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citoyen libanais
1 juin 2016

Le legs de Barack Obama au Moyen-Orient.

Source: Flickr

Barack Obama a montré au début de son mandant un désintérêt pour le Moyen-Orient. On impute à sa politique du « vide » la chevauché des forces régionales et de la Russie, et le chaos qui s’ensuit. Mais depuis 2014, sans effets de manche, l’Amérique est de retour ; à son rythme mais résolument.

 

Marée Basse.

Fraichement élu, Barack Obama hérite de deux dossiers brûlants. Les guerres impériales des républicains et la crise économique. Il décide de désengager les États unis de guerres qu’il juge contre-productives politiquement et coûteuses financièrement. Il considère en même temps que l’axe de la politique extérieure doit se déplacer vers l’Asie, là où sont les intérêts futurs de son Pays. Chuck Hagel, un républicain opposé à l’invasion de l’Irak est nommé au poste de ministre de la Défense, avec pour mission de rapatrier les troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan, à moindre coût. En Afghanistan les talibans, quoique ragaillardis ne sont pas une sérieuse menace pour le pouvoir du président Hamid Karzai. En Irak, les Américains se retirent en livrant le pays, déjà plongé dans le chaos suite à l’invasion et à la maladresse de l’occupant, aux partis chiites soutenus par l’Iran, qui vont s’approprier les revenus du pays et ostraciser les sunnites.

Quand en 2011, les populations arabes veulent mettre fin à un demi siècle de dictature, de pauvreté et d’humiliation, l’Amérique observe. La Tunisie et l’Égypte s’en sortent sans dégâts pour l’ordre régional. C’est en Libye que les problèmes commencent. Mouammar El Kadhafi est un tyran fou qui est prêt à tuer tous les Libyens pour rester au pouvoir. L’Amérique doit réagir. Mais le président Obama ainsi que sa ministre des Affaires étrangères, Hillary Clinton, ne veulent pas d’intervention au sol. Ils demandent à la France et à la Grande-Bretagne de stopper le dictateur, mais uniquement par les airs. Celui-ci meurt et la Libye, totalement désinstutionalisée, les Libyens interdits d’organisation sous le règne de Kadhafi, sombrent dans le désordre et la guerre civile. L’Amérique s’en désintéresse. La guerre en Syrie est autrement perçue. La proximité d’Israël, l’alignement à l’Iran, le soutien au Hezbollah et le conflit larvé du régime de Bachar El Assad avec les régimes du Golf demandent plus d’attention. Mais encore une fois, l’Amérique n’intervient pas. Pourtant la Syrie, sans être la Tunisie, n’est pas la Libye. La révolte est d’abord civile, pacifiste et laïque. L’armée est une structure solide ; Des officiers sunnites certes minoritaires et le contingent lui, composé surtout de sunnites, ainsi que des politiciens et une société civile à minima, auraient pu jouer un rôle de transition. Malgré les prises de position occidentale, aucune véritable pression ou menace n’est prononcée à l’égard du président Assad. À l’inverse, l’Iran le soutient en argent, hommes et armes. Face à l’inaction de l’Amérique, les régimes du Golf et la Turquie ouvrent leurs frontières et leurs coffres aux islamistes, leurs séides naturels. Assad aura l’intelligence d’accompagner le mouvement en libérant des chefs et des cohortes d’islamistes qui croupissaient dans ces geôles. Ainsi il se pose comme le rempart et la victime de la barbarie des coupeurs de têtes pour faire oublier son massacre systématisé des Syriens. L’Amérique ne haussera le ton qu’une fois. Lorsque l’utilisation d’armes chimiques par le président Assad est avérée. Les États-Unis, n’ont alors qu’un seul souci, que ces armes ne s’égarent pas et soient dirigées contre Israël. Il somme Assad de les livrer, celui-ci obtempère aussitôt. La fameuse « ligne rouge » était la sécurité d’Israël, pas celle du peuple syrien. Egalement et probablement, les Etats-Unis connaissant la nature du conflit en cours et celle des protagonistes présents depuis le début et ceux qui aller suivre, souhaitaient les laisser s’épuisé, avant d’intervenir, s’il le fallait. Les motivations, irrationnelles, de tempérament ou idéologiques des décideurs syriens, du Golf, turcs, iraniens et russes, allaient les mener à s’enfoncer dans une bataille sur un mode où personne ne gagnerait et tout le monde se saignerait sur les ruines de la Syrie.

