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citoyen libanais
12 mars 2016

Pétrole: la bourse ou l’économie ?

 

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Depuis le printemps 2015 les bourses sont en bernes. L’indicateur qui a poussé à des ordres de ventes massives, serait la chute du prix du pétrole. Presque 90% des mouvements de la bourse étaient en corrélation directe avec les prix du brut (1). L’explication est la suivante; si le pétrole baisse, c’est que la demande sur ce produit est en retrait et que donc l’ensemble de l’économie mondiale va mal. Effectivement, la croissance mondiale est molle, celle de la Chine surtout, l’Europe progresse très lentement, seuls les États-Unis maintiennent une progression timide. En janvier, les pays producteurs accusaient en 18 mois un recul de 75% de leurs revenus issus du pétrole (2). 

Mais il est important de faire une distinction. Les ordres d’achat de pétrole aux pays producteurs ont effectivement reculé, mais la consommation, elle, n’a pas baissé (3). Les ordres d’achat ont reculé, parce que les prix baissent depuis presque deux ans et en conséquence les stocks de pétrole sont au plus haut depuis 2011 dans les pays de l’OCDE, plus 50%. L’Irak a augmenté sa production, l’Iran est de retour en force sur le marché depuis la levée des sanctions (4), et l’extraction de pétrole de schiste aux États-Unis est passée de 5 millions de barils par jour en 2008 à 9 millions en 2016 (5). L’agence Internationale pour l’Energie, prévoit, elle, pour 2040 une croissance de 37% de la demande énergétique mondiale (6). Si la consommation de pétrole ne connaîtra pas le même pourcentage à la hausse, c’est que d’autres sources d’énergies, dont les renouvelables, vont prendre le relai, couplé à l’arrivée de machines et de moteurs plus économe en énergie.

Les seuls pays qui souffrent vraiment de la baisse des prix sont les pays exportateurs de brut. L’Arabie Saoudite, le Venezuela et la Russie, effectuent des coupes claires dans leurs budgets. Mais qui sont ces pays? Les 11 premiers sont dans l’ordre, l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Irak, les EAU, le Nigéria, le Koweït, l’Iran, le Venezuela, la Libye, le Qatar et l’Algérie. Ils totalisent 64% des exportations du pétrole, mais ne participent qu’à 6.7% du PIB mondial. A l’inverse les principaux consommateurs et importateurs de pétrole, sont les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde, l’Italie, l’Espagne et la Corée du Sud. Leur PIB cumulé représente 63% du PIB mondial (7) .Ce qui est perdu par les premiers, en termes de revenus, est très largement dépassé en baisse de couts pour les seconds qui sont les véritables moteurs de l’économie mondiale. Cette chute pénible de revenus pour les premiers est certes douloureuse, mais doit les inciter à enfin sortir d’une économie de rente, qui les rend si vulnérables et menace le niveau de vie de leurs citoyens. Étant pour la plupart des dictatures ou des démocraties bancales, et dans les deux cas minés par la corruption, il n’est pas étonnant qu’ils n’aient pas plus tôt changé de cap.

Quelques chiffres pour les bénéficiaires. La zone euro a, depuis juin 2014, économisé un montant égal à 2% de son PIB grâce au recul des prix (8). Pour les États-Unis, le bénéfice en deux ans se chiffre à 190 milliards de dollars (9). En 2011 le pétrole pesait 7% du PIB mondial (10), le baril coutait 101 dollars, aujourd’hui trois fois moins (10).

S’il y’a refroidissement de l’économie, la chute du prix du pétrole n’en est pas l’indicateur et encore moins la cause. La chute du prix reflète les difficultés de ce secteur, mais ne justifie pas une telle rétraction des bourses. L’origine est ailleurs. 

D’abord la Chine. L’usine du monde n’est plus la fabrique la moins chère. Les augmentations de salaires au cours de la décennie passée ont rendu d’autres pays comme le Vietnam et le Bangladesh plus compétitif. Mais en même temps ces hausses de salaire et le manque d’investissement dans les services sociaux, n’ont pas permis l’émergence d’une classe moyenne suffisamment solide pour consommer tout ce que la Chine produit mais ne peut plus exporter. De plus, son système politique autoritaire et corrompu, a autorisé le détournement de centaines de milliards de dollars et des investissements dans des projets d’infrastructure pharaoniques inutiles ou dans la construction de parcs industriels gérés par des proches du pouvoir sans aucune rigueur de gestion et qui sont en faillites. Plus révoltant, la Chine, n’ayant pas de matières premières, elle a disposé de centaines de millions de citoyens comme d’une rente, en les faisant travailler dans des conditions abominables. La Chine est consciente de ses difficultés. Le président Xi Jinping veut combattre la corruption, assainir les entreprises d’état, encourager la consommation interne et améliorer les prestations éducatives, de santé, pour réduire le taux d’épargne important des foyers Chinois. Seul ombre au tableau, la répression de toute contestation qui ne faiblit pas. Sans liberté, celle d’entreprendre est réduite, et sans opposition, les dirigeants ne sont jamais sanctionnés pour leurs mauvaises décisions en matière d’économie.

En occident, les économies faites par les consommateurs sur leur facture énergétique ne se sont pas traduites par un transfert intégral vers la consommation. Les taux d’emprunts très bas et une inflation négligeable n’ont pas eu non plus les effets escomptés. Les citoyens ont peur, ils épargnent. Ils ne font toujours pas confiance au système financier qu’ils soupçonnent de renouer avec ses pratiques spéculatives à haut risques. Ils n’ont pas tout à fait tort.

