Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
citoyen libanais
15 octobre 2015

L'Europe, l'Orient et le christ

Suite à la lecture de mon Livre « Les deux imams, le Coran contre l’obscurantisme », un lecteur français m’a envoyé cette lettre. Je la publie, ainsi que ma réponse.

 

 

Source: Flickr

Bonjour, Monsieur Amine Issa

J’ai lu avec intérêt votre livre, sous forme d’un dialogue entre un défenseur de la lettre (du Coran), et celui de l’esprit (du même texte). J’ai pu imaginer un dialogue semblable entre un prêtre catholique, d’il y a quelques décennies, et un pasteur protestant.

Mais venant moi-même du catholicisme, je suis familier de l’attachement à la lettre, j’en comprends la logique, et je lui attribue la solidité de l’Église, sa résistance aux schismes et aux persécutions. 

Mais il est vrai que je n’ai jamais eu à me poser la question des châtiments corporels, puisque, si le christianisme a repris le décalogue pour nommer le bien et le mal, il s’en remet, pour les châtiments terrestres, au pouvoir séculier. L’anachronisme des châtiments prévus par la charia  oblige à mettre en cause la lettre du Coran.

Toutes les religions révélées s’enracinent dans un mythe fondateur, et se reproduisent à partir d’un texte fondateur. En principe intouchable, et sacré.

L’interprétation du texte, par contre, est, soit libre, un droit, et en même temps une invitation pressante adressée aux fidèles, soit réservée à un clergé, instruit et consacré pour cette tâche. C’est le cas du catholicisme et de l’Église orthodoxe. Le catholicisme s’appuie sur la conviction que l’autorité du successeur de Saint Pierre a été instituée par le Christ lui-même (Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église*….et « tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le ciel »…et l’inverse.

Il en résulte qu’on ne peut être dans l’Église, et penser ou agir comme on veut.

Le protestantisme qui s’en est séparé au 16ème siècle offre toutes les nuances de rapports aux textes fondateurs. Il fait plus grand cas de l’Ancien Testament, et fait participer les fidèles à leur interprétation. Il en résulte une formation différente des esprits. Les fidèles sont plus responsables de la conduite de leur vie. Il n’y a plus de confession et de pardon accordé par le prêtre. 

Il me semble que l’islam se caractérise par une interprétation du texte fondateur réservée à ceux qui en sont instruits. Ce qui n’empêche pas les schismes, ou les nuances rivales, comme vous les décrivez.

Mais, selon la position, défensive, ou adaptative, du responsable religieux, la prise en compte du monde tel qu’il est sera différente. Rejet ou acceptation.

Il en est de même pour les fidèles (de toutes les religions). Selon la place prise par leur religion dans leur formation, puis dans l’organisation de leur vie, elle sera un pilier de leur vie, ou une vague identité, non contraignante.

Il n’appartient qu’à l’individu de décider qu’il doute, ou ne croit plus, et de le proclamer, s’il en a la liberté.

Il semble tout à fait inutile de combattre une religion, de persécuter ses fidèles. Aucun État, aucun tyran, n’obtient rien de sûr, de sincère. La liberté de conscience est un moyen bien meilleur. Il appartient alors à l’État de protéger et de défendre la liberté de conscience revendiquée par certains. De ne pas se faire le bras séculier d’une religion, fut-elle majoritaire.

Notre Président de 1981-1995, François Mitterrand avait une formule, « Il faut laisser du temps au temps. » . Le temps religieux et le temps politique ne sont pas les mêmes, le temps politique est plus pressé, avec raison. Il est souvent nécessaire qu’il contourne l’obstacle, qu’il laisse la forteresse derrière lui. Qu’il laisse son opinion insatisfaite. 

Je pense vous avoir dit l’essentiel de ma pensée sur ces questions.

Bien sincèrement,

 

* Ces jeux de mots ou ces formules attribuées au Christ ne peuvent qu’être fausses. Ils n’ont de sens qu’en grec, une langue véhiculaire de la Palestine à l’époque du Christ. Mais sa langue de prédication était l’araméen, et rien ne dit que son instruction dépassait la connaissance de la Thorah.

Signé: Scéptique

 

 

Cher monsieur,

Quoiqu’étant moi-même de tradition catholique, je ne peux malheureusement pas partager votre avis sur l’exclusivité du clergé à interpréter la parole du Christ. En occident vous vous êtes réconcilié avec  les protestants. Mais en Orient, nous en sommes toujours à la multiplication des églises, des dénominations et  des querelles sur le sexe des anges, qui maquillent des luttes d’influences sur le pouvoir temporel. Le Christ est rentré à Jérusalem sur un âne, sous le soleil. Il aurait pu le faire sur une litière tapissée de damas, sur des coussins en plumes d’oie, couverte par un baldaquin et un drapé en soie. Nos évêques, eux, se déplacent en Mercedes.

D’ailleurs le verset de l’évangile que vous citez « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirais mon Église…et tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le ciel » n’a pas à mon sens l’autorité que vous lui conférez. L’interprétation que l’église fait de ce verset, pour confisquer l’évangile, contredit grossièrement cet autre verset, cette phrase que prononce le Christ sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Voilà le Christ qui doute, de son père, de Dieu, et nous, nous ne sommes pas autorisés à douter des interprétations de l’Église ? Le Christ avait compris la dynamique des pouvoirs totalitaires, du pécheur qui est tapi en chacun de nous, et avait refusé les certitudes quand elles heurtent l’humanité pour laquelle il est mort et ressuscité. Avant lui Socrate et après lui Emmanuel Kant, ont fait du doute un système philosophique, mais jamais comme lui dans une perspective transcendantale qui couvre également notre condition finie, puisqu’il a vécu et est mort parmi nous.