 

Mais le temps passe et les islamistes de plus en plus nombreux et aguerris, gagnent du terrain malgré l’intervention des combattants du Hezbollah libanais, des milices irakiennes. Un islamiste jihadiste, formé à l’école salafiste, sans perspectives ni horizons, pour qui la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, tue, meurt, mais ne capitule pas. C’est le moment où Vladimir Poutine, en mal de puissance et pour distraire les Russes de son autoritarisme et sa gestion économique lamentable, décide de rentrer dans le jeu. Ni la Syrie ni Assad ne l’intéressent vraiment. Avoir une base navale dans une mer chaude ne justifie pas un bourbier brûlant, une récidive de l’Afghanistan. Son avenir se joue ailleurs, en Europe où l’OTAN après la chute du mur de Berlin a eu la malencontreuse idée de s’étendre à ses frontières et d’humilier l’ancien empire. Si la Russie peut se désintéresser de l’Afrique ou du Moyen-Orient, ce n’est pas le cas pour ses frontières. Elle envoie ses blindés contre la Géorgie qui prétend récupérer l’Ossétie du Sud qui a fait cessésion. Elle récupère la Crimée et quand les Ukrainiens revoient le satrape de Moscou, le président Viktor Iyanoukovitch, elle fomente un mouvement séparatiste à l’Est du pays. Donc en Syrie, la Russie intervient à minima, peu de soldats, beaucoup d’avions. Elle bombarde à tout va, sauve Assad et ses alliés de la déroute, le défend envers le reste du monde et attend patiemment le prix pour le lâcher.

 

Marée Haute, l’Amérique de nouveau.

En 2012, Barack Obama est réélu. Hillary Clinton qui aspire à sa succession sait que le Moyen-Orient est difficilement saisissable, elle ne veut pas prendre d’initiatives sans succès assurés, elle ne veut mécontenter ni les monarchies du Golfe ni Israël, dont l’humeur peut influencer l’élection présidentielle. Elle renonce aux affaires étrangères, John Kerry qui lui succède n’a pas les mêmes ambitions. Lui et Barack Obama, vont revoir leurs attentismes.  L’État Islamique malgré les frappes Russes, n’est que contenu et exporte la déstabilisation vers le Golf, attaque l’Europe et fait des émules en Afrique, surtout en Libye. La situation humanitaire en Syrie devient insupportable (4 millions de morts et de blessés, 12 millions de déplacés, 593 000 personnes assiégées). L’Irak, malgré le renvoi de Nouri El Maliki, continue à sombrer et est de plus en plus aligné sur l’Iran. Frustré de ne pas avoir gagné la bataille en Syrie et dans sa fureur, le président Erdogan s’intronise Sultan de la Turquie et démonte graduellement les institutions démocratiques de la Turquie. Il islamise à tout cran, fait chanter l’Europe en y canalisant plus d’un million de réfugiés et rallume la guerre avec les Kurdes, une guerre atroce dont les médias ne rendent pas assez l’ampleur.

À tout cela, s’ajoute la chute du prix du pétrole, qui si elle gène la Russie, et l’Iran encore rebelle, risque également d’ébranler l’Arabie-Saoudite. Si l’État islamique n’est pas une menace directe pour les États-Unis et reste un danger contrôlable pour ses alliés, son instrumentalisation par les protagonistes régionaux, menace la stabilité de tout le Moyen-Orient, de son pétrole. Dans un monde connecté, cela ne peut à court terme, qu’avoir des répercussions sur l’ensemble du bassin méditerranéen. En 2014 l’Amérique forme une coalition pour combattre. Les contours de sa mission sont encore flous et plus encore ses interventions désordonnées au sol quand il s’agit d’armer les groupes qui s’opposent à l’Etat Islamique.

