Gaza, peut-on encore éviter la guerre ?
Tout semble indiquer que le chaudron à Gaza est prêt de déborder. La première alerte est donnée le vingt-cinq avril par L’UNRWA. Elle avertit que sur les cinq milliards quatre cent millions de dollars promit par la communauté internationale pour la reconstruction de la bande de Gaza, suite à la guerre de 2014, pas un dollar n’a été encore versé. Sur les neuf mille habitations détruites, pas une seule n’a été encore reconstruite. Seules quatre-vingt mille des cent quarante mille maisons endommagées sont en cours de rénovation et pour la première fois de son histoire, l’agence va connaitre un déficit de cent millions de dollars. Ce qui est plus inquiétant, elle révèle qu’en l’an 2000, quatre-vingts mille Palestiniens, sur un total d’un million sept cent mille, recevaient une aide pour se nourrir, en 2015, ils sont huit cent mille. Et l’UNRWA de conclure : le désespoir est le seul sentiment commun aux Ghazaouis et la bande de Gaza en 2020 un lieu où « Des humains ne pourront pas vivre »(1). Comment en est-on arrivé là ?
Jusqu’en 2012, boycotté par l’Égypte de Hosni Moubarak et les pays du Golf qui le trouvaient trop turbulent, le Hamas, qui contrôle Gaza depuis 2005, s’était rapproché de la Syrie, de l’Iran et du Hezbollah libanais. Ils le finançaient et l’entrainaient. La moyenne intensité du désaccord entre sunnites et chiites permettait encore ce genre d’alliance, et le militantisme armé contre Israël la justifiait. En 2012, le Hamas, très proche idéologiquement des Frères Musulmans, décide de changer de parrain. Le président Assad soutenu par l’Iran chancèle et surtout Mohamed Morsi, le candidat des Frères Musulmans, est désormais le président de l’Égypte. Mais en 2014, la situation se retourne. Bachar El Assad a repris l’offensive et Mohamed Morsi est derrière les barreaux. Par ailleurs, les conséquences de la guerre de 2009 entre Israël et le Hamas, dont le blocus, sont très lourdes et les Ghazaouis sont excédés. Khaled Mechaal, le chef du Hamas, quoique réconcilié avec le Qatar qui l’a reçu en 2012 quand il fut expulsé de Damas, ronge son frein. Depuis le début des insurrections arabes, la question palestinienne est reléguée au second plan, au Moyen Orient comme en Occident. Le Hamas passe à l’offensive. Des coups limités sont portés à Israël. Le lâche assassinat de trois adolescents israéliens en Cisjordanie, tirs de roquettes et multiplications des tunnels souterrains qui relient la bande de Gaza à l’Égypte et à Israël. Mais les calculs de Khaled Mechaal s’avèrent faux. La réplique israélienne est encore plus brutale que les fois précédentes. Tel-Aviv a la bonne mesure. La guerre en Syrie, pour détrôner Assad, et son lot de massacres, sont la priorité des Arabes et de l’Occident. Tsahal se déchaine sans retenue contre Gaza dans une guerre de destruction systématique et provoque un carnage de civils ; Plus de deux mille en cinquante jours !
Depuis, le calme règne de nouveau, les Ghazaouis meurent en silence et Khaled Mechaal n’a pas eu la décence de démissionner. Au lendemain du rapport de l’UNRWA, c'est-à-dire le 26 avril, dans le Yediot Aharonot, est publié un article d’Alex Fishman. Il confirme la rumeur que des tractations indirectes, encouragées par le Qatar, se tiennent entre le Hamas et Israël, pour perpétuer le cessez-le-feu. Sans citer de sources, il contredit le rapport de l’UNRWA en disant que la reconstruction va bon train et que les marchandises rentrent et sortent normalement à Gaza. Quand on lit les articles précédents d’Alex Fishman, on devine très clairement sa coloration politique à droite. Et cela explique sa dénégation du rapport de l’UNRWA. Israël, en négociant avec le Hamas, une organisation terroriste, se montre magnanime. Mais en réalité Israël ne veut céder sur rien et surtout pas alléger le blocus qui redonnerait un second souffle au Hamas, très critiqué pour sa gestion par les Palestiniens. En inspirant des articles comme celui d’Alex Fishman, qui nie grossièrement la vérité, Israël espère se dédouaner d’avance, si les Palestiniens acculés par la misère et l’indifférence, déclenchaient une nouvelle guerre. Sauf que l’armée Israélienne n’est pas tout à fait de l’avis de la direction politique de son pays. Le 30 avril, quatre jours après l’article d’Alex Fishman, apparait sur le site de l’armée le troisième rapport d’évaluation des forces armées sur la situation de Gaza depuis la fin de la guerre de 2014. Il confirme les conclusions du rapport de l’UNRWA, cite celui des Nations Unies qui va dans le même sens et prévient que si rien n’est fait pour améliorer le sort des Ghazaouis, la guerre est inéluctable (2). La veille le même Yediot Aharonot avait publié un reportage sur la création et la progression d’une nouvelle organisation armée à Gaza, le « Hezbollah à Gaza ». À part le nom, l’emblème de celui-ci est une variante à peine retouchée de celui du Hezbollah libanais. Floués par Khaled Mechaal, l’Iran et le Hezbollah n’ont pas tardé à réagir en créant de toutes pièces cette nouvelle organisation qui se déclare ouvertement contre toute trêve avec Israël. Des Ghazaouis privés de tout, enfermés dans une prison à ciel ouvert, se sont sans doute embrigadés sans trop d’états d’âme sous ce nouvel étendard. On peut compter également sur la générosité des Iraniens, qui peut, quand on a faim, faire oublier l’hostilité entre chiites et sunnites.