Le protestantisme n’est pas en reste dans ses interprétations. S’il a condamné le césaropapisme et le faste du clergé catholique, les compromissions des indulgences et autres commerces expiatoires et confessionnaux, il n’en a pas moins inventé une autre forme d’emprisonnement qu’est la prédestination et la culpabilité de ne pas faire partie des élus. Comment accepter ces chaines quand le Christ, en nous demandant de « pardonner à notre prochain » nous a délivré du plus solide assujettissement, celui de la rancune, et a fait de nous des êtres libres ?  Calvin n’aura t’il était autre chose dans sa cité de Genève qu’un dictateur, plus platonicien que chrétien dans son utopie de cité parfaite, détestant les juifs et rejetant les Lumières ? Les néo évangélistes américains, qui aiment tellement la Bible, y ont-ils vus autre chose qu’un messianisme de mauvais aloi, qui les a mené dans leur entreprise impérialiste en Afghanistan, en Irak et ailleurs ?

Mais revenons en au catholicisme, si vous le permettez. Comment peut encore donner au clergé l’exclusivité de l’interprétation quand Saint Benoit a fait du verset des « Deux glaives », un système de gouvernance terrestre au service de l’église et la justification des croisades, cette boucherie au nom du Christ ? Comment accepter que Saint Augustin, confirmé plus tard par Saint Thomas, ait déduit de la parole du Christ la notion de « Guerre juste » qui a servit de couverture à toute sorte d’expéditions meurtrières ?

On lit dans la presse européenne, depuis qu’un Islam dévoyé, obscur et conquérant, frappe à vos portes, une redécouverte des racines chrétiennes de votre continent. Il a même fallu pour le croire qu’un de vos philosophes médiatiques, Michel Onfray, assène que lui l’athée reconnait l’héritage chrétien de l’Europe. Cette longue occultation ne relève d’aucune raison, si ce n’est un anticléricalisme, qui aujourd’hui n’a plus de sens, sauf à considérer les affidés de Monseigneur Lefebvre comme ses seuls représentants. Cette reconnaissance tardive est une bonne chose, en ce sens qu’elle rétablit une vérité historique sociale et culturelle. Mais ils seraient heureux, pour l’Europe et les chrétiens, de préciser de quel christianisme ils se voient les héritiers. Celui du bucher des vanités ou celui du bucher de l’inquisition ; celui de Jean XXIII qui a vidé l’enfer ou celui d’Urbain II qui l’a rempli. Celui de saint François d’Assise ou de César Borgia, celui des disciples de Saint Ignace de Loyola qui reconnaissait l’égalité aux Indiens d’Amérique ou celui du prêtre  Juan Ginés de Sepulveda qui voulait les soumettre, car ? Celui du théologien Hans Kung ou de Joseph Ratzinger ? Le pape François est aujourd’hui est à une croisée de chemin. Il a lui-même commandé il y’a plus d’un an, une enquête dans les diocèses, dont la fuite des résultats a montré combien l’église est encore aujourd’hui en décalage par rapport aux soucis des croyants. Il se tient aujourd’hui un synode qui doit tirer des conclusions à partir de cette enquête. La modestie de François, sa bonté, sa tolérance pour les « déviants » (« qui suis-je pour les condamner ? » a-t-il dit en parlant des homosexuels) son antipathie pour l’opulente curie romaine, son empathie pour nous, sont à confirmer par un acte fort.  

Amine Issa

15/10/2015

Commentaires
S
Je nuance mon propos, en me rappelant une autre de mes convictions: l'homme ne maitrise pas réellement l'histoire, il n'en a que l'illusion à une échelle plutôt courte. Il s'ajoute un autre facteur contemporain, l'information incontrôlable qui ne permet plus aux dirigeants de "gouverner" réellement leurs peuples. Les citoyens ne font que semblant d'obéir. Ça présente, bien entendu, quelques inconvénients!
Répondre
S
Bonjour, Monsieur Amine Issa,<br /> <br /> Merci d'avoir publié mon analyse de votre livre, et de votre réponse. <br /> <br /> À mon avis, l'acceptation de l'interprétation "officielle" des textes sacrés fait partie de la situation de fidèle, dans la religion catholique, en tout cas. C'est le principe du "credo". Qui tombe, entièrement, dès lors qu'on ne croit plus. Il ne reste, si on le veut, que la morale universelle, naturelle, qui tombe sous le sens. L'amour du prochain, dont la définition chrétienne est "tout homme", est une valeur qui se suffit à elle-même.<br /> <br /> Simplement, il devient possible d'avoir un autre jugement sur la vie, la mort. La libre disposition de sa propre vie est fondamentale, dans les limites posées par la liberté des autres. Ce n'est pas parce que plus rien n'est "sacré" qu'on peut faire ce qu'on veut. <br /> <br /> Le pacifisme fondamental chrétien n'a certes pas résisté longtemps au mal non moins fondamental de la guerre et du meurtre. Les déchirements de l'Europe, les schismes mettant en cause l'autorité de l'Église, la conquête musulmane, après d'autres, comme celle des Huns, ont fait oublier le pacifisme et le choix du martyr des origines. Les croisades partaient du sentiment de propriété des "lieux saints". <br /> <br /> Si un certain nombre d'européens voient un danger dans l'immigration musulmane pour les valeurs chrétiennes, je n'en suis pas. Les valeurs chrétiennes transformées au fil du temps en valeurs modernes, des droits de l'homme, de la Liberté, de la démocratie, sont tout aussi solides. D'une manière ou d'une autre, elles deviendront les valeurs des immigrants. Les faits de résistance, sous la forme d'actes terroristes, n'auront aucun effet sur le cours de l'histoire. Bien plus menacé par la nouvelle idéologie écologiste.
Répondre
citoyen libanais
Newsletter
Archives