Mais à partir de 2015, une nouvelle stratégie se dessine. Barack Obama déclare en avril dernier que la plus grande erreur de son mandat a été de ne pas avoir prévu une stabilisation de la Lybie, suite à la chute de Mouammar Kadhafi. On peut croire que la même réflexion est valable pour tout le Moyen-Orient. L’Amérique reprend donc l’initiative, mais pas comme on l’attend, seulement comme elle l’entend, sans annonces tonitruantes. Militairement, son approche est rendue par Anne Murline dans le Christian Science Monitor du 13 mai. Le Pentagone se fixe des objectifs très précis et atteignables. Les drones et les bombardiers continueront leurs missions. Au sol, seules des troupes d’élite en petit nombre, vont entrainer et conduire les forces locales alliées qui seront  préalablement « sécurisées » pour éviter que les armes précédemment distribuées ne finissent pas aux mains des islamistes. Une fois un territoire libéré, ce sera aux forces locales de les sanctuariser. Son objectif pour toute la région ? Une stabilisation sur le long terme en réduisant les antagonismes ; En Syrie, battre l’Etat Islamique militairement, encourager l’émergence d’un pouvoir légitime et stable qui n’aurait besoin de recourir au terrorisme interne et externe pour se maintenir ; En Irak, même scénario militaire qu’en Syrie et faire pression, pour reconstruire l’armée, réduire le rôle des milices chiites et renforcer le premier ministre qui se bat contre tout le monde pour reconstruire les institutions ; Réduire la capacité de nuisance de l’Iran, pousser les monarchies du Golfe à revoir leurs copies d’un Islam conquérant et intolérant, rabattre le caquet à Israël et son premier ministre arrogant qui insulte le président américain jusqu’à devant son congrès, et rappeler à la Russie qu’elle n’est plus l’Union Soviétique. Egalement, l’entrée de la Russie dans le jeu commandait une intervention. Non pas que l’administration américaine eut douté un instant que la Russie elle-même buterait contre les limites de ses capacités en Syrie. Mais la taille de cet acteur, supposé « accompagner » de prés son enlisement et récupérer ses atouts en l’associant plus tard à la vision américaine.

 L’Amérique à renouer avec la croissance et à les moyens financiers de sa politique. Mais cette fois elle se donne du temps et va combiner, le jeu sur les contradictions des pays qu’elle veut contraindre avec l’octroie d’un rôle à ses alliés et à l’ONU. John Kelly se charge de la diplomatie. Ashton Carter remplace Chuck Hagel le timoré en 2015 et travaille main dans la main avec le chef d’état-major le général Joseph Dunford nommé lui aussi en 2015.

En moins de deux ans voilà ce qui s’est passé.

 

Iran, l’invasion silencieuse.

L’accord sur le nucléaire iranien est d’abord une victoire américaine. Les États-Unis n’ont jamais cru à la bombe iranienne et l’Iran lui-même n’en a jamais vraiment voulu. Mahmoud Ahmadinejad élu pour mettre fin à l’expérience des réformateurs, se sert des centrifugeuses pour exciter le nationalisme des Iraniens et faire passer le durcissement du régime. Mais le prix économique est très élevé. L’Iran cède sur tout et, malgré cela, il se trouvera des prophètes d’apocalypse qui hurlent à la réédition de l’Amérique. Étranglé, l’Iran cède donc et doit en plus admettre l’élection d’un modéré, Hasan Rouhani, tant l’effet de la bombe nucléaire s’est avéré inopérant pour brider les aspirations des Iraniens. L’Iran économiquement dépassé, livre des pans entiers de son redressement aux firmes occidentales. Le gouvernement va même jusqu’à autoriser la possession de 100% des actions d’entreprises d’État à des étrangers. L’Iran est donc aujourd’hui, par la volonté des réformateurs, la réouverture économique sur le monde, plus concentré à se retablir. En Mars, la Russie annonce la baisse de ses aides militaires à la Syrie au moment où un dollar s’échange contre 475 livres, en Mai il atteint 620 livres. Vraisemblablement, l’Iran ne renfloue  plus la banque centrale syrienne dont les coffres sont à sec. L’Amérique, si elle a réintroduit l’Iran dans le circuit économique mondial détient encore un levier redoutable, le dollar, qui reste la monnaie de référence des transactions et dont elle peut priver l’Iran par plus d’un moyen. Mais le principal pour le régime réside ailleurs et l’Imam Khamenei l’a parfaitement compris. L’ouverture économique sur le monde pour éviter la faillite, se traduit par une ouverture tout court que les Iraniennes appellent de leurs veux. L’Iran est une très vieille et très riche civilisation, dont la vitalité scientifique, culturelle et innovatrice, malgré la chape abêtissante d’un régime tourné vers le passé, est forte et résistante. Les Iraniens n’ont pas le complexe des nations arriérées sorties longtemps de l’histoire ou qui n’y sont jamais rentrées. Ils n’ont pas besoin de s’arcbouter à un passé mythique pour camoufler leur retard. Ils ne craignent pas d’affronter la modernité et de s’y adapter sans se renier. C’est le cauchemar du Guide. Depuis la signature de l’accord, il multiplie les mises en garde contre l’invasion culturelle de l’occident, d’un « islam américain » (sic) qui serait une dépravation du véritable Islam. Il sait que cette modernité que les iraniens veulent rejoindre est antinomique avec son régime. En réintroduisant l’Iran dans l’économie mondiale, l’Amérique y introduit un virus mortel pour le pouvoir archaïque des mollahs. Une arme plus redoutable qu’une volée de missiles balistiques.

