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citoyen libanais
9 juillet 2015

Trêve en Syrie et bilan provisoire

 

samih3

La guerre en Syrie, ayant atteint les objectifs souhaités ou du moins le plus loin qu’ils pouvaient l’être pour l’instant, devient absurde et doit faire une pause. Cette suspension du conflit syrien est sans doute également due à l’approche d’un accord entre l’Iran et les États-Unis sur le dossier nucléaire. Tant que celui-ci était en négociation, les mouvements sur le champ de bataille syrien étaient autant de « manœuvres diplomatiques par d’autres moyens ». Maintenant que l’entente semble possible, il devient plus utile de maintenir le conflit en tension basse, quitte à le traiter d’une façon ou d’une autre, plus tard à la vue des répercussions de l’accord. 

S’arrêter ne veut pas dire la remise sur pied d’un gouvernement central. Celle-ci n’est pas encore à l’ordre du jour, mais une carte temporaire des zones d’influences est tracée. Sans l’avouer, les protagonistes ont renoncé à une victoire totale et posent les jalons de leurs territoires, en concentrant leurs efforts de guerre dans des zones stratégiques pour les sanctuariser. Le pouvoir syrien va sécuriser la frontière avec le Liban, mitoyenne des agglomérations chiites, en gros du Hermel à Zabadani. Cela lui permet de contrôler la route Homs-Damas qui relie la capitale à la côte, région alaouite. Le régime également protègera son accès au Golan, donc à la frontière israélienne, dont le réchauffement peut être utile à un moment ou l’autre. Sur le reste du territoire, il ne gardera de positions que si l’effort pour le faire ne met pas en danger l’inviolabilité de la bande qui court de Lattaquié à Souiada dans le Golan. Les autres régions seront sous contrôle des différentes rébellions, alliées ou ennemies.

Quelle est le bilan à ce jour ?

Les États-Unis ont eu le premier prix. Dans un moment de fort engagement autant politique qu’idéologique des États-Unis, c'est-à-dire l’invasion de l’Irak en 2003, le président Bachar el Assad se mit en travers de leur chemin. Non seulement il refusa d’y participer, mais sans doute, pour effacer l’humiliation de son retrait forcé du Liban et démontrer son pouvoir de nuisance, il alimentera la résistance irakienne contre la présence américaine. Son appui au Hezbollah dérange aussi. Aujourd’hui, sans argent et avec une armée enguenillée, Il n’est plus qu’une ombre dans un palais vide, dont les clefs sont à Téhéran. Deux autres prix pour l’Amérique, qu’elle partage avec Israël sont, d’abord, la disparition de l’arsenal chimique syrien. Celui-ci aurait pu être utilisé par un Bachar el Assad désespéré ou un groupe islamiste, contre l’Etat hébreu. Ensuite, le démembrement de la Syrie Assadite, turbulente, intrigante, prête à s’allier aux pires ennemis de l’Amérique, mais aussi de composer pour mieux se rétracter. L’Amérique et Israël mettent ainsi fin à une grande partie du pouvoir de nuisance de ce maître-chanteur. Un quatrième prix est aussi gagné. L’État Islamique n’atteindra jamais la côte, d’où il aurait pu mieux s’exporter. Car l’Amérique et l’Europe le craignent désormais. Après avoir sciemment boycotté les laïques syriens et permis aux États du Golfe et à la Turquie d’alimenter la montée des extrémistes, voilà que le retour de bâton commence à résonner en France, en Belgique, en Égypte et en Tunisie. La Jordanie a fait échouer dernièrement une offensive islamiste au sud de la Syrie et l’on se dirige vers une sous-traitance de la frontière turque aux Kurdes. Reste la béance qu’est la frontière avec l’Irak que les islamistes traversent sans entraves. Jusqu’à présent, aucun plan n’est applicable pour occuper le terrain. L’aviation se charge de les assommer et de réduire leurs revenus pétroliers. C’est le sens de la dernière intervention du président Barack Obama au Pentagone lundi.

Le président Bachar el Assad, lui, ramasse un prix de consolation. Devenu une ombre dans un palais certes, mais toujours assis dans un fauteuil, il commande à ses sbires, ce qui fait de lui et sans faux-fuyant désormais, le prince des Alaouites. Pour un dictateur comme le président Bachar El Assad, c’est une situation acceptable. Il est comme au temps des Ottomans, un administrateur local de province, obtenant une petite autonomie pour jouer au roi et s’enrichir. Sauf qu’aujourd’hui, l’empire n’est plus ottoman, mais iranien. 

