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citoyen libanais
12 décembre 2015

France, Venezuela, deux élections et un paradoxe.

Source: Flickr

Le score inédit du Front National en France et la défaite du PSUV des héritiers d’Hugo Chavez au Venezuela, ébranlent des certitudes.

Depuis la révolution de 1789, conséquente aux lumières, dans un mouvement ponctué d’accidents tragiques et de résistances d’anciennes valeurs, la démocratie, l’égalité et la liberté des citoyens, la construction d’une identité autant nationale qu’européenne et ouverte sur le monde, la participation généralisée des « sujets » dans la construction de l’édifice, social, économique et politique, sont devenus une réalité, un code culturel, à la limite génétique.

Au Venezuela, comme dans beaucoup de pays d’Amérique Latine, et du vaste monde non-occidental Daryush Shayegan perçoit que « Les idées viennent du dernier cri de la mode politique, les attitudes, elles, s’enracinent dans les atavismes les plus tenaces » (1). Le mouvement d’émancipation selon Octavio Paz, cité par Daryush Shayegan, ne se découvre que dans des manifestations discursives, superficielles, au mieux utilitaires. Il écrit, « Les idées sont d’aujourd’hui, les attitudes sont celles d’hier…pour les uns comme pour les autres, la raison est une arme au service d’une Vérité. La mission de l’intellectuel est de la sauvegarder » (2).

La France affronte une crise économique, un modèle social ébranlé, un brassage démographique et culturel, et le terrorisme. Dans un pays à l’esprit vif ou le débat est libre et courageux, frondeur et critique, on attendait une autre réponse que le Front National aux difficultés précitées.

Au Venezuela, après des décennies de dictature, d’une parenthèse démocratique boiteuse faites de népotisme, de corruption et de crise économique, Hugo Chavez, un ancien putschiste, est élu par une vague populaire faite de ras-le-bol. Mais on ne change pas les hommes. Hugo Chavez s’est comporté, comme un dictateur d’opérette, en achetant la paix sociale, tantôt par la violence, tantôt par la distribution de prébendes. Si l’alphabétisation et la médecine ont fait de notables progrès, si les pauvres ont bénéficié de largesses (3), cela s’est fait par une dilapidation du capital vénézuélien, ses ressources en hydrocarbures et matières premières. Rien ne fut accompli pour la reconstruction de l’économie sur des bases durables et productrices. Même les investissements nécessaires aux infrastructures pétrolières, pour perpétuer l’écoulement de la manne financière, n’ont pas été effectués (4). Au final, le Venezuela est en faillite et la pénurie atteint les produits de première nécessité, aliments, médicaments et même l’électricité (5). Cela est tout à fait incongru dans un pays qui possède la première réserve de pétrole au monde!  Quand Hugo Chavez, décède en 2011, Nicolas Maduro, son poulain, lui succède et poursuit la politique de son mentor. C’était dans la bonne logique des choses, mais voilà que les Vénézuéliens en 2015, rejettent massivement par les urnes le parti au pouvoir.

Que veut dire tout cela ? Il n’y a pas d’acquis définitif, ni de fatalité. Vigilance et optimisme doivent nous conduire.