 

Le Royaume Saoudien, la fin de l’indulgence.

Les relations entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite n’a, depuis leur établissement, connu qu’un hoquet passager, en 1973, lors de l’embargo sur le pétrole décrété par le roi Faycal. Après les attentats du 11 Septembre, une méfiance sourde s’installe. Elle est mise en veilleuse par les deux guerres du Golf et par la montée de la température entre l’Iran et l’Amérique. Depuis l’apparition de l’Etat Islamique et sa barbarie, l’Amérique prend conscience de l’ampleur de la prédication wahhabite qu’elle n’a jamais, ou jamais voulue, mesuré à sa juste dimension. Comment convaincre les Saoudiens à progressivement briser le lien organique, entre le pouvoir et l’école wahhabite qui se légitiment mutuellement ? Car cela ne peut se faire que sur la durée, si courte soit-elle souhaitée. Il ne peut s’agir de menace directe. Le royaume reste un pays stratégiquement précieux pour les États-Unis à plus d’un égard. Il n’est pas un géant militaire, mais il gêne l’Iran. Son pétrole n’est plus indispensable aux États-Unis, mais il compte encore pour dix pour cent du brut consommé dans le monde que l’Amérique souhaite protéger ou contrôler, c’est selon. Alors deux leviers vont être utilisés pour convaincre les Saoudiens à revoir leurs copies d’un Islam radical. D’abord l’Iran. En lui rouvrant la voie de la communauté internationale, l’Amérique signale aux Saoudiens quelle peut avoir des intérêts sur l’autre rive du golfe persique. Pour éviter un trop grand rééquilibrage, le royaume devra donner des gages de bonne volonté. Ensuite, la baisse du prix du pétrole. Celui-ci ne retrouvera jamais les sommets qui permettaient à l’Arabie Saoudite d’acheter de l’indulgence. Dès quarante dollars le gaz et le pétrole de schistes et les énergies renouvelables redeviennent concurrentiels et tireront de nouveau les prix vers le bas. Le prince héritier, deuxième dans l’ordre de succession, a annoncé un plan de restructuration  de l’économie saoudienne, qui la ferait passer d’une économie de rente, dépendante des hydrocarbures, à une économie diversifiée qui donnerait nécessairement une plus grande place aux entrepreneurs privés. Or pour réussir ce passage, c’est-à-dire plus d’innovations, d’implications des Saoudiens dans la production de richesses, il faut plus d’ouverture sur le monde, d’innovation et de liberté. Et la première est de penser par soi et de ne plus suivre aveuglément les enseignements rétrogrades et violents du wahhabisme pour qui le monde n’est peuplé que de mécréants. L’Arabie-Saoudite serait-elle tentée de trouver un autre protecteur ? La Chine ou la Russie ? À supposer même que ces deux pays soient tentés par l’opportunité, ils poseraient  les mêmes conditions que les États-Unis. Les sources divergent, mais l’on dégage une fourchette de 16 à 20 millions de musulmans en Russie, dont 2 à Moscou et 20 à 50 en Chine. S’ils restent des minorités, très petites pour la Chine, ils n’en sont pas moins extrêmement turbulents, travaillés au corps et à l’esprit par le Wahhabisme.

Turquie, le sultan privé d’empire.

