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citoyen libanais
11 décembre 2016

Résistance

Source: Flickr

Le hasard a voulu qu’au moment de l’élection de Donald Trump, j’étais en train de lire « la métaphysique des mœurs » d’Emmanuel Kant et le roman de Pierre Assouline « Lutetia ». Kant est un philosophe pessimiste. Il explique que toute loi qui prétend à l’universalité doit être le produit de la raison d’un homme libre et donc indépendante de notre sensibilité, notre « tempérament ». Cette loi peut être un « impératif catégorique », une morale qui stipulerait que toute personne « existe comme fin en soi » et « non pas simplement comme un moyen ». Cet impératif catégorique se décline en un devoir. Or cette obéissance volontaire au devoir, s’est transformé chez certains à la recherche de justification, par l’obéissance par devoir. Edouard Kiefer, le héros de « luