Non Monsieur Fayad, « Beyrouth Madinati » est politique.
Article publié dans l’Orient Le Jour d'aujourd'hui.
Pour Elie Fayad (L’OLJ du samedi 30 Avril 2016), l’affrontement entre les deux listes, la « Liste des Beyrouthins » et « Beyrouth Madinati », « donne l’illusion du mouvement. Car oui hélas, il y’a quelque part, une illusion : celle que produit la vie politique d’un pays lorsqu’on la dépouille de ce qui fait précisément son essence : la politique ».
Mais qu’est-ce que la politique ? La définition la plus acceptée est la suivante : « la gestion de la Cité en vue du bien commun ». Dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen-Âge, les hommes ne comprenant pas les mécanismes de la nature qui pouvait être dévastatrice, s’en remettaient à la volonté d’un Dieu ou des dieux pour la circonscrire. Ainsi le « bien commun » ne pouvait se réaliser que si l’on plaisait à Dieu ou à ses représentants sur Terre. A partir de l’Âge d’Or musulman scientifique et ensuite la Renaissance Européenne qui en prit le relais, la nature commença à perdre ses secrets. On comprenait désormais ses lois, on pouvait mieux la prévoir, éviter ses débordements et mieux l’exploiter. Le « bien commun » sera désormais servi par une politique qui privilégiera graduellement la satisfaction des hommes aux dépens de celle de Dieu et de ses vicaires. Le système le plus abouti de cette gestation pénible est la démocratie. Celle-ci peut prendre des formes multiples, mais maintient comme garde-fou le respect des constitutions qui garantissent les libertés et la dignité des citoyens. Le contrôle du respect de la constitution est l’affaire des chambres hautes, conseil constitutionnel et autre cour suprême. La démocratie peut prendre la forme du gouvernement de la majorité issue du vote populaire ou d’un gouvernement consensuel tel que les scrutins proportionnels et les référendums les assurent. Au Liban, sous le fallacieux prétexte de « l’Unité Nationale », les politiciens ont développé ce système consensuel jusqu’à en faire une coquille vide, dans l’immobilisme total. La composition de l’actuel conseil municipal de Beyrouth et la liste « Liste des Beyrouthins » sont une copie du gouvernement. On ne gère plus la Cité mais son budget, alimenté par les citoyens, pour le redistribuer de façon sectaire à chaque communauté, créant des disparités de traitement entre les citoyens de la même ville. Entretemps, le «bien commun» se décompose. Dans sa description de la « Liste des Beyrouthins », Elie Fayad a donc parfaitement raison de dire qu’elle n’est pas politique dans le sens noble du terme.
Pour ce qui est de « Beyrouth Madinati », je me permets de le contredire. La liste présente une réelle « alternative politique ». Il suffit de lire son programme et de s’informer sur la personnalité de ses membres, pour deviner leurs choix « politiques ». Les membres de cette liste, s’ils n’ont jamais appartenu à des partis ou occupé des charges publiques, se sont très souvent exprimés dans la Presse, sur les réseaux sociaux et par leurs réalisations, notamment celles des architectes et artistes qui la composent. Peut-on dire que le film de Nadine Labaki « Wa hallak la wayn » n’est pas un acte politique ? Souverainistes ou régionalistes, comme se plaisent à se définir les partis politiques traditionnels ? Les membres de la liste Beyrouth Madinati sont souverainistes dans leur ADN, mais tout aussi attentifs et concernés par notre environnement géopolitique arabe à condition que celui-ci ne remette pas en question l’intégrité du Liban. Économiquement, ils sont autant libéraux dans leurs dispositions de produire de la richesse en encourageant l’initiative privée, que soucieux de la justice sociale par un partage équitable de la richesse. Musulmans et chrétiens, ils sont ouvertement laïcs. Sur la question du rôle de la femme dans une société machiste et patriarcale où le fantasme du sexe dit faible pollue les esprits jusqu’à la débilité, ils décident la parité dans la composition de leur liste. Élitistes? Non. Une élite ? Oui, mais une élite qui est dans la rue plus que dans les postures, les slogans et les portraits placardés sur les murs.
Faut-il nécessairement être un parti politique pour faire de la politique ? Mais voyons ce que sont devenus les partis politiques, au Liban ou ailleurs: Installés dans leurs rentes, paresseux et corporatistes, ils ne comprennent plus rien aux défis du nouveau siècle, sociaux, économiques, écologiques et énergétiques. Démocrates, Républicains, Sociaux-Démocrates, Socialistes, Radicaux et j’en passe, ils sont, dans les démocraties, tous déconsidérés et incapables de gérer autre chose que l’urgence. Par leur incapacité, ils se font dépasser à leur droite et à leur gauche par des partis extrêmes aux relents des heures les plus sombres de l’Histoire. « Beyrouth Madinati » n’est pas un parti politique traditionnel, mais c’est un collectif qui seul, lui, fait de la politique. Jamais, depuis la fin de la guerre civile, un groupement n’aura autant été politique. Et si nous voulons en faire, votons pour lui.
