauvagerie de la répression très tôt fit tomber l’option d’une lutte pacifiste. L’insurrection armée fut au début et pendant presque deux ans, le fait d’individus regroupés et d’officier et de soldats déserteurs. Les unités de résistance à caractère islamique étaient encore minoritaires. Même si dans leurs appellations, ils utilisé des référant musulmans, cela ne voulait pas dire qu’ils étaient radicaux et voulaient imposer la Sharia. Ce genre de référant sont tout-à-fait compréhensible dans un pays musulman, et dont l’un des principes les plus récurrents de son livre sacré est la justice et le rejet du « tyran ». Mais cette première vague de l’insurrection s’est essoufflée. D’abord, comme nous l’avons dis, sous les coups de boutoir du régime, qui lui est soutenu financièrement, en armement et en hommes par l’Iran, la Russie, le Hezbollah et des chiites d’Irak et d’Afghanistan. Ensuite, parce que totalement abandonné par l’Occident qui n’a pas voulu lui fournir la moindre aide, que ce soit sous la forme de frappe aérienne ou de matériels de guerre. Pour les États-Unis, on se souvient, une fois les armes chimiques de la Syrie sécurisée, la seule véritable menace contre Israël, il n’a jamais plus était question de bombarder les forces du régime. Ensuite ce même Occident n’a rien fait pour freiner la politique dévastatrice des pays du Golf et de la Turquie, qui soutiennent les insurgés islamistes radicaux. Cet ensemble de pays, aurait vu d’un mauvais œil un régime laïc et démocratique s’installer en Syrie. De plus, ce pays qui les avait longtemps humiliés, sous les régimes des deux Assad, devait être puni et ils ne pouvaient souhaiter qu’un nouveau pouvoir à caractère islamique qui leur serait favorable. L’offensive commencée sous Fahed prenait corps. Ce désir de déstabiliser la Syrie était sans doute également un souhait américain et israélien, tant elle s’est toujours opposée à une paix aux conditions de l’état hébreu, avant poste de l’Iran aux frontières de Tel-Aviv et soutient sans faille du Hezbollah. L’alignement à un Iran triomphant allait rapidement se transformer en satellisation durant l’insurrection. L’Armée Syrienne Libre ne devenant plus qu’une petite composante de la lutte armée, pour contrer l’offensive de Téhéran les pays du Golf augmentèrent leurs aides aux unités islamistes. La Turquie va héberger et faciliter le passage, de jihadistes de toute provenance. Même, Assad y mettra du sien, pensant qu’une insurrection islamiste pouvait le servir. Il fait libérer de prison des centaines de détenus islamistes élevés à la graine wahhabite, dont on retrouvera certains à la tète des unités les plus actives.
Mais ni l’Occident, ni les pays du Golf, ni la Turquie, n’avaient réellement saisi l’ampleur des transformations dans ces pays. Par ignorance ou par cynisme, cela est un autre débat. Rapidement, Jabhat-al-Nusra, affilié idéologiquement à Al-Qaïda va s’imposer comme le premier acteur en Syrie. J’ouvre ici une parenthèse. Cette affiliation de Jabhat Al-Nusra à al-Qaida est douteuse. Pour deux raisons. D'abord, Al-Qaïda est une organisation qui a perdu sa structure de commandement centralisé et dont le nom est devenu un label galvaudé par tous ceux qui veulent imposer un régime pseudo-islamique réactionnaire et haineux à l’égard de l’Occident. Deuxièmement, les pays du Golf et la Turquie, qui sont vraisemblablement les parrains de Jabhat Al-Nusra. Mais pour se défendre devant l’opinion d’en être les financiers, ils laissent croire à sa parenté avec Al-Qaïda. Comment, en effet, pourraient-ils soutenir une organisation qui se déclare dans le discours et qui est dans les faits l’ennemi de ces régimes ?
Toujours est-il que le wahhabisme, l’Akp turque et Al-Qaïda sont des versions différentes de l’Islam politique, qui a dévoyé la religion pour en faire un instrument de prise de pouvoir et sont opposés les uns aux autres ; comme le sont également les Frères Musulmans.
Or même l’Islam sous ces quatre différentes formes, ne représente une solution pour une frange des populations de la Syrie, de l’Irak, du Yémen et de la Lybie, dont j’ai décrit plus haut l’état d’esprit. Je me permets une exagération en disant qu’il n’y a pas pour eux de solution et c’est pour cela que Daech les séduit. La revendication d’une étiquette islamiste n’est qu’un d’un dernier lien ténu avec l’humanité. Pour ne pas s’avouer qu’ils n’espèrent plus rien de ce monde, qu’ils n’y croient plus, ils se disent musulmans, car c’est le référent humain le plus proche de leurs imaginaires. Mais cela s’arrête la.
L’État Islamique, autre nom de Daech, n’est pas un état, n’a rien d’un état et ne veut pas en être un. L’excellente étude de Mathieu Rey (1) et tous les échos qui parviennent jusqu'à nous de la réalité des territoires contrôlés par Daech, le démontrent. L’organisation, ne gère rien. Les divers services qui organisent la vie dans ces régions, que ce soi l’approvisionnement en nourriture et énergies, l’enseignement, la santé, la justice, etc. sont dirigés par des comités locaux improvisés ou par les anciennes structures existantes dont le seul lien avec Daech est l’obéissance et la peur. Ces organismes d’ailleurs, dépourvus de moyens et totalement interdits de toutes initiatives. Daech n’émet aucune consigne claire ou programme structuré, sauf la très vague obligation de conformité à la Sharia, qui se résume à des interdits. Les communiqués de Daech qui nous sont diffusés et qui généralement tiennent sur un ou deux pages le confirment (2). Ces organismes donc sont juste capables d’éviter l’accélération de la mort de leurs administrés. Même sur le plan militaire Daech, ses unités combattantes sont le plus souvent des groupes indépendants qui ont simplement adopté la bannière de l’organisation et qui en acceptent les ordres de bataille. La sauvagerie des exécutions, les massacres collectifs, la destruction de toute trace de civilisation, l’assassinat et l’exil forcé tant des minorités que des musulmans qui osent résister, le mépris pour leurs propres vies des combattants, tous ces comportements sont plus proches d’un suicide collectif qui n’ose pas dire son nom. Pour ne pas avouer ce qu’elle est, cette autodestruction, trouve dans les textes musulmans ce qui la justifie. Des versets sortis de leur contexte et tronqués, et surtout des Hadiths douteux, sont les référant pour justifier cette négation de la vie, le suicide, que l’Islam condamne. Le phénomène Daech est plus a rapproché des circonstances qui ont produit le nihilisme et le terrorisme européen au tournant du vingtième siècle, qu’une production de l’Islam.
1- Aux origines de l’Etat islamique, Mathieu Rey, 17/03/2015, sur http://www.laviedesidees.fr/Aux-origines-de-l-Etat-islamique.html
2- http://www.aymennjawad.org/ et http://www.joshualandis.com/blog/
Amine Issa
01/04/2015