Si ce que disent Daryush Shayegan et Octavio Paz est juste, c’est une constatation d’un moment de l’histoire, aussi long soit-il. Mais il ne prédit pas de toute l’histoire et particulièrement celles des idées et des valeurs, couplées à leurs applications. Reprenant Marshall Hodgson, Abdou Filali-Ansary écrit : « La modernité se produit bien en un lieu et une époque déterminés, mais le lien qu’on établit habituellement entre les circonstances de son apparition et sa nature même ne peut être accepté comme une évidence. La modernité n’est pas l’expression, arrivée à maturité, des spécificités d’une société, ni des particularités d’un peuple, d’un lieu ou d’une histoire en particulier. Elle est le résultat d’une accumulation s’étant produite à l’échelle mondiale, sur des périodes très longues » (6). Ainsi après une longue pose dans l’enfermement univoque d’une Vérité, en l’occurrence, des régimes despotiques et d’un communautarisme qui annule l’individu au nom d’une autorité exogène, rien n’empêche qu’au gré de circonstances, les valeurs libératrices de l’individu par lui-même, ne resurgissent. Il devient autonome, créatif et producteur. Ainsi il en va peut-être au Venezuela. Puisant dans l’expérience des autres et faisant remonter de son propre passés des valeurs libératrices, dignifiantes, humanistes, qui certes ne sont pas les mêmes que nous exigeons aujourd’hui mais qui en portent les prémices. Je ne connais pas suffisamment la culture et l’histoire des peuples d’Amérique latine, mais sous d’autres cieux  cela s’est bien passé comme cela. En Occident, entre la démocratie Grecque et les républiques d’aujourd’hui, n’y a-t-il pas eu malgré des siècles de tyrannie, un fond qui ressurgit et se développa ? L’humanisme des Lumières ne doit-il rien aux valeurs chrétiennes, de solidarité et d’égalité, valeurs longtemps obscurcies par l’église ? La démocratie grecque était-elle la première ? Amartya Sen, dans la Démocratie des autres, pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’occident, nous décrit des formes de démocratie pré-Grecque en Inde et en Afrique. L’ensemble de l’héritage Grec aurait ’il put renaitre en Occident, quand précédemment on le brulait en Europe chrétienne comme œuvre païenne, si le califat Abbasides d’Al Maamun n’avait instauré la libre pensée et demanda de traduire les œuvres Grecques en arabe, alors quelles pourrissaient dans les caves humides de Constantinople ?

En France, c’est le phénomène inverse qui se passe. Car les valeurs qui ressurgissent ne sont pas celles que l’on souhaite. Ici on peut appliquer le propos d’Octavio Paz, cité plus haut. La France oublie les fondements de son humanisme, pour ne plus en retenir que les manifestations utilitaires, la science et ses applications économiques. En même temps remontent à la surface un discours et une attitude que l’on pensait définitivement condamner. Jacques Doriot, Marcel Déat, Marcel Bucard, l’Action Française, les Croix de Feu, sont en embuscade. L’antisémitisme ressurgit sous la forme de l’islamophobie. La victime change, mais la logique est identique, même si cette fois les islamistes contribuent à alimenter le phénomène. Sauf que la réponse n’est certainement ni adéquate, ni estimable. Le malaise social est le combustible de ce retournement. La radicalisation des musulmans français en est également la conséquence. Mais pas seulement, il faut y ajouter, la difficile intégration des musulmans venus d’une autre aire culturelle qui agrée des traditions incompatibles avec une république laïque. Aussi sont en cause les résidus du temps colonial et l’influence des imams salafistes que la France, par une invraisemblable légèreté a laissé contrôler les mosquées de l’hexagone.

 La vigilance nécessaire à la réminiscence nauséabonde d’un passé récent et condamnable, s’est émoussée à deux niveaux.

D’abord sur le plan des idées et de la pratique du pouvoir. Par exemple, le débat sur la publication des œuvres de Pierre Drieu La Rochelle et celles de Louis Ferdinand Céline dans la pléiade était porteur d’une inquiétude. On peut séparer l’œuvre littéraire d’un homme de ses convictions et donner à ses écrits toute la place que lui doit. A-t-on écrit quelque chose de plus accompli, depuis Gilles et Voyage au bout de la nuit ? Mais célébrer ces livres ne peut se faire sans garder une nette distance avec les convictions de leurs écrivains. Or c’est cette distance qui semblait s’estomper chez certains défenseurs des deux auteurs. François Mitterrand, en changeant le système électoral, a permis au Front National d’avoir une représentation substantielle au palais Bourbon. Mais l’on sait très bien qu’il la fait, non pas pour donner une voix aux électeurs du Front National dont il ne se souciait guère, mais pour diviser la droite républicaine. Raymond Barre, à juste titre disait, « on ne dine pas avec le diable même avec une longue cuillère ». Depuis les ripailles, par calcul électoral, se multiplient dans la plus grande hypocrisie.

