Quand Thomas Piketty veut sauver la Grèce de l’ogre allemand.
Le 20 mai, Thomas Piketty, à Berlin, demande qu’une partie de la dette grecque soit effacée, comme l’a été en partie (60%) celle de l’Allemagne, par le traité de Londres en 1953. Il dit « Les jeunes Grecs doivent-ils être davantage tenus responsables des erreurs commises dans le passé que les Allemands en 1953 ? Pourquoi leur refuser ce que l’on a accepté de la part des Allemands ? ». Mais il ya une différence entre ces deux dettes. L’Allemagne n’a décidé ni de son montant initial ni de sa réduction, c’était un pays justement puni pour avoir provoqué deux guerres mondiales. Alors que la dette de la Grèce a été contractée librement par un gouvernement élu. L’Allemagne s’est pliée aux exigences des alliés, la Grèce doit se plier à ses propres engagements. Ensuite, Thomas Piketty a oublié de rappeler que ce que n’a pas payé l’Allemagne l’a été en largement par le Plan Marshall. Il oublie également de dire que seule la RFA à acquitter sa quote-part, alors que la RDA, « confisquée » par l’Union Soviétique pendant trente-cinq ans, n’a jamais rien payé. Peut-être que monsieur Piketty devrait recommander au premier ministre Grèce Alexis Tsipras d’intercéder en faveur de l’Allemagne, auprès de son nouvel allié Vladimir Poutine pour effacer l’ardoise de la RDA ? Mais monsieur Tsipras a d’autres brillantes idées pour équilibrer ses comptes, il remet sur le tapis la question de la dette allemande annulée en 1953 et réclame le solde impayé avec intérêts. C’est à cet égard que l’égalité de traitement entre l’Allemagne et la Grèce, que Thomas Piketty propose, redevient intéressante. Si l’Allemagne doit repayer à la Grèce ce que les accords de 1953 ont effacé, alors l’Allemagne serait en droit de réclamer aux Russes la « location » de la RDA, et le prix de la réunification de l’Allemagne qui se situe dans la fourchette de 1500 à 2000 milliards d’euros (les estimations les plus folles de la somme que devrait encore l’Allemagne à la Grèce sont de 300 milliards d’Euros). Voilà qui indisposerait sans doute Vladimir Poutine. Et ce que Thomas Piketty a également occulté est que la Grèce a déjà obtenu l’annulation du tiers de sa dette en 2012, c'est-à-dire 107 milliards d’Euros (1).
L’Allemagne est perçue par monsieurs Piketty et Tsipras comme un pays égoïste et dont la Grèce est une victime de ses exigences en matière de discipline budgétaire. Il faut savoir que l’ogre Allemand est le principal contributeur au budget européen et qu’il est surtout un contributeur « net », c'est-à-dire qu’il paye plus qu’il ne reçoit de la caisse commune, ce qui est loin d’être le cas de la Grèce qui, entre 2004 et 2008,a reçu à elle seule 24.4% de l’ensemble du financement européen (2). Enfin, il serait de bon ton de rappeler que l’Allemagne a également subi une crise économique importante au début de ce siècle. Cette crise attribuons la à la mauvaise gestion de l’économie par les dirigeants allemands. En 2003, le chancelier Schröder a présenté son plan de redressement « Horizon 2010 ». Celui-ci a exigé des Allemands beaucoup de sacrifices : réduction du temps des allocations au chômage, forfait pour les soins médicaux, déréglementation partielle du travail, l’âge de la retraite passe de 63 à 65 ans, baisse de l’impôt sur les hauts revenus pour encourager l’investissement et l’emploi (3). Les Allemands ont protesté, mais finirent par acquiescer et ne réclamèrent de l’argent à personne. Si les Grecs ne doivent pas payer les erreurs de leurs ainés, qui contrairement aux Allemands, sont dus à la corruption, la falsification des comptes officiels par les dirigeants et l’avidité de secteurs entiers de la société grecque qui encaissaient des dessous de table pour assurer des services tarifés par l’État, pourquoi les Allemands devraient s’acquitter de la dette que leurs ainés, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’auraient pas payée ?
La Grèce d’aujourd’hui n’est pas celle de la « dictature des colonels », mais le populisme, les évitements et la recherche de bouc émissaires d’Alexis Tsipras sont des techniques de dictateur, la Grèce a tout à y perdre.
1- La tribune, le 10/03/2012.
2- Horizon et débats, le 29/10/2012.
3- Slat.fr, le 06/02/2012.