Guerre au Moyen-Orient, les faux prétextes.
Dans le conflit actuel du Moyen-Orient, on utilise souvent le mot axe : «l’axe du mal», «l’axe de la résistance» et bien d’autres qui seraient en guerre l’un contre l’autre. C'est un non sens.
Au cours de la Première Guerre Mondiale, il y a eu la Triple Alliance formée par la France, l’Angleterre et la Russie, rejointes par les États-Unis, face à la Triple Entente qui comprenait les empires allemand, autrichien et ottoman. Deux axes. La Russie faisait tâche dans le premier groupe. D'ailleurs, sa contribution sera secondaire dans cette guerre et elle s’en retirera suite à la révolution de 1917. On a donc vu s’opposer des régimes monarchiques autocratiques à des régimes démocratiques. Le monde découvrait graduellement cette nouvelle forme de gouvernance, la démocratie, et tout ce qu’elle entendait, comme égalité entre les citoyens et liberté. Le système colonial apportait un bémol à cet optimisme, mais il finira par s’effondrer. Évidemment, cette nouvelle forme de gouvernance, qui se renforçait dans des pays à très fort potentiel politique et pouvant exporter leurs expériences, ne pouvait qu’inquiéter les autocraties. La Première Guerre Mondiale eut, entre autres raison, de dresser un barrage à la progression de ce modèle. La Seconde Guerre Mondiale, reprend le même schéma. C’est le totalitarisme, remplaçant les monarchies autocratiques, qui veut soumettre les démocraties. Ce fascisme, portera le nom d’Axe Rome-Berlin-Tokyo. Encore une fois, la Russie, devenue, entretemps, l’URSS, fait tâche dans le camp des démocraties. Mais d'abord, il y avait les exigences d’alliances tactiques pour défaire l’Axe, ensuite le communisme faisait encore illusion en Occident. Dès que la guerre prendra fin, l’URSS sera elle l’adversaire des démocraties. Les deux guerres citées, malgré leur lot effroyable de morts et de destruction, avaient un «sens». Je voudrais, avant tout, dire ce que j’entends par «sens» sur le plan éthique. Une guerre qui tue, ne peut avoir de «sens» puisqu’elle ôte des vies humaines avant le terme naturellement imparti à ces vies. Mais une guerre est parfois imposée à l’une des parties. Par le militarisme de Guillaume II et sa tentative de sauver un pouvoir vieillissant, pour la première guerre. L’idéologie raciale des Nazis, l’expansionnisme allemand et japonais pour la seconde. Une fois les deux guerres déclenchées, les démocraties devaient s’y engager, pour empêcher les nations fascistes de vaincre. C’est là où elles ont un «sens». Car si les démocraties s’étaient laissées vaincre, le monde aurait plongé dans une nouvelle ère de barbarie, dont personne n’aurait pu évaluer la durée et que la victoire des Alliés à éviter? La confirmation de ce raisonnement est le maintien des régimes communistes totalitaires en URSS et en Chine. À eux deux, ils ont provoqué non seulement près de cent millions de morts, mais ont déclassé ces pays et leurs satellites sur tous les plans: la déstructuration des sociétés, l’humiliation et la décérébration des individus, les souffrances physiques et psychologiques, une économie de subsistance. Ces effets n’ont commencé à prendre fin qu’à la chute du communisme, et vingt-cinq ans après leurs séquelles restent énormes. Dans le monde occidental démocratique, les citoyens souffrent également, même si les maux sont parfois différents. Mais il faut être de mauvaise foi pour dire que sous le communisme, on vivait mieux et surtout qu’on ne pouvait pas vous ôter la vie aussi facilement. Ce sont les habitants de Berlin-Est qui se faisaient abattre par les Vopos en tentant de traverser à l’Ouest. On n’a jamais vu une tentative de passage dans l’autre sens.
Si, donc le totalitarisme communiste aura jusqu'à sa chute, toujours eu tort, les démocraties, elles, n’ont pas eu tout le temps raison, surtout dans leurs rapports avec le reste du monde. C‘est vrai que l’Europe se retira de ses colonies et les États-Unis n’en eurent pas vraiment, excepté les Philippines. Mais les démocraties vont cependant soutenir, financer et armer, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient, des régimes totalitaires, sous prétexte de combattre le totalitarisme soviétique!
La fin de cette guerre idéologique, a certes réduit l’interventionnisme des démocraties, mais il ne l’a pas éradiqué. Voir les équipées afghanes et irakiennes et la permanence du soutien de régimes autoritaires. De même qu’il n’existe plus une puissance mondiale de la taille de l’Union Soviétique ou de l’Allemagne Nazie, qui pourrait ébranler la paix mondiale. Les démocraties ont définitivement prouvé que leur système est celui qui donne la supériorité militaire et politique. La Chine, qui est la seconde économie du monde en termes de PIB, n’est pas un pays démocratique et libre. Elle ne pourra jamais susciter les talents entrepreneuriaux et scientifiques, qui exigent avant tout la liberté et l’esprit critique, pour s’imposer aux États-Unis, à l’Europe et à l’ensemble des pays démocratiques.
Mais en même temps une autre «guerre de domination» s’est accélérée, celle de l’économie, qui fait rage et victimes. Là, on se bat à «mal» égal entre démocraties et régimes autoritaires. L’ultralibéralisme occidental contre le capitalisme sauvage chinois, la Chine qui n’a plus de communiste que le nom du parti au pouvoir. En Russie, il n’y a plus d’idéologie, en Syrie, plus personne n’y croit. Dans ces deux pays, si l‘on ne s’associe pas aux caciques du régime, on ne peut devenir riche. C’est pareil dans les anciennes républiques soviétiques, dans certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud. C’est vrai qu’Hugo Chavez a vécu modestement, mais il a flambé les richesses de tout un pays au bûcher de sa mégalomanie. Dans une minorité de pays autoritaires, comme en Iran, l’idéologie religieuse est certes encore effective, mais elle est aussi le prétexte qui permet aux détenteurs du pouvoir, le clergé organisé et les Gardiens de la Révolution, de détenir des pans entiers de l’économie du pays. Également en Arabie Saoudite, la famille au pouvoir, gardienne des lieux saints, possède le royaume. Le détournement des richesses était également le fait de la nomenklatura communiste, mais jamais elle n’a atteint ce niveau que l’on constate aujourd’hui dans les pays autoritaires précités. Dans les démocraties, on est certes mieux logés, mais depuis les années quatre-vingt, les inégalités recommencent à progresser, la classe politique est déconsidérée par une perte d’éthique et sa gestion défectueuse de l’État et son incapacité d’accompagner les mutations sociales. Les crises économiques sont douloureuses, parfois structurelles, et provoquent la résurrection de démon idéologique xénophobe et autoritaire, qu’on croyait avoir définitivement terrassé.
D’où vient cette contradiction entre les principes démocratiques et les pratiques des gouvernements des pays démocratiques? Pourquoi l’autoritarisme continue à gouverner une partie de la planète? C’est à cause de l’insuffisance en démocratie, et de l’absence en régime autoritaire, de l’assimilation définitive de l’égalité des hommes à posséder les mêmes «capabilités» (1) pour compenser les inégalités naturelles, de fortune déjà constituée, de talents. C’est également, le déficit de l’exigence non négociable d’une existence digne pour tout le monde. On a déjà fait l’expérience avec le communisme d’égaliser «par le bas», ce fut une catastrophe. Définir ce qu’est vivre dignement est très difficile. Ainsi que cerner les «capabilités». Mais du moment qu’on croit à la nécessaire égalité, on peut avoir l’intuition de ce qu’il faut faire et essayer. L’humanité a connu des avancées qualitatives prodigieuses en ce sens. Chaque fois que l’égalité n’était plus la priorité, on a reculé, jamais par fautes de moyens. La guerre pour l’égalité est la dernière qui fait «sens».
Au Moyen-Orient, ce combat est encore plus aigu. Car il ne s’agit pas encore de l’égalité dans tous ses domaines d’application, mais de simplement l’égalité uniquement face à la vie. C’est le seul «axe» par rapport auquel il faut se situer. Ce n’est ni la Syrie, ni l’Iran, ni l’Irak, ni l’Arabie Saoudite, ni le Yémen, ni la Libye qui risque d’être occupée par l’un d’entre eux. Ce n’est pas Daech qui menace le régime du président Assad ou le gouvernement irakien, ni ceux-là qui menacent les jihadistes, puisqu’ils sont égaux et interchangeables. Ce sont les Syriens, les Iraniens, les Irakiens, les Saoudiens, les Yéménites et les Libyens qui sont en danger et qui ne sont pas égaux dans leur droit à la vie face à ces bourreaux.
Est-ce que, l’occident démocratique dont le bilan est moins négatif en termes d’égalité, doit intervenir? L’ayant fait, cela m’évite de répondre à la question. Mais il le fait mal. Je l’avais écrit dans un précédent article, il fallait en Syrie soutenir l’Armée Syrienne Libre, la plus encline à épargner les vies et à préserver la dignité des Syriens. Laisser, face à face, Daech et le président Assad est une catastrophe. Ainsi que laisser Daech en tête à tête avec les milices chiites en Irak. Les Occidentaux comprendront cela, quand ils admettront qu’un sans logis dans leur pays est inadmissible. Ils comprendront alors l’urgence de sauver la vie de n’importe quel Syrien. Quant aux moyens, qu’on ne me fasse pas l’insulte de me dire qu’ils n’existent pas.
1- Concept développé par l’économiste Amartya Sen et la philosophe Martha Nussbaum.
Amine Issa
24/04/2015