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citoyen libanais
10 avril 2015

Erdogan à Téhéran, comment le Conquérant se remet en selle.

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À son accession au pouvoir en 2003 Recep Tayyip Erdogan, savait déjà quel rôle la Turquie devait désormais jouer au Moyen-Orient. Son ami et compagnon de route, ministre des affaires étrangères et premier ministre depuis 2014, Ahmet Davutoglu, avait dans un ouvrage « Startegic Depth », théorisé ce grand retour de la Turquie. Avec Bachar El Assad il remet à plat les relations longtemps tendues sous le président Hafez El Assad. Il refuse de participer à la seconde guerre du Golf, pour ne pas indisposer les Arabes réticents. Il fait grand cas de son pèlerinage à La Mecque et refroidit ses relations avec Israël. On l’accuse de néo-ottomanisme. Mais qu’est ce que cela veut dire ? L’Empire Ottoman était le fait de nomades venu de la steppe à l’est de l’Anatolie. Ils se saisissent des ruines de l’Empire Arabe, se font musulmans par opportunisme et profitent de la faiblesse de l’Europe et de l’indigence des peuples qu’ils soumettent, pour assoir leur pouvoir. Ces conditions ne sont plus réunies aujourd’hui. Les nomades se sont urbanisés et ramollis, l’Empire Arabe n’existe plus, à sa place des nations sourcilleuses de leurs particularismes se sont formées et l’Europe est la première économie mondiale. L’Islam d’Erdogan est idéologique et non uniquement opportuniste. Si les Ottomans étaient machiavéliques, Erdogan est un pur produit de l’utopie des Frères Musulmans. Cela ne plait à personne. À part le succès des « soap opéra » turque et une percée économique, l’influence de la Turquie reste limitée. Les Arabes n’ont pas envie d’un nouvel Abdel Nasser à la teinte islamique, turque de surcroit ; Le mélange est indigeste. Erdogan n’en démord pas, en attendant une opportunité, il se consacre à renforcer le cœur de son empire. Fort de sa réussite économique dont le véritable initiateur est Turgut Ozal au début des années quatre-vingt, L’AKP devient un parti de pouvoir et pas simplement au pouvoir. Avec tout ce que cela entend comme népotisme, clientélisme et corruption. Il va graduellement déconstruire la laïcité de l’état et introduire des dispositions qui n’ont de musulmanes que l’écorce ; Déclarations phares : son ministre de la santé dit qu'être une femme au foyer est une carrière (1) et la fille d’Edogan trouve normal qu’une fille hérite la moitié d’une part d’un garçon (2)-Actions phares : autorisation du voile dans la fonction public, multiplication des écoles religieuses, restriction sur la consommation de l’alcool. Il réduit la liberté d’expression en admettant le blocage de milliers de sites et, Twitter, Facebook et YouTube sont interrompus huit heures le sept avril, pour la première fois en Turquie (3). l’AKP fait voté une loi qui réduit le contrôle des autorités judiciaires sur les arrestations effectuées par la police (4) et l’insulte au président est un délit de plus en plus évoqué pour poursuivre des citoyens (5). En même temps il engage la Turquie dans des projets pharaoniques, comme le nouvel aéroport, un troisième pont sur le Bosphore, un canal dans les terres reliant la mer noir à la mer de Marmara et un gigantesque palais présidentiel à la mode Ceausescu qui a couté plus de trois cents millions de dollars (6). Dans un pays qui n’en manque pas et qui possède certaines des plus belles, il construit plus de mosquées que d’hôpitaux. Il s’en prend à Fathhalah Gullen, son principal et très puissant conçurent sur la scène islamique et surtout va permettre un procès en 2012 contre des généraux et des centaines d’officiers qui sont accusés d’avoir fomenté un coup d’état contre l’AKP. L’armée s’émeut et donne de la voix, après que la cour de cassation est innocentée deux cent trente-six militaires condamnés précédemment (7).

Mais la société turque résiste. Le projet de construction d’un centre commercial place Taksim, met le feu aux poudres en 2013 et la police intervient brutalement. Le premier anniversaire de cette protestation est marqué par l’assassinat de nouvelles violences. Une mine de charbon s’effondre et fait des centaines de morts, le laisser-aller de l’état en terme de normes de sécurité est condamné dans la presse et la rue (8). Depuis son élection à la présidence de la république en 2014, Erdogan annonce qu’il veut remplacer le système politique parlementaire en présidentiel, seul l’AKP le soutient (9). La réapparition du terrorisme d’extrême gauche est également un signe du malaise (10). Ce n’est pas une révolte, mais les Turques expriment leurs mécontentements. Un universitaire Turque que j’ai rencontré à Beyrouth, me confirme cette dérive autoritaire, il me dit que le président Erdogan est entouré d’une cour qui ne lui dit que ce qu’il a envie d’entendre et non pas la protestation de la rue, qui devient « complot ».

