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citoyen libanais
25 novembre 2015

Pour que ce ne soit pas un mémorial de plus

Ce texte a été écrit pour la publication qui a accompagné la cérémonie d’inauguration du « Mémorial des Martyrs du Collège Notre Dame de Jamhour ».

 

 

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Ayant proposé à un ami d’écrire un hommage à son frère, il me répondit ce qui suit :

« … quant à porter son nom sur un mémorial destiné aux martyrs et sans vouloir offenser leur mémoire, de mon point de vue, la mort de A... relève plus de la catégorie du dommage collatéral que du martyre !... »

 Que de rage et de déceptions dans cette phrase ! Certes je ne partage pas sa conclusion, mais je la comprends. Avons-nous vraiment compris pourquoi nos amis étaient morts ? Sommes-nous conséquents avec ce que nous leur devons ? Des initiatives louables, une stèle, une statue, des photos, des messes, un arbre pour chaque combattant, une salle dédiée, et à chaque fois, « Mort pour le Liban ». Quelle expression passe-partout, qui permet toutes les récupérations et l’inaction. Oui, ils aimaient le Liban, mais quel Libanais ne l’aime pas ? Ils étaient nationalistes, mais pas fanatiques. Le Liban n’était pas pour eux un Dieu ou un  Veau d’or pour lequel ils donneraient leurs vies.

Les professeurs, prêtres, fonctionnaires et membres du Collège, avaient un engagement qui méprisait la mort, envers les enfants et les hommes qu’ils deviendraient. Parce qu’ils savaient qu’un homme, sans éducation, sans instruction, et surtout sans valeurs : respect de l’autre et du bien commun, conscience de soi et de sa liberté, au Liban ou ailleurs, ne participerait que marginalement à cette belle et extraordinaire aventure qu’est l’existence. Se souvenir d’eux ne suffit pas, perpétuer leurs engagements est notre devoir, si tant nous le considérons ainsi.

Mais au moins, ceux-là, les collaborateurs du Collège, n’ont pas eu à subir la salissure de leur mémoire. Ce ne fut pas le cas de ceux qui sont morts les armes à la main. On les a accusés d’avoir provoqué la guerre pour liquider l’OLP, préserver leurs privilèges et les richesses du pays qu’ils avaient accaparées. 

Pour se rendre compte du ridicule de cette prétention d’avoir voulu briser l’OLP, il suffit de jeter un coup d’œil rapide sur les médias de l’époque pour se rendre compte du déséquilibre en nombre et en armes entre le camp de nos camarades et celui de la résistance palestinienne.

Quels privilèges un agriculteur de Baskinta voulait-il sauver quand ses adversaires déferlaient sur la montagne ? Quelle richesse un jeune de Aïn el Remmaneh voulait-il accaparer? lui qui occupait un appartement de moins de cent mètres carrés, avec cinq ou six autres membres de sa famille, et qui se rendait en service à son université, généralement l’Université Libanaise, qui était gratuite.

 Ceux qui ont pris les armes ne sont pas responsables des fautes de leurs aînés, eux qui ont conduit le Liban à la guerre civile. Comme ils ne sont pas responsables des égarements de ceux qui leur ont succédé et qui ont perverti leur cause en lutte de chef qui s’est terminée par l’apocalypse de 1990. Quelle était leur cause ? Ce sont eux qui la disaient et non pas les titres des journaux et les déclarations des politiques. J’ai connu un nombre d’entre eux, quelques-uns qu’on commémore aujourd’hui. J’ai partagé une même tranchée avec certains. Que voulaient-ils ? La paix, continuer leur chemin d’adolescents ou de jeunes adultes, aimer une fille, réussir dans leurs études, passer une bonne soirée, voyager, circuler librement. Face à une agression caractérisée, ils ont choisi, comme les collaborateurs du Collège, de protéger un mode de vie et leur liberté. Ce qui les différencie est simplement les moyens.

Et toutes les horreurs, vous allez me dire, les assassinats, les enlèvements, les pillages ? Mais fait-on une guerre avec des fleurs ? En connaissez-vous une seule qui, depuis que l’humanité existe, n’ait connu tueries et déprédations ? La guerre est par sa nature la négation de l’humanisme. Malgré leurs jeunes âges, ils le savaient, mais peut-on leur reprocher une guerre qu’on leur avait imposée ? Fallait-il peut-être ne rien faire, se laisser submerger, imposer une manière d’être qu’ils ne pourraient supporter ? C’est un point de vue que je ne discuterai pas, ce n’en est pas le lieu. Ils ont fait un choix, jusqu’à y perdre leurs vies, respectons-le.

Je voudrais également rappeler les accusations portées à l’égard de nos camarades par l’opinion et la presse occidentale : assassins de la cause palestinienne, isolationnistes et fascistes.

Même les Palestiniens reconnaissent aujourd’hui, et c’est à leur honneur, de s’être fourvoyés au Liban, mais l’accusation en Occident bienpensant ne faiblit pas. Pourquoi ? Parce que tétanisé par sa culpabilité envers l’holocauste, il était incapable de soutenir la cause juste des Palestiniens à vouloir récupérer leurs pays. Il se faisait donc gratuitement bonne conscience en les soutenant dans un combat au Liban, fût-il inique.

