Municipalité, naturalisés et manipulation.
Le décret de naturalisation, promulgué en 1994, de milliers de Syriens, issus entre-autre de tribus bédouines musulmanes, et leurs implantations dans des villages chrétiens de la Bekaa, notamment Terbol et Tannaël, se sont traduits par une recomposition démographique aux profits de ces derniers. A l’approche des élections municipales, précédentes et actuelles, ce bouleversement refait surface de façon conflictuelle. Les chrétiens devenus minoritaires ne veulent pas céder la gestion de leurs villages aux nouveaux venus musulmans, qui eux la réclament au titre de la loi du vote majoritaire. Les discussions s’enflamment dans les chaumières, la presse s’empare de l’affaire et l’antagonisme se résume à une opposition religieuse entre chrétiens et musulmans. Ces deux villages qui ne comptent à eux deux que deux à trois milles habitants et leurs querelles sont une démonstration de la manipulation confessionnelle à des fins électorales donc politique, alors que le problème est ailleurs. Certes la dimension religieuse est une composante de l’identité des deux groupes qui s’opposent. Mais elle n’en est qu’une composante. La réalité sociologique et culturelle est toute autre et c’est elle que nous devrions évaluer. Je vais établir une liste qui ne prétend pas être exhaustive, mais est suffisamment révélatrice. Le taux de reproduction par femme, le taux d’alphabétisation, la durée des études dans les trois cycles de l’enseignement scolaire, le pourcentage d’universitaires, le travail des enfants et leurs rôles économiques, le statut des filles et des femmes, la structure familiale et l’autorité du père, le rapport à l’état, à la loi, à toute autorité anonyme et aux biens communs, le taux d’urbanisation, l’architecture, le rapport à l’espace et au patrimoine commun, les relations de voisinage et maritales, les gouts artistiques, les loisirs, la mémoire historique, les mythes et récits constitutifs, le poids de l’histoire dans la construction sociale, le rapport à la liberté dont celui d’expression, l’engagement politique, la vision de la modernité et de l’occident… Je m’arrête là.
Si entre tous ces éléments constitutifs de la personnalité libanaise, il existe des disparités entre les Libanais, celles-ci sont de loin moins prononcées que celles qui séparent la majorité des Libanais avec les citoyens de fraiche date. Et c’est bien cela qui pousse les chrétiens des villages précités à éviter d’être administrés par leurs nouveaux voisins. Il ne s’agit pas d’essentialisme culturel, l’identité est un processus constructif que les sciences humaines décrivent. Il ne s’agit pas ici de porter de jugement de valeur, mais de constater une réalité que l’on veut noyer dans un unique affrontement religieux. J’en veux pour preuve supplémentaire l’observation de deux autres villages de la Bekaa, Bar Elias et Kob Elias, presque exclusivement habités par des citoyens musulmans et ou le même décret à implanter des Syriens, eux aussi musulman. Il suffit de traverser ces deux villages pour repérer immédiatement ou se sont regroupés les naturalisés, tant leurs quartiers se distinguent à plus d’un indice de ceux des habitants originaires, fussent-ils musulman ou chrétiens. Il vous suffit de vous arrêter dans une épicerie et d’aborder incidemment la question pour mesurer la difficile intégration des naturalisés. Comme il serait instructif de converser avec un chrétien chassé ou exilé d’Irak pour vous rendre compte combien un chrétien libanais s’accorde mieux avec un musulman de son pays qu’a avec l’irakien qui partage sa religion. Encore une fois, il ne s’agit pas de gommer les différences parfois meurtrières qui séparent les Libanais de différentes confessions. Il s’agit de leur redonner la place qu’elles occupent dans notre identité et d’éviter quand elles sont irréconciliables d’en faire le seul horizon de nos relations. La réalité nous ouvre d’autres perspectives de rapports, levons cette option.
Amine Issa
29/04/2016