C’est dans cette ambiance que débute la révolte syrienne. Rapidement, face à l’intransigeance du président Assad, la Turquie prend le parti de l’opposition. Mais pas de la bonne. La Turquie fait le choix des islamistes. Ceux-là sont financés par le Qatar, des princes du Golf et cornaqués pour un moment par l’Arabie Saoudite et le prince Bandar Ben Sultan. Mais leurs violences et leurs destructions systématiques, vont bientôt effrayer tous ceux qui voyaient en eux un moyen de contrer l’expansionnisme iranien au Moyen-Orient. Une coalition dirigée par les États unis et à laquelle les pays arabes participent, arrête et fait reculer, du moins en Irak, Daech. Entre temps, au grand dépit de la Turquie, l’Égypte destitue Mohamed Morsi et aux dernières élections tunisiennes, les islamistes ne sont plus le premier parti. Pourtant, Erdogan tergiverse. Il refuse de participer à la coalition et propose sans rien faire d’entrainer et d’armer l’opposition laïque en Syrie. Il ne contrôle que mollement sa frontière, passage obligé des jihadistes étrangers. Quand la crise yéménite se dégrade dangereusement, l’ensemble du monde arabe et même le Pakistan réagissent. Les Houthis, dont l’allégeance sans être total aux Iraniens, sont soutenus par Téhéran. Or ils menaçaient d’occuper le nord du Yémen à la frontière Saoudienne et surtout de contrôler Bab El Mandeb, la porte de la mer Rouge vers le canal de Suez, ou passe huit pour cent du trafic mondial. L’ordre international ne peut l’autoriser et surtout l’Égypte qui vient d’entamer son élargissement pour s’assurer un surplus de revenus. C’est une opportunité pour Erdogan de déployer une nouvelle stratégie et de faire oublier son commerce avec les jihadistes qui inquiètent maintenant l’ensemble des pays du Moyen-Orient. C’est également le comportement de tout régime autoritaire, de s’engager dans un conflit extérieur pour faire oublier ses problèmes domestiques, surtout que des élections législatives se dérouleront en juin.

La Turquie à toujours entretenu des relations ambigües avec l’Iran. Entre les intérêts économiques avec un marché iranien qui lui est ouvert, la stratégie précédente, celle d’Ahmet Davutoglu, d’entretenir de bonnes relations avec tous les voisins de la Turquie, et, la très ancienne rivalité entre l’Iran, la Turquie, Erdogan à toujours navigué entre deux eaux. Aujourd’hui le conflit s’envenime entre Arabes et Iraniens et Erdogan fait un choix, il ne sera pas un médiateur, il prend parti. Alors que l’économie turque commence à s’essouffler (11), face aux débouchés européens et arabes, l’Iran ne fait pas le poids. Le vingt-six mars, il déclare que l’Iran tente de contrôler le Moyen-Orient (12). Le huit avril il se rend en Iran ou il rencontre le Guide Suprême. Un communiqué commun sans aspérités en sortira. C’est aujourd’hui que le ton est donné, le porte-parole du ministère des affaires étrangères déclare que les Houthis doivent se retirer de toutes les zones qu’ils ont occupées, rendre les armes prises à l’armée, autoriser la réinstallation du président légitimement élu au pouvoir et engagé un dialogue politique ; Il ajoute que ce sont les propos tenus par Erdogan en Iran (13). En somme, ce sont les exigences des pays arabes. Cela ressemble à un ultimatum sans en être un, car Erdogan ne peut donner l’impression d’être un simple porte-parole des adversaires de l’Iran. Mais sa présence à Téhéran n’est pas celle du sultan d’Oman qui ferait office de simple porte-message. C’est le chef d’une armée puissante aux frontières de l’Iran qui le délivre. Voila Erdogan et la Turquie, propulsés en première loge du conflit. Ses généraux ne peuvent qu’être satisfait de jouer un premier rôle dans la tragédie et pardonneront ainsi à leur président les vexations qui leur a faites subirent. Il faut parier également que les pays du Golf sauront se montrer généreux avec leur nouveau champion.  La participation hier de l’aviation égyptienne pour la première fois dans le conflit, laisse penser que l’engagement de la Turquie n’est pas une fiction. Le Caire, par cette action souhaite ne pas laisser tout le bénéfice à Ankara. La réaction de l’Iran ne s’est pas fait attendre, le ton contre l’Arabie Saoudite est monté, une unité navale a été dépêchée au large du Yémen, que les Saoudiens menacent de couler si elle livre des armes aux Houthis.

De deux choses l’une, ou bien Téhéran pense qu’Erdogan ne fait que bluffer et qu’il ne franchira jamais le pas de participer à la coalition contre les Houthis, ou bien les radicaux ne craignent pas une guerre ou ils auraient également la Turquie comme adversaire.  Qui reculera le premier ou qui attaquera ? La raison ou la folie ?

 

Amine Issa

10/04/2015

 

1-      Hürriet  02/01/2015.

2-      Hürriet  31/03/2015.

3-      Hürriet  07/04/2015.

4-      Hürriet  02/02/2015.

5-      Hürriet 10/03/2015.

6-      Le Figaro 29/10/2014.

7-      Hayat 02/04/2015.

8-      Hürriet 14/01/2015.

9-      Turkish Weekly 20/01/2015.

10-   Safir 01/04/2015.

11-   Hürriet 12/01/2015.

12-   Hayat 27/03/2015.

13-   Hürriet 10/04/2015.

 

 

 

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