Pour seuls exemples : Le 20 mai 2015, six grandes banques, Bank of America, Barclays, Citigroup, JP Morgan Chase, Royal Bank of Scotland et UBS acceptent de payer, par un arrangement à l’amiable, une amende de 5.6 milliards de dollars, afin d’éviter des poursuites judiciaires, pour avoir manipulé les taux de changes (le LIBOR) à leurs profits entre 2007 et 2013, c’est-à-dire jusqu’à 5 ans après la crise de 2008. Aucun dirigeant ou employé de ces banques n’est poursuivi ou condamné (11). Aux États-Unis, le montant des surprimes, ces actions toxiques, sur les crédits automobiles ont atteint en 2015, 130 milliards de dollars. En 2008 il était de 126 milliards ! (12).

Un grand nombre de financiers continuent à privilégier le gain à court terme des opérations spéculatives, à l’investissement dans l’économie réelle. Larry Fink, le président du fond Black-Rock, le plus grand gérant d’action du monde, dans une tribune du New York Times, dénonce « l’hystérie » des résultats trimestriels et reproche aux sociétés de l’indice S&P 500, de distribuer des dividendes comme ils ne l’ont jamais fait depuis 2009, « ces pratiques qui minent leurs capacités à investir dans le futur ». Il dit aussi « Le sous-investissement chronique dans les infrastructures Américaines des-routes aux égouts en passant par les réseaux électriques – ne va pas seulement coûter aux entreprises et aux consommateurs 1800 milliards au cours des cinq prochaines années, mais représentent clairement une menace sur la capacité des entreprises à croître » (13).

C’est cet état d’esprit des financiers qui explique largement le recul concomitant des bourses et celui du prix du pétrole. Si les grandes compagnies pétrolières y laissent une partie de leur plumage, c’est compréhensif. Mais que l’ensemble des actions s’en ressentent automatiquement, ne l’est pas. Sauf que, les agents boursiers, tétanisés par le court terme, ne veulent plus appréhender l’économie globalement et se désintéressent des investissements aux rendements différés mais plus solides, et liquident massivement leurs portefeuilles d’actions à la moindre alerte. Les taux très bas et parfois négatifs et le manque d’enthousiasme des emprunteurs dans cette ambiance délétère d’attentisme, pèse lourdement sur la rentabilité des banques, ce qui les poussent encore plus vers les opérations spéculatives à court terme. 

 Une autre source d’inquiétude freine la consommation. Les banques centrales qui ont, à raison, sauvé les banques et le système financier de l’effondrement, sont à court de moyens. Elles ne peuvent plus injecter de l’argent frais dans l’économie ni racheter des actifs (14).

Restent les gouvernements, qui par des mesures incitatives, sont capables de stimuler une reprise. Par la réduction des impôts aux classes moyennes, l’assouplissement du marché du travail, la hausse des salaires et des investissements dans les infrastructures physiques, sociales ou dans la recherche (15).

Je ne peux me prononcer sur l’efficacité de ces mesures, comme je ne peux ignorer que l’économie à ses propres règles. Mais il reste évident que cette dernière ne peut fonctionner en roue libre, aux seules appréciations des financiers. Que ce soit pour les pays exportateurs de pétrole et la Chine aux systèmes autoritaires, ou même en Occident démocratique, le politique reste le grand ordonnateur. Malheureusement le délire d’une certaine gauche en France face aux initiatives libérales du gouvernement, ou, inversement, celle des républicains aux États-Unis face à la politique sociale du président Obama, est un indicateur d’un manque de lucidité face aux défis de l’économie.

 Amine Issa

12/03/2016

 

 

1 & 3 & 4 & 9-Tanking, The New Yorker, 8/2/16, http://www.newyorker.com/magazine/2016/02/08/tanking

2 & 5 & 8- Who's afraid of cheap oil, The Economist, 23/01/16, http://www.economist.com/news/leaders/21688854-low-energy-prices-ought-be-shot-arm-economy-think-again-whos-afraid-cheap

6- http://www.agenceecofin.com/hydrocarbures/2408-994-le-petrole-pese-7-du-pib-mondial-trop-pour-sortir-de-la-crise

7-Banque mondiale, Pib http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.CD

10- https://www.iea.org/publications/freepublications/publication/WEO2014_French_ES.pdf

11- Financial crime. Justice, interrupted, The Economist, 23/05/2015 http://www.economist.com/news/finance-and-economics/21651811-more-wrongdoing-banks-more-swingeing-fines-no-prosecutions-justice

12- les cinq signes qui font craindre une nouvelle crise économique mondiale, L’expansion, 7/12/2015 http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/le-temps-de-la-re-crise-economique_1742523.html.

13- Le patron du plus grand gestionnaire d’actifs au monde dénonce le diktat du court terme, Le Monde, 03/02/2016 http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2016/02/03/le-patron-de-blackrock-part-en-guerre-contre-la-vision-a-court-terme-des-entreprises_4858276_1656994.html.

14- Le Krach sonne toujours deux fois, Le Point, 18/02/16, http://www.lepoint.fr/editos-du-point/nicolas-baverez/baverez-le-krach-sonne-toujours-deux-fois-22-02-2016-2020084_73.php

15- Out of ammo? The Economist, 26/02/2016, http://www.economist.com/news/leaders/21693204-central-bankers-are-running-down-their-arsenal-other-options-exist-stimulate

 

 

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Commentaires
S
Merci et bravo pour cette excellente analyse de l'économie mondiale d'aujourd'hui. Est-elle autonome, ou l'effet de la situation politique à la même échelle?<br /> <br /> J'incline vers la primauté de la politique.
Répondre
citoyen libanais
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