Elie Fayad a raison de dénoncer « l’apolitique Mouvement 5 étoiles » du comique italien Beppe Grillo qui, dit-il, a été incapable « d’apporter une vraie alternative », comme il a raison de dénoncer les « sauces Tsipras-Podemos » réchauffées, aigres et aigries. « Beyrouth Madinati » sera peut-être un modèle de faire de la politique autrement que nous exporterons.
Amine Issa
Citoyenlibanais.com
1/5/2016
Voici la réponse de monsieur Fayad
Je remercie beaucoup M.Issa pour son commentaire de grande valeur. Je suis heureux de voir que mon article a permis d’enclencher un débat d’un niveau assez élevé. Les opinions et les points de vue peuvent diverger, cela est nécessaire, surtout lorsque le sujet porte sur la vie de la cité. Cela étant dit, je suis d’accord avec l’essentiel de ce qu’il avance. Je m’explique : au sens théorique et masculin du terme (« le politique », à distinguer de la « politique »,) toute démarche publique et collective est par définition « politique ». Pris dans cette acceptation, Beyrouth Madinati est donc comme il le dit éminemment politique. Mais le propos de mon article porte sur la politique au féminin, c’est-à-dire concrètement sur les enjeux politiques réels qui se posent en 2016 au Liban. Par exemple : que doit-on faire pour que les sunnites du Liban restent imperméables au jihadisme ? Quel chemin prendre pour amener les chiites au bercail et « normaliser » leur représentation politique ? Quelle attitude adopter à l’égard du discours identitaire récurrent chez les chrétiens, etc. ? Ces interrogations vont bien sûr au-delà des enjeux des municipales, mais elles sont des passages obligés vers une régénération du discours politique et donc de la vie politique au Liban. Or Amine Issa écrit : « Il suffit de lire (le) programme de « Beyrouth Madinati) et de s’informe sur la personnalité de ses membres pour deviner leurs choix « politique ». En effet, on peut…Mais pourquoi faut-il deviner ? N’est-ce pas, l’un des aspects du problème ? M Issa a en outre raison de penser que les partis politiques ne sont pas tout. Mais la démocratie, y compris dans les pays les plus authentiquement démocratique, n’a pas encore, à ma connaissance ; trouvé des outils plus efficaces pour la servir. Force est de constater que toutes les tentatives de les court-circuiter ont échoué et versé dans le populisme.
Voici ma réaction à la réponse de monsieur Fayad.
Cher monsieur Fayad, je vous remercie d’ouvrir le débat, c’est la manière la plus efficace d’aboutir à des solutions raisonnables et effectives. Vous reprochez à Beyrouth Madinati de n’avoir pas abordé «les enjeux politiques réels » (au féminin comme vous le dites si bien) qui sont, les sirènes jihadistes pour les sunnites, la normalisation de la représentation politique chez les chiites et le repli identitaire chez les chrétiens. Vous avez raison, sur l’importance qu’il faut leur accorder, il en va de l’existence du Liban. Mais comment les résoudre ? Jusqu’à ce jour, toutes les réponses apportées par les différents partis politiques ont échoué. La palette est large. L’incitation ou même l’usage de la force, les discours enflammés et sectaires tout autant que les accolades et les déclarations sur le cœur de préserver la coexistence, comme la sempiternelle réaffirmation de l’État comme seul référant anonyme pour tous. Pour quel résultat ? Le Hezbollah est plus que jamais un électron libre au service de la prétendue survie de sa communauté, les jihadistes séduisent encore les esprits sunnites égarés par le manque de perspectives et les chrétiens effrayés cautionnent sans retenue les appels à recouvrer leurs « droits ». Tout cela alors que l’État se délite. Peut-être que la meilleure façon de dénoncer ces utopies et justement d’agir au lieu de discourir. Peut-être si Beyrouth, où vivent à peu près quarante pour cent de la population était géré avec sucés au service des citoyens, ces utopies seraient démasquées et les Libanais comme vous l’exprimée rentreraient au « bercail » ? N’est-ce pas la meilleure façon de rendre le paradis moins séduisant que de démontrer que la terre n’est pas si déplaisante à être habité ? Vous dites que les partis politiques sont à ce jour les « outils les plus efficaces » pour servir la démocratie. J’en conviens, sauf quand ils échouent. Rien n’empêche Beyrouth Madinati, une fois ses preuves faites, de se transformer en parti. Fort de ses résultats, il pourra à ce moment-là prétendre à être « un outil efficace ». Sans ceux-là, sans réalisations concrètes, il est inutile d’avoir encore une nouvelle structure partisane. Nous en avons suffisamment et même les mieux intentionnés d’entre-elles n’ont rien résolu de nos problèmes. Quant aux partis dans « les pays les plus authentiquement démocratiques » qui seraient un barrage au populisme, je me permets de ne pas être d’accord avec vous. Voyez les populistes les plus enragés sous la bannière de partis tels, le Front National en France, Aube Dorée en Grèce, le NPD en Allemagne, le PVV en Hollande, la Ligue du Nord en Italie, l’UDC en Suisse et bien d’autres…