On reproche à l’Amérique de laisser faire le président Erdogan dans sa guerre d’extermination contre toutes expressions politiques des Kurdes et sa guerre tout court contre leurs régions. On lui reproche son silence contre la dérive autoritaire et islamiste du président. On lui reproche sa complaisance à l’égard de l’appui d’Ankara aux insurgés islamistes en Syrie. Le président Erdogan menace également l’Europe avec l’arme des réfugiés et semblait gagner la partie de bras de fer. Mais la riposte se dessine graduellement. L’Amérique n’envoie pas d’armes au PKK, la milice Kurde turc, mais elle arme, finance et entraine les « forces de la Syrie démocratique » composées de trente mille hommes dont vingt-cinq milles Kurdes du PUD, le parti des Kurdes Syriens, idéologiquement très proche du PKK. Cette nouvelle milice occupe une bande de 400 kilomètres à  la frontière de la Turquie et coupe des routes de ravitaillements aux obligés islamistes d’Ankara. Quand L’Etat Islamique, il y’a six jours, s’empare de villes proches de la même frontière en chassant les islamistes alliés d’Ankara, les avions américains, pourtant basés en Turquie restent au sol. Ensuite, l’Europe refuse d’accorder aux ressortissants turcs l’accès à l’espace Schengen si Ankara ne revoit pas ses lois antiterroristes qui lui permettent de museler opposants et presse sous de fallacieux prétextes. Le président turc monte au créneau,  et menace de dénoncer l’accord sur les réfugiés. L’Europe condamne le chantage et ne recule pas. En même temps le PUD kurde inaugure des bureaux à Paris, Stockholm, Berlin et Prague. La Turquie proteste dans le désert. Plus encore, David Cameron, ne prévoit plus l’entrée de la Turquie en Europe qu’en l’an 3000 ! Ankara se rétracte et accepte de reprendre à « haut niveau » les discussions sur les lois antiterroristes. La Turquie est isolée régionalement. Ses relations avec l’Arabie Saoudite, depuis la fondation du Royaume, ont toujours été pour des raisons idéologiques et historiques, détestables. Avec l’Iran, depuis que celle-ci est devenue chiite au seizième siècle, l’antagonisme est permanent. Aujourd’hui, ils s’affrontent directement en Syrie sur fond de querelles confessionnelles entre sunnites et chiites. Avec la Russie le contentieux est également lourd, autour de la Syrie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (également pomme de discorde avec l’Iran). L’économie turque possède une industrie exportatrice solide et un important secteur touristique. Son avenir économique est en Europe et pas en Asie. Son ombrelle militaire en cas de conflit majeur est l’OTAN. Le président Erdogan finira par se plier aux conditions de ses véritables alliés, les laissera décider en Syrie.

 

Essuyer les plâtres en Irak.

En Irak, l’Amérique est plus prudente, le traumatisme est encore vif. Mais elle ne peut laisser d’un côté l’Etat Islamique prolonger son implantation et de l’autre laisser le pays imploser à cause de l’appétit féroce des partis politiques aux pouvoirs qui pillent le pays. Elle commence par imposer le départ de Nouri El Maliki, qu’elle avait précédemment laissé imposer par les iraniens. Voulant donc reprendre la main, elle facilite la voie à Haidar El Abdi. Celui-ci essaye de nettoyer les écuries d’Augias, donner des gages aux sunnites. Il est menacé de destitution par les autres formations qui ne veulent pas abandonner leurs prédations. À un moment critique, il reçoit la visite inopinée du vice-président américain, les ardeurs se calment. Sur le plan militaire, les Iraniens ont monté en Irak une armée parallèle, sur le modèle des Gardiens de la Révolution, une armée qui est supervisée par le Général Iranien Qasem Sleimani.  Celui-ci dirige en mars 2015 la reprise de Tikrit. Les milices chiites vont piller la ville. Fort de cette victoire, elles annoncent haut et fort que dorénavant elles s’opposeraient à toute intervention des avions américains pour libérer d’autres villes. Depuis, plus rien, ou plus tôt, les Irakiens reculent devant L’Etat Islamique à Ramadi et ne parviennent à la reprendre que grâce aux frappes américaines. Les Irakiens comprennent qu’ils ne pourront pas avancer sans cette aide. Les Américains déploient des forces spéciales et éliminent des chefs importants de L’Etat Islamique. En mai 2016, c’est eux qui annoncent que l’offensive contre Fallouja va commencer et lancent leurs bombardiers. Ils exigent que les milices chiites ne rentrent pas dans la ville, que seule l’armée irakienne et les tribus sunnites l’occupent. Personne ne trouve à redire. Surtout que le FMI et la Banque Mondiale, en mai également, accordent à l’Irak exsangue, un prêt de 15 milliards de dollars, l’Iran ayant désormais d’autres postes de dépenses,  une offre que ne peut refuser l’Irak et qui ramène dans les rangs les têtes les plus chaudes.