Que peut-on conclure de tout ce qui précède ? Un conflit entre la bande de Gaza et Israël ? Une guerre intestine entre le Hamas et ses nouveaux concurrents ? C’est une possibilité, mais pas une certitude. La seule certitude est que les Ghazaouis perdent graduellement toute qualification humaine. Pour y mettre un terme, il ne faut compter ni sur le Hamas, ni sur Israël, ni sur l’Iran, le pyromane n’est pas le pompier. Restent les Ghazaouis et l’Occident. Les premiers peuvent se révolter et renvoyer tout le monde dos à dos, refuser qu’on les manipule et décider de mener un combat contre Israël plus efficace et moins meurtrier que celui du Hamas. Mais n’ont-ils pas atteint un degré de déchéance qui ne peut que déboucher que sur des initiatives suicidaires ? Je ne développerai pas là-dessus, ce n’est pas le lieu. L’Occident, lui, peut agir vite et efficacement. Il ne s’agit pas d’envoyer des troupes pour lever le blocus. Accélérer la création de deux États n’est pas également une solution d’urgence. Par contre, un boycott voulu, concerté et progressif de l’économie israélienne peut avoir des effets immédiats. L’idée même d’un boycott était, il y a une décennie, totalement inconcevable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les Européens ne sont plus impressionnés par la propagande israélienne qui n’y voit que le retour de l’antisémitisme. Dans leur écrasante majorité, ils ne se sentent coupables ni des attentats contre les juifs par les islamistes, ni des propos de l’extrême droite. Je ne dresserai pas une liste des actions de boycott déjà prisent, mais elles sont nombreuses et variées. Des sociétés commerciales et de BTP, des industries des « hedgefunds » et même l’Eglise Presbytérienne aux États-Unis, ont arrêté ou réduit toute coopération avec Israël. Sur le plan académique, des universités n’ont plus d’échanges avec leurs collègues israéliens. Même à Harvard et Yale, la direction de ces établissements, doit se battre contre cette tendance. Quand on connait la taille des échanges entre Israël et l’Europe (45% des exportations) et l’importance des échanges académiques pour un pays dont l’économie dépend de plus en plus des exportations de services et de hautes technologies (35% du total des exportations et en progression constante, alors que les autres secteurs d’exportation stagnent), on peut mesurer l’impact du boycott. Surtout que les exportations vers les États-Unis (20% des exportations) sont en contraction constante depuis 2008 (3). En janvier 2015, à l’occasion de la visite du premier ministre japonais en Israël, Benjamin Netanyahu avait dit que son pays devait désormais diversifier ses relations économiques. Si la crainte du boycott ne s’était pas fait sentir, Israël ne se serait pas donné la peine de courtiser le Japon et avant celui-ci la Chine (sauf qu’avec ces deux pays le solde commercial est toujours négatif au détriment d’Israël) (4).Mais vouloir diversifier ses partenaires est une chose, et le faire en est une autre. Les relations privilégiées qu’entretient Israël avec l’Europe depuis la Shoah ne se reconstruiront pas ailleurs. Un sondage de la BBC effectué en 2014 montre que cinquante pour cent des Chinois ont une vision négative d’Israël, contre vingt-quatre qui en ont une vision positive. Israël est le quatrième pays le moins apprécié en Chine (5). Si le boycott doit s’accélérer, il ne doit pas être le seul fait des particuliers, des ONG, des universités et des entreprises. Les gouvernements doivent s’y impliquer et intelligemment. Une des mesures envisagées par l’Union Européenne en 2012 de labéliser tous les produits venants des colonies israéliennes en Cisjordanie, est totalement malhabile et inefficace. Israël s’empressera de faire le parallèle entre ce label et l’étoile jaune et je vois difficilement les consommateurs pressés aller chercher ce label dans le fouillis de pictogrammes qui encombrent les emballages. Il faut agir rapidement et efficacement.
Amine Issa
04
/05/2015
1- Safir 25/04/2015.
2- Modon 30/04/2015.
3- The Israel Export and International Cooperation Institute, http://www.slideshare.net/fullscreen/IsraelExport/ieici-developments-and-trends-in-israel-exports-h12014-summary/7.
4- http://globaledge.msu.edu/countries/israel/tradestats& http://cbs.gov.il/www/hodaot2014n/16_14_313e.pdf
5- http://downloads.bbc.co.uk/mediacentre/country-rating-poll.pdf