Tom Wolfe, le péché de vanité
« Le bucher des vanités » (1987), est un roman culte qui décrit une société New-yorkaise dans tous ses travers.
Ce livre se lie à deux niveaux. Le premier est un plaisir des papilles émotionnelles fouettées par l’art de Tom Wolfe. Sa capacité de réunir dans juste un regard, un clin d’œil, la position d’un menton, tous les sentiments identitaires, anxiolytiques ou de contentements d’un personnage, est non seulement une performance, mais une coulée de sain plaisir quand on la lit. La coulée devient torrent quand dans une suite de pages il pratique le même exercice pour plusieurs personnages dans un même lieu et que les sentiments précités de chacun se télescopent avec ceux des autres.
La seconde lecture est celle de l’impression finale que l’on tire de la société New-yorkaise. On dira que c’est une fiction, qu’il grossit le trait, qu’il est romancier et pas sociologue. Cet argument n’est pas toujours recevable. Un romancier doté, possède une intuition de la réalité qui n’a pas besoin d’être corroboré par le raisonnement des sciences humaines. Deuxièmement la pratique de l’écriture à son sommet, en l’occurrence celle de Tom Wolfe, est un marqueur sur notre perception du monde, par l’émotion qu’il charrie dans nos conscient et inconscient et par sa diffusion, bien plus large qu’un travail académique.
Or que suggère « Le bucher des vanités » ? Pour ceux qui ont déjà des positions arrêtées sur la nature humaine du groupe social auquel ils n’appartiennent pas, leurs aprioris sont confirmés. Globalement, les riches, blancs, juifs ou protestants sont des salauds pour la classe moyenne, blanche, irlandaise également juive et protestante et pour les pauvres, noirs Portoricains et autres immigrés des déchèteries du monde. Cette dernière catégorie est coiffée par des évêques à la couleur et au cœur encore plus noir. Cela donc, et inversement.
Dans ce tableau, le bien n’existe pas en opposition au mal, seul subsiste une race humaine mauvaise. Le bien et le mal sont certes antinomiques mais leur existence admet la possibilité d’une passerelle de l’un à l’autre. Dans la vision unilatérale de Tom Wolfe, ce n’est pas envisageable. Le roman ne se termine pas par une scène d’apocalypse où New-York disparait dans un déluge de haine. Et pour cause, l’apocalypse est une promesse, celle d’une résurrection. Tom Wolfe la croit impossible, il nous condamne à l’enfer présent et perpétuel. Certains diront que le livre ne dépeint la société que d’une ville. C’est faux. Les personnages de Tom Wolfe sont certes New-yorkais, mais ils sont tellement banals, que leur mal l’en devient et est universel. Ce sont les mêmes travers que l’on peut retrouver ailleurs ; la jalousie, l’inculture, la cupidité, l’érotisme animal, la peur de la mort etc.
Certes, il ne décrit pas quelque chose qui n’existe pas, mais il se tient bien de dire qu’il existe autre chose. C’est là ou son livre, qui par son talent, esthétise une situation incivile sinon barbare et sans alternative, est subversif et dangereux.
Amine Issa
14/08/2016