 

Syrie et Russie, la promenade est finie.

En Syrie, l’Amérique se contente avec la coalition d’empêcher une victoire des insurgés. Le président est en mauvaise posture, recule, mais ne s’effondre pas. Les milices irakiennes « Assaeb El Haq » et libanaises du Hezbollah, les armes et conseillers iraniens, y sont pour beaucoup. Mais la Turquie et les pays du Golf ne manquent pas eux aussi à l’appel. Certes, ils ne contrôlent pas l’Etat Islamique, mais alimentent les autres groupes islamiques. C’est une guerre à trois : Le régime et ses alliés d’une part, les insurgés islamiques et leurs partenaires turcs et du Golf d’autre part, et enfin l’Etat Islamique. Une guerre à trois, dont la frontière entre les protagonistes, particulièrement entre l’Etat Islamique et les financiers du Golf, ne sont pas totalement imperméables. Vladimir Poutine n’a que mépris pour tout ce beau monde, il aura raison, mais pour un temps. En septembre 2015, il investit le champ de bataille surtout pas les aires. Il frappe indistinctement tous les ennemis du régime. Il n’épargne pas ce qui reste de l’Armée Syrienne Libre et d’autres petits groupes non acquis aux islamistes. Malgré leurs poids relatifs, ils sont symboliquement la seule alternative au président Assad et ne sont pas prêts à échanger la dictature du Baath contre la tutelle des Russes. Ensuite il s’en prend à l’Etat Islamique dont il détruit les routes de ravitaillement et les installations de pétrole qu’il contrôle. L’Etat Islamique est affaibli militairement et économiquement, perd du terrain, mais lance encore des offensives meurtrières. L’aviation américaine n’intervient que sporadiquement, mais les forces spéciales s’activent ailleurs. Elles mettent sur pieds « les forces de la Syrie démocratique » qui progressivement étendent leur contrôle au nord de la Syrie aux dépens des autres insurgés et de l’armée syrienne. John Kerry rencontre à plus d’une reprise son homologue russe. Ils organisent avec l’ONU des pourparlers entre les belligérants, excepté les plus radicaux. Il s’en suit un cessez-le-feu bancal et une promesse d’un pourvoir intérimaire en Août. Quand John Kerry répète que le président Assad doit partir, que le mois d’aout comme date butoir de la période de transition est non négociable et qu’il possède un plan B, tout le monde sourit. Bachar El Assad continue d’annoncer que le combat ne cessera que lorsqu’il obtiendra une « victoire totale » et la Russie devant la reculade des occidentaux à ses frontières, comme soulignés plus haut, ne le lâchera que contre d’autres concessions ailleurs.

Entretemps les Occidentaux changent de politique et d’attitude. Au sommet de l’OTAN en 2014, ses membres décident de remonter leurs dépenses militaires jusqu’à un minimum de 2% du PIB, après la cure d’amaigrissement suite à la chute du mur de Berlin. En avril 2016, le parlement américain débloque une aide supplémentaire de 3.4 milliards au pays menacé par la Russie, quatre fois plus qu’en 2015. L’Ukraine reçoit elle seule 150 millions. En même temps, le parlement américain autorise l’utilisation de missile sol-sol de moyenne portée, au paravent interdit en accord avec la Russie. En mai, des manœuvres conjointes ont lieu en Géorgie entre l’armée de ce pays et celle des États-Unis. Les plus grandes à ce jour. À Bruxelles en mai également, l’OTAN annonce en préparation du sommet de Varsovie (le lieu n’est pas anodin)  en septembre, le déploiement de troupes supplémentaires sur le territoire de pays menacés par la Russie. Plus encore, après dix ans de retenue pour ménager la Russie, le bouclier antimissile destiné à intercepter ceux de l’Iran vers l’Europe, est activé. Vladimir Poutine réagit et déclare à partir de la Grèce que ce bouclier est dirigé contre la Russie, surtout après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran. Il a raison, mais seul.

