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citoyen libanais
14 mai 2016

La face sombre et la face claire d’une élection.

Source: Flickr

Ulysse est revenu, plein d'espace et de temps. Ossip Mandelstam

Trois chiffres résument les élections municipales de Beyrouth : 80% d’abstention, 60% des voix pour la liste des partis traditionnels et 40% pour la liste de Beyrouth Madinati.

Le premier est une honte. Certes, jamais les élections municipales à Beyrouth n’ont mobilisé de foules, une consultation qui ne développe pas une rhétorique électorale démagogique, faisant appel aux identités confessionnelles. La démagogie n’est que lutte pour le pouvoir, pourtant nous persistons à lui donner la qualité de politique, ce qui est déjà un malheur. Inversement, un scrutin limité à la gestion de la Cité, n’est pas encore compris comme éminemment politique. Notre éducation reste à faire.

Sauf que le chiffre de 80% d’abstention ne signifie pas cette confusion des genres. Les partis politiques traditionnels ont formé une alliance inédite ou toutes les animosités ont disparu le temps d’un vote. Le ban et l’arrière-ban des formations politiques, des principales au plus exotiques (Makzoumis, Ahbaches, des évêques), ont battu le rappel pour faire barrage à la première alternative sérieuse et dangereuse, Beyrouth Madinati. Des formations et non des moindres ont accepté des strapontins, ont sonné la curé pour débusquer la moindre voix et la forcer dans une urne. Jamais autant d’appels désespérés n’ont été lancés ce dimanche matin, à partir des quartiers généraux d’Acharfieh, Meghrab, Rabieh et Beit El Wassat. Rien n’y fit, les Beyrouthin sont restés chez eux, les uns fidèles à leur désintérêt atavique pour ce scrutin, mais beaucoup d’autres, en s’abstenant cette fois, ont fait clairement savoir qu’ils ne se laisseraient pas tromper et qu’ils désavouaient désormais les grandes formations.

La fibre confessionnelle n’étant pas exploitable pour ce scrutin, et s’appuyer sur un bilan de gestion de la municipalité sortante n’étant pas possible vu les résultats déplorables des six années écoulées, l’appel au vote pour la liste des partis traditionnels n’a trouvé de slogan que celui d’assurer la parité entre chrétiens et musulmans. Or même cet argument s’est avéré fallacieux, puisqu’au résultat on constate que les écarts des voix entre les premiers et les derniers de la liste des partis traditionnels est le double que celui entre les premiers et les derniers de la liste Beyrouth Madinati. Celle-ci, a donc mieux respecté l’équilibre confessionnel. Certes Beyrouth Madinati n’a pas pu et su, elle aussi réussir le pari de la mobilisation. Par manque de temps, de moyens et d’expérience, à cause d’intimidations pour qu’elle renonce à des rencontres électorales dans des quartiers de la ville. Mais aussi sans doute pour son discours trop policé, politiquement correct. A trop vouloir éviter toute démagogie, ce qui est à leurs crédits, ses candidats ont manqué dans leurs discours de charisme, ce qui est une erreur, fussent-on dans la démocratie la plus avancée.

Ce qu’il faut également retenir est, que si les partis traditionnels ont gagné les élections, ils n’ont reçu le suffrage que de 60% du cinquième des beyrouthins qui ont voté, alors que précédemment ils obtenaient la quasi-totalité des voix. Beyrouth Madinati  n’a certes remporté que 40% des voix, mais cela reste remarquable dans un pays ou les mentalités progressent, au moment de voter, au pas de tortue, tant la pesanteur confessionnelle est paralysante. Peut-on supposer également que sans Beyrouth Madinati  ces 40%, c’est-à-dire 32000 personnes n’auraient pas voté ? Ce qui serait encore un autre désaveu des partis traditionnels. Tout compte fait,  ces partis, réunis, mobilisés, gouverneront la capitale, mandatés par seulement 12% de ses habitants ! On ne fait pas pire.

Une dernière conclusion. Au vu des résultats le Courant du Futur a accusé ses colistiers chrétiens de n’avoir pas été catégoriques dans leurs instructions adressées à leurs partisans pour voter pour la liste commune. Je pense que la réalité est ailleurs. Les directions des partis chrétiens ont consciencieusement rempli leurs devoirs. Ce sont leurs partisans qui parfois n’ont pas voté, ou, avec de précédents abstentionnistes qui se sont déplacés cette fois, ont voté en faveur de Beyrouth Madinati. La même explication s’applique à Tarik El Jédidé, où  Beyrouth Madinati a obtenu 30% des voix. Même certains partisans supposés moutonniers du Courant du Futur ont comme ceux des partis chrétiens, exprimés leurs désaveux pour leurs directions.

« Et maintenant ou va t’on » ? Le plus probable malheureusement est que les dissensions au sein de la nouvelle direction de l’hôtel de ville, éclatent très vite au grand jour et paralysent l’action de la municipalité, sauf quand il y’aura distribution de prébendes et de passe-droit. Ne parions pas la dessus, ce serait d’abord de mauvais aloi, ensuite on ne construit rien quand on se contente d’observer la décomposition d’une administration. Maintenant que l’échéance électorale est passée, il faut que le collectif de Beyrouth Madinati tire les conclusions de son échec tout autant que celle de sa victoire relative et ne déçoivent pas ses 32000 électeurs et les milliers d’autres potentiels. Que le collectif choisisse la voie qu’il veut, mais qu’il continue son combat. Qu’il rebondisse sur d’autres échéances, qu’il empêche de tourner en rond, mais qu’il trace également un chemin qu’on pourrait emprunter. Les Libanais en demandent, même si c’est à un rythme parfois décevant. Entrer en politique c’est naviguer sur une mer agitée, il faut garder le cap et arriver à bon port ; même Ulysse est revenu!

Amine Issa

12/05/2016

Commentaires
S
Merci pour cette très intéressante analyse du vote, en particulier de la note affective présumée l'accompagner.<br /> <br /> Dans notre vieille démocratie, elle doit exister aussi, mais elle est "tabou". Tout vote est présumé rationnel, ce qui en facilite l'analyse...partisane.
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