La Russie, elle, ramasse la récompense dont personne ne veut. Empêtré dans son ultranationalisme qui couvre tous ses échecs économiques, le président russe qui n’a pas d’argent à donner au président Bachar el Assad, l’alimente en canons et explosifs pour les barils héliportés, dernière innovation civilisationnelle du complexe militaro-industriel russe. En même temps, Poutine laisse souvent entendre que le maintien du président syrien n’est pas une condition pour la paix en Syrie. Contre ce soutien ambigu qui est d’abord destiné à gêner l’Amérique, sans couper les ponts, il obtient la poursuite du stationnement de ses navires de guerre à Tartous, une sorte de comptoir au Levant. Stationnement que même les Américains ne lui contestent pas, tant l’idée d’une « invincible armada » n’est plus qu’un mythe qu’on se raconte sur la Place Rouge. 

Les États du Golfe ne sont pas absents du podium. Certes, ils n’ont pas obtenu l’humiliation et la mort du président syrien. Il faut savoir que les chefs de ces Etats, mélange de souverains et de théocrates, ont longtemps subi les menaces des nationalistes arabes, le président Gamal Abdel Nasser en tête et dont Bachar el Assad est le dernier avatar. Le président Bachar el Assad ne s’est jamais privé de les insulter et notamment lors du sommet arabe qui suivit l’invasion du Liban par Israël en 2006. Il les traita alors de demi-hommes. Rien ne pouvait effacer cet affront, sauf la disparition de l’insulteur. Faute de l’obtenir, ils le retrouvent réduit et seront certainement acteurs dans la recomposition de la Syrie, quelles que soit ses futures frontières et la nature de son régime, wahhabite au mieux, à caractère sunnite au minimum.   

L’Iran, partie fortement prenante, est aussi à la récolte de prix. Cependant prix mineurs. S’il contrôle le régime syrien, celui-ci est tronqué. Dans son isolement international jusqu'à nouvel ordre, il avait la République Arabe Syrienne à ses côtés, au cœur de la nation arabe. Aujourd’hui, il n’a plus qu’un paria à ses ordres. Son accès au front israélien par le truchement du Hezbollah au Sud Liban, et maintenant sur le Golan, demeure mais il n’est plus aussi assuré qu’auparavant. Au risque de tout perdre, incapable de reprendre pour le compte de l’armée syrienne épuisée et réduite, le contrôle de l’ensemble du territoire, l’Iran préfère maintenir un minimum garanti. Surtout que l’un des exécutants d’une menace à l’encontre d’Israël, le Hezbollah, étiré d‘Alep à la frontière sud du Liban, n’a plus la même résilience à l’égard d’une riposte de Tel-Aviv. L’autre exécutant, le Hamas, pour des raisons idéologiques et pratiques est actuellement hors service, du moins au profit de l’Iran. Le soutien financier à la Syrie se chiffre en milliards de dollars, sans victoire décisive de son obligé, alors que l’embargo est toujours en place. La population et les partis réformateurs, dans la marge qui leur est donnée, ne partagent pas les dispendieux projets expansionnistes du Guide et des Gardiens de la Révolution en Syrie, en Irak et au Yémen, alors que l’inflation et le chômage plombent l’économie iranienne.

Enfin, le Liban et surtout le Hezbollah. Il faut comprendre que l’alliance du parti de Dieu avec le régime syrien est uniquement tactique. Tout les sépare. L’idéologie d’abord. Le Hezbollah est un parti religieux avec une forte dimension messianique. Son combat contre Israël dépasse la simple récupération de territoires. Ce qui dans les deux cas n’est pas la nature du régime syrien et ne rejoint pas ses objectifs, malgré une parenté en pointillé entre chiites et alaouites. Reste donc pour le Hezbollah, la nécessité de garder un accès à une base-arrière où il peut entraîner ses hommes, cacher une partie de son arsenal et maintenir l’acheminement de ses fournitures en armes et munitions en provenance d’Iran. S’il peut disposer d’une partie du territoire syrien et si ses lignes d’approvisionnement sont encore ouvertes, il peut se contenter du statu quo. Surtout que le prix à payer en moyens et en hommes est extrêmement élevé. Certes, la machine de propagande du parti fonctionne à plein régime pour justifier la mort de centaines de combattants. Mais cet ennemi, contrairement à l’Israélien, est invisible, et cela peut avoir un effet démobilisateur. Ce qui le rend immatériel est aussi la capacité de l’armée libanaise, après un moment d’adaptation, de déjouer jusque-là tous les attentats contre les chiites. Tant le lieu (Bilad el Cham) que le temps du combat (restituer un califat disparu) que l’anonymat de l’ennemi (des combattants soit masqués, soit se ressemblant, soit étrangers, et leur chef, le Calife presque invisible) rendent ce combat irréel, sauf lors du retour des cercueils. Certes, comme je le disais, la martyrologie chiite n’est pas comptable du temps et de l’espace, mais jusqu'à quand ?

Le général Aoun est peut être le marqueur le plus évident de la concomitance d’une suspension de la guerre de mouvements en Syrie et la prise de langue sans actions d’éclat entre Américains et Iraniens. Son insistance pour obtenir, par la rue et les menaces sur le système et la stabilité, ce qu’il pense lui revenir, est sans doute une intuition de la fin des grandes manœuvres.  

Amine Issa

09/07/2015

  

 

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