L’isolationnisme est une forme exacerbée de nationalisme, xénophobe et égoïste. Le fascisme est un mode de gouvernement autoritaire, négateur de toute liberté et génocidaire. En accusant les Libanais de ces deux tares, les Occidentaux n’ont fait, à tort, que projeter sur les Libanais une grille de lecture qui leur est propre. Nous sommes indisciplinés, féodaux et corrompus, c’est vrai et nous le regrettons, d’ailleurs un de nos martyrs ne disait-il pas qu’il voulait en finir avec « la ménagerie qu’était le Liban » ? Le nationalisme isolationniste et le fascisme sont des idéologies et des pratiques occidentales. C’est ce nationalisme irrédentiste et exclusif, qui est à l’origine de la Première Guerre mondiale, de ces dix-neuf millions de morts et du dépeçage de pays entiers pour récompenser les vainqueurs. C’est ce même nationalisme xénophobe qui, de Russie en Hongrie ou même en Europe occidentale, France, Belgique, Italie et Hollande, sert aujourd’hui de programme politique à des partis dans l’opposition ou au pouvoir. Jamais une frontière tracée par la guerre ne fut aussi poreuse que celle qui a séparé les régions dites Est et Ouest au Liban. Jamais ces frontières n’ont ressemblé au mur de Berlin ou au « Rideau de fer », ni aux barbelés qui se multiplient aujourd’hui en Europe centrale.

Quant au fascisme, belle accusation ! Dans les moments les plus sombres de la guerre au Liban, jamais il n’eut l’équivalent de la « solution finale » pour les juifs, ou l’extermination des Tsiganes et des malades mentaux. Jamais il n’y eut l’équivalent du « Vel d’Hiver » quand des Français ont livré d’autres Français aux Allemands, sachant qu’ils allaient les exterminer. Fascistes vous dites ?  Y a-t-il jamais eu au Liban quelque chose qui ressemblât au fascisme mussolinien, nazi, communiste, stalinien et franquiste ? Des hommes de religion ont été assassinés au Liban, mais jamais systématiquement comme l’ont pratiqué les républicains en Espagne. Et si, hier ou aujourd’hui, des partis politiques libanais ont des travers fascistes, c’est qu’ils singent maladroitement ce qu’ils ont appris de l’Occident et ne convainquent qu’eux-mêmes, tant ces pratiques sont éloignées de notre mentalité.

J’ai un seul espoir. Que ce mémorial soit le point de départ d’une catharsis, qui aurait dû être entreprise dès la fin des combats, qui ne l’a jamais été, et pour cause. Il fallait absolument garder un fond de rancœur chez les Libanais,  pour que leurs dirigeants puissent à souhait manipuler la peur de l’autre, leur seul fonds de commerce. Il faut absolument que les Libanais se retrouvent dans des forums de « vérité, de réconciliation et de pardon », pour qu’ils comprennent pourquoi ils se sont entretués. Il ne s’agit de dire qui a eu tort ou qui a eu raison, il faut respecter ceux qui sont morts, civils et combattants, respecter leurs engagements, car si ceux qu’on honore à Jamhour répondaient à une agression, ceux qui leur faisaient face croyaient sincèrement défendre la cause palestinienne, celle des pauvres et des déshérités. Si nous voulons véritablement rendre hommage à notre martyre, il faut par tous les moyens mettre la guerre hors-la-loi, car le seul souhait de ceux qui y sont morts était la paix.

 

Amine Issa

10 octobre 2015

Commentaires
U
De grâce, relisez le dernier paragraphe. Si les libanais n'appliquent pas une Commission de vérité, pardon et réconciliation, nous laisserons l'horreur de ce que nous avons vécu en héritage aux générations montantes!
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T
MERCI A AMINE ISSA,il a tres bien decrit ce que nous ressentons nous qui avons vecu toute la guerre.<br /> <br /> LA CRITIQUE EST AISEE,SURTOUT PAR CEUX QUI AVAIENT QUITTE LE PAYS.
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S
La tragédie libanaise est maintenant loin dans le temps, mais je n'ai pas le souvenir que le jugement attribué aux chrétiens, dont vous rappelez l'injustice et la violence, aient été le fait de tous les partis et les médias français. Les termes que vous rappelez sont propres à notre gauche.<br /> <br /> Un autre point de vue était que les palestiniens formaient un état dans l'état, et continuaient leur lutte contre Israël en utilisant le Liban comme base et comme refuge. Avec, comme conséquence, des expéditions militaires israéliennes, et pour finir, une occupation d'une grande partie du territoire.<br /> <br /> Ces événements ont contribué à la division des libanais, ont exacerbé le rôle des religions dans la politique. Selon vos précédents billets, ce n'est pas vraiment fini.<br /> <br /> Il y a eu quelques films inspirés par cette guerre civile, n'en cachant pas la dureté, la fracture du peuple libanais.
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