 

La garde fut baissée une seconde fois en laissant le malaise social s’installer durablement. Depuis que Jacques Chirac a promis de réduire « La fracture sociale », jamais celle-ci n’a été aussi béante et douloureuse. Les gouvernements de droite et de gauche se sont succédé dans la démission et les discours creux. Usant de palliatifs budgétaires, en creusant les déficits, ils ont réduit leurs capacités d’interventions sans vision ou plan concertés. Jamais la droite n’a été si peu républicaine et la gauche aussi peu socialiste. Cédant au néolibéralisme anglo-saxon, malgré certaines retenues, la crise de 2008, le recul de compétitivité, la montée des inégalités, l’augmentation de la pauvreté, n’ont pas abouti à une réflexion radicale sur des solutions durables. Ayant cédé à l’économie de marché, les politiques ont abandonné des parts entières de leurs prérogatives à des mécanismes, qui ne se soucient ni de cohésion, ni de solidarité, ni de croissance solide et cordonnée entre les différents secteurs de l’économie. Tant l’échec économique que social sont à l’arrivée, le seul résultat. C’est cette même politique néolibérale, couplée à un décrochage des valeurs de la république, qui a fait des citoyens occidentaux et français, des individus isolés, soucieux de consommer toujours plus des biens matériels et des services, dans l’indifférence des souffrances qui les entourent. En a découlé une dépendance à l’immédiateté. On veut tout avoir tout de suite. Ce réflexe s’est traduit également dans les attentes politiques. Voici des citoyens qui n’ont rien à voir avec la culture politique du Front National, qui votent pour lui, parce qu’ils veulent croire à son discours, qui offre de régler tous les problèmes de la France en un tour de main. Son programme économique à beau être totalement passéiste, son nationalisme isolationniste, son diagnostic réduit à des boucs émissaires qu’il faut éliminer, pourtant on veut croire au miracle.

Ce n’est pas en diabolisant le Front National au moment où il devient le premier parti de France, qu’on parviendra à le réduire. C’est en pratiquant les valeurs de la république, tant par les citoyens que par les hommes politiques, qu’on le ramènera à sa juste taille. C’était avant les élections qu’il fallait écouter et agir pour ses nouveaux adhérents, qui ne sont pas fascistes par conviction, mais par désillusion. Faire autrement aujourd’hui, ne fera que grossir les rangs du Front National. L’adhésion au parti, d’opportuniste, se fera par conviction. Il sera alors trop tard.

 

 

1-Le regard mutilé, Daryush Shayegan, L’Aube, page 67. !P455w0rd

2- Idem.

3- Le Point, 16/09/2010.

4- Le Mondes, Hugo Chavez laisse une économie en piteux état, Emile Lévéque, 06/03/2013 et RFI, Le Venezuela cherche de l'argent frais par tous les moyens, 01/08/2015.http://www.rfi.fr/ameriques/20150801-venezuela-economie-inflation-recession-penuries-argent-frais-petrole-baisse-reven

5- Idem et Le Point, 16/09/2010 et Le Point 28/08/2014.

6- Reformer l’Islam ? Abdou Filali-Ansary, La Découverte, page 80.

Amine Issa

12/12/2015

 

Commentaires
S
Quelle excellente analyse des crises comparées de la France et du Vénézuela! Les deux viennent d'un excès "de gauche", menaçant les navires concernés d'un chavirage! <br /> <br /> Il y a une relation dialectique entre les idéologies et les démocraties, qui seules, peuvent permettre l'expérimentation librement consentie des utopies.<br /> <br /> Quand les effets de celles-ci deviennent dangereux pour l'ensemble, une réaction prend force, et interrompt la marche vers la catastrophe.<br /> <br /> En ce qui concerne la France, dont la constitution garantit la stabilité et les droits des pouvoirs, le mouvement en réaction à une politique erronée, contraire aux intérêts de l'ensemble, et "contre-nature", dispose de diverses échéances électorales dont la succession dessine une tendance.<br /> <br /> La présente, populiste, sanctionne les échecs successifs d'une droite handicapée par la crise de 2008, et d'une gauche trop longtemps cramponnée à la doxa marxiste, devenue irréaliste. Le FN fait entrevoir un tripartisme incompatible avec la constitution de la Vème. Celle de la IVème lui conviendrait mieux, mais pas du tout à l'ensemble du pays.<br /> <br /> Je suis de ceux pour lesquels le sauvetage de notre constitution justifie une coalition défensive....contre nature!
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