Les premiers signaux d’impuissance et de composition apparaissent également en Mai. Le président Poutine reconnait, qu’il reste beaucoup à faire en Syrie, que son armée connaissait des difficultés et qu’il allait diligenter une enquête. En même temps, il annonce que son aviation avait attaqué, détruit 30 000 cibles en Syrie. 30 000 ! N’est-ce pas le nombre de combattants qu’on prête à L’Etat Islamique ? On apprend également, par la BBC, qu’une attaque, la plus importante à ce jour, a eu lieu sur une base russe en Syrie où 4 hélicoptères et vingt camions sont détruits par l’Etat Islamique. L’armée syrienne lance une vaste offensive sur Alep. En chasser L’Etat Islamique et les insurgés y serait une victoire décisive et surtout un moyen de contrôler la frontière turque à l’ouest de l’Euphrate par où passent combattants et armes. La « Victoire totale » n’est pas au rendez-vous. Le Hezbollah subit une hémorragie de ses chefs militaires les plus prestigieux. L’Iran ne peut plus financer sans compter la Syrie, dont le PIB est passé de 60 milliards de dollars en 2010 à 27 ou 23 milliards, selon les différentes sources.  Alors que l’offensive tant attendue sur Raqqa est enfin lancée, elle ne l’est pas par l’armée Syrienne et ses alliés, mais par « les forces de la Syrie démocratiques », encadrées par les forces spéciales américaines et d’autres membres de la coalition, sous le couvert de l’aviation du même pays. La veille du début de l’offensive, le général Jo Votel Chef du Commandement Central, rencontre les chefs des assaillants. Le lendemain il s’entretient avec ses homologues turques, le message sera vraisemblablement double, n’intervenez pas contre les kurdes et donne des assurances à Ankara que ceux-là ne sont pas autorisés à s’installer durablement à l’Ouest de l’Euphrate. La Turquie va protester officiellement pour la forme, elle se vexe que certains soldats américains soient habillés de l’uniforme du PUD. En même temps Vladimir Poutine déclare, toujours à partir de la Grèce, que l’Europe et les États-Unis ont fait pression sur la Bulgarie pour qu’elle se retire du projet de l’oléoduc South-Stream qui doit acheminer le Gaz russe en Europe. Il doit donc se rabattre sur l’oléoduc qui traverse l’Ukraine et la Turquie, avec qui les relations sont exécrables. Si la Russie en représailles peut couper le gaz à l’Europe, celle-ci connaitrait de grandes difficultés. La Russie, elle serait asphyxiée, tant son économie est dépendante du pétrole du gaz. Avant son arrivé en Grèce il déclare « nous n’avons aucun problème avec l’Europe qui ne peut être résolu » et souhaite la circulation de ses ressortissants en Europe sans visa. On apprend également que la Russie ne va pas procurer à l’Iran les équipements qui lui permettent de faire fonctionner la batterie de missile S-300 qu’elle a déjà livré, ni les deux autres batteries encore en attente, parce que l’Iran n’honore pas ses factures. On pensait que Téhéran n’avait plus de problème de trésorerie, surtout pour des armes destinées aux avions américains et israéliens.

Toujours en Mai, on découvre que l’armée russe entraine des divisions de l’armée syrienne. Contrairement à l’entrainement qu’elles recevaient de la part des conseillers iraniens qui tablaient sur les capacités d’attaque, les Russes insistent sur le rôle défensif. Autres différences notables, les officiers ne sont plus exclusivement alaouites et les soldats issus des minorités. Les sunnites sont désormais majoritaires. La quatrième division commandée par Maher El Assad est exclue de ce programme et les Russes ont effacé toute référence à la famille Assad (des slogans qu’apprennent les soldats et des manuels d’instructions). Enfin, alors que l’armée Russe précédemment « conseillait amicalement » le commandement américain de réduire ses vols pour ne pas gêner son aviation, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères de Vladimir Poutine, demandent à quelques jours d’intervalles une coopération avec l’armée américaine. Demande refusée à ce jour. Également celle de Serguei Lavrov de participer au soutien « Les forces de la Syrie démocratique ». Le président Assad aura certainement apprécié.

 

Lybie, Yémen, Moyen-Orient, la marche lente sur une terre ferme.

