France : Le chemin de l’intégration à l’intégrisme.
Il y a près de quarante ans, j’ai assisté à la disparition des magasins « Felix Potin » et « Goulet Turpin ». Malgré un nom qui fleurait le béret et la baguette sous le bras, ces deux enseignes, étaient trop aseptisées pour une France qui aimait autant le commerce que les liens humains. Cependant elle n’aimait plus « la peine » et au-delà de dix-huit heures, on baissait les rideaux. L’Arabe fit l’affaire, surtout la nuit. On allait chez l’Arabe acheter une boite de conserve, une salade, mais aussi pour bavarder un peu, parce que l’écran de télévision restait muet si on le sollicitait( ?). L’Arabe, dans son fouillis où l’on savait se retrouver comme dans nos placards, vendait de l’alcool et des oranges de Jaffa qui n’étaient pas hallal. Son cousin était un bras à l’ile Seguin, dans des usines au niveau de décibels inimaginables aujourd’hui. Pour que la France roule sur l’A6 en été, les Arabes servaient du matin au soir le même vis. Toutefois, il n’y avait plus de bidonville à Montreuil et des tours abritaient désormais les exilés économiques du Bled. Car dans le Bled, une fois qu’on avait mangé le pain blanc de l’indépendance, il ne restait plus grand-chose. En France, l’éboueur arabe était « monsieur » et sa fille se déhanchait dans les boites de nuit. Dans la Ceinture Rouge heureusement qu’il y avait « Momo » la débrouille, pour vous refiler, hilare, une « barrette ». Son petit frère, des bancs du lycée, rejoindrait les écoles techniques et pour certains de plus en plus nombreux l’université, sésame pour l’emploi stable et qualifié. Pour voir des « signes religieux » il fallait aller à la rue des Rosiers ou à la grande mosquée de Paris, où kipas et voiles rentraient dans la catégorie des curiosités d’une ville qui en était si riche.
Mais la générosité du cœur et du portefeuille a une limite, la paresse intellectuelle. Bien avant la crise de 2008, la France s’est installée dans une illusion ; les trente glorieuses dureraient trois cents ans. Les dérèglements économiques des années quatre-vingt, ont amené un lot de déstructuration qu’on croyait pouvoir amortir avec les recettes de la veille. En même temps on a voulu croire que « l’assimilation » était la seule identité de la France. Le regroupement familial n’allait emmener que de mignonnes « beurettes » et les frères sourcilleux allaient se détendre.
Quand les premiers radicaux se sont manifestés et que je m’étonnais de voir des djellabas arrêtées aux chevilles, on me rétorquait, « vous les Libanais vous aimez bien Le Pen ». Le Pen ? Je venais d’une région du monde où on n’avait pas connu autre chose et en France, je ne voulais retrouver ni des « Le Pen », ni des « barbus sans moustaches ». J’eus les deux, mais surtout beaucoup d’autruches ! On avait oublié que la démocratie est un combat permanent et la laïcité une lutte de tous les jours. On avait surtout cru que l’argent, les téléviseurs, les soins et l’école gratuite étaient curatifs immédiatement d’une plaie purulente. La plaie n’est pas uniquement celle que l’on croit, la mémoire coloniale. Et ce n’est même pas le souvenir de l’occupation qui est réellement en cause. Que de peuples ce sont réconciliés durablement après que l’un ait soumis l’autre. Pour citer l’Algérie, la Guerre de libération et le million de martyrs, la France humiliée en se retirant avec ses « pieds noirs », lui ont conféré une dignité, un récit fondateur, qui ont fait d’une province de l’Empire Ottoman, une nation et l’ont fait basculer dans la modernité. Par contre, ce que les ainées ont transmis à leurs enfants est que les colons issus d’une France humaniste, libéral, égalitaire et fraternel, étaient incapables d’appliquer ces propres principes sur les populations qu’elle avait soumises. C’est cet archétype qui ressurgissait de l’inconscient des émigrés chaque fois qu’une difficulté d’incorporation sociétale ou économique survenez. La proximité géographique, l’histoire entremêlée bien avant l’aire des colonies, une langue partagée, le cousinage monothéiste, ne pouvaient qu’exacerber ce droit à l’égalité immédiate au bénéfice de la république et au droit de la différence qui ne pouvait parfois que contredire l’essence même de la république. En outre, les émigrés arrivaient le corps et l’esprit meurtris par une histoire multiséculaire de tyrannie et un présent de dictature encore plus mutilant parce que succédant aux promesses révolutionnaires de démocratie, de libertés et de prospérité. Même si on était né en métropole, on était encore irrigué par une racine enfoncée dans la terre d’origine et ses traditions patriarcales et machistes. Alors, ne pouvant se révolter contre le père ou le dictateur là-bas, on le fera contre la République quand celle-ci ne tiendra plus ses promesses.
Pour réussir l’assimilation, il fallait s’en donner les moyens et le temps. L’accueil dans les écoles de la République et sur le marché de travail fonctionnait de concert. Ils permettaient de désamorcer le choc des traditions, le passage de la victime révoltée au sujet engagé et dignifié. La première erreur fut la surestimation des ressources face à l’afflux permanent d’émigrés et à leur augmentation démographique naturelle. Personne n’eut le courage de la dénoncer sauf l’extrême droite, ce qui conforta la poltronnerie. Ensuite il y eut l’attaque sans précédent que subirent les principes de la République par ses propres enfants. L’école et l’espace publique, graduellement ne portaient plus les valeurs de solidarité, du respect d’autrui et du bien publique. Mai 68 a fait des dégâts considérables. Ceux qui sonnaient l’alarme d’une liberté qu’on ébranlait dans ses fondements au nom d’une pseudo liberté qui n’était qu’égoïsme, individualisme et irresponsabilité, étaient traités de réactionnaires. Une société qui abandonne ses principes un à un, ouvre une voie royale au marchand d’utopie d’extrême droite et de gauche. Cette démission, si elle fut acceptée par les Français d’un haussement d’épaules désabusé et cynique, déstabilisa les immigrés. Les principes de la République tant idéalisés se résumaient dorénavant à l’assistanat ; des prestations sociales que des fonctionnaires désabusés délivraient malgré les cumuls illégaux, terrorisés à l’idée d’être montrés du doigt pour avoir « toucher à mon pote ». Troisièmement, quand les moyens vinrent vraiment à manquer et que l’intégration commençait à bégayer sérieusement, la France adopta la pire des solutions. Elle permit au communautarisme social de prendre le relais dans de larges territoires ou même le premier privilège d’un Etat souverain, l’utilisation de la force létale, n’était plus autorisée. On utilisa le Karcher pour la parade, mais l’eau sécha très vite. La France autorisa le Qatar à financer des projets sociaux dans les banlieues et lui vendit l’hôtel Lambert. Plus que des pierres, un symbole ! Sur l’ile de Saint Louis le croisé, dans une maison que fréquenta Voltaire, le prince musulman emmena dans ses valises des imams salafistes haineux qui allaient gangréner les mosquées de France de leur prêche violente.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, la violence des immigrés musulmans. Celle-ci est un mode d’expression, quand toutes les autres voies de s’affirmer sont barrées. Il faut la conjonction de deux phénomènes pour qu’elle surgisse ; une société inquiète et une culture mortifère. La peur est généralisée. L’islam médiatisé ne véhicule depuis plusieurs décennies que la violence, financé au grand jour par les états du Golf, l’Iran et des dictatures pseudo-laïque qui ont laissé se développer la gangrène islamique pour empoisonner toute opposition démocratique, tel la Syrie, l’Irak, la Tunisie, l’Egypte et le Pakistan. Personne, ni en France ni au Moyen-Orient ne fait suffisamment de place à ceux qui prêchent la paix et la tolérance. L’Europe et la France, depuis la Seconde Guerre mondiale et les fascismes de toutes teintes, se sont inoculés le vaccin de la conciliation. Mais on ne fait plus de rappel. Les chemises sombres refont surface. Un point de croissance en plus n’est même pas une hirondelle. Au Moyen-Orient où l’hiver est à demeure nous ne comprenons pas que le pays de Pascal croit au mirage.
Qu’on se le dise ; la France est le pays des églises mêmes vides. Ceux qui y vont encore n’imposent plus la rouelle à personne. Ceux qui n’y vont pas ont laïcisé « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Vaste programme, pourtant celui de la France, décliné en cinq républiques. Il faut maintenant inventer la sixième, pour que je puisse écrire encore en Français.
Amine Issa
29/07/2016