Au Yémen l’ONU a pris le relai des négociations après l’échec attendu de la tentative Saoudienne de parvenir à un accord. Les négociations durent depuis  six semaines et un cessez-le-feu, certes boiteux, a arête les bombardements aveugles. En Libye, un pas est fait avec le nouveau gouvernement parrainé par les Nations-Unis et auquel il est question, d’abord d’accorder la levée de l’embargo sur les armes, à condition d’être efficace et rassembleur. Ensuite des pays occidentaux réunis à Vienne proposent d’envoyer des troupes pour entrainer la nouvelle armée dont la constitution a été annoncée en avril et qui en mai annonce sa première offensive contre L’Etat Islamique à Syrte.

Cette disposition des Occidentaux conduite par les Américains, pour arrêter la décomposition des pays en guerre,  a été officialisée par les participants au sommet préparatoire de l’OTAN à Bruxelles, où le secrétaire général de l’organisation a clairement exprimé la volonté de déployer des troupes où cela était nécessaire pour permettre aux forces locales souveraines de mettre une fin au chaos.  Ces forces doivent être légitimes, probes, équitables et opérantes, redonnent de l’espoir, en fait pas en paroles, pour assécher le recrutement des damnés.

Israël, les colonnes du temple bougent toutes seules.

Je termine par Israël, premier bénéficiaire d’un monde arabe démembré, trop occupé à s’étriper, pour se souvenir encore de la « cause central », la Palestine. Mais l’Amérique sait que cette question va ressurgir tôt ou tard et que les palestiniens, mêmes seuls, eux n’oublient pas. L’actuel gouvernement israélien, n’en a cure. Jamais Israël n’aura connu une telle dérive droitière, nationale-religieuse. La décomposition du monde arabe et l’embourbement des plus radicaux, Islamistes sunnites et Hezbollah, dans les sables Irakiens et Syriens, auraient été une opportunité de négocier avec les palestiniens sans surenchères venues de l’extérieur. L’Amérique aurait souhaité un tel processus. Israël fait le contraire et ne se prive pas de défier les Etats-Unis, chaque fois que ceux-là protestent contre l’extension d’une colonie ou une énième vexation à l’encontre des palestiniens. Evidemment, l’alliance entre les deux pays n’est pas sujette à négociations et toutes représailles américaines a un cout dans les urnes. Mais justement parlons d’urnes. Le phénomène Bernie Sanders aurait été inimaginable il y’a dix ans. Un juif, candidat à la maison blanche, qui critique Israël, répond avec mépris à ceux qui veulent amalgamer ces critiques avec de l’antisionisme et fait le plein des voix chez les jeunes, c’est-à-dire les futurs dirigeants de l’Amérique. Barack Obama, lui, a décidé de ne rien faire et il a raison. Car le danger pour Israël dans son entêtement à renier les droits des palestiniens, cette fois ne viendra pas de l’extérieur. Israël est aujourd’hui une société dangereusement polarisée entre religieux et laïques, Séfarades, Ashkénazes et Mizrahis, Russes et autres émigrés de fraiche date, riches et pauvres. Les enfants des juifs Orthodoxes comptent pour 25 pour cent des enfants d’Israël. Même l’armée, la colonne vertébrale de la société israélienne, est dans la tourmente, quand des politiciens de droite justifient l’assassinat par un soldat, d’un assaillant palestinien désarmé et au sol et que le chef d’état-major et son adjoint réprouve l’acte. Quand le ministre de la défense s’aligne sur l’armée, le premier ministre le renvoie pour désigner  sa place un ancien videur, Avigdor Liberman, qui ne croit qu’en l’expulsion des palestiniens des terres de 1948 et l’extension des colonies. A-t-on besoin de faire quoi que ce soit pour accélérer la fin de l’arrogance d’Israël ?

 

Que faut-il croire ?

Ce scénario américain peut-il aboutir ? Ce qui joue contre lui est son écriture. C’est un mélange d’interventions certes décisives, mais mesurées. Jouer sur les contradictions, les intérêts tellement divergents d’un grand nombre d’acteurs est risqué. La nature même des régimes concernés par l’enjeu rend les prévisions aléatoires. On n’est pas dans la configuration de l’affrontement binaire de la guerre froide. Cette politique d’étapes se succédant, exige une reconfiguration permanente des plans d’action, selon les résultats. Ce qui est certain est le retour de l’Amérique sur un mode inédit et Barack Obama laisse à son successeur une stratégie en marche, ce que Georges W.Buch n‘avait pas eu l’élégance de faire.

 

Amine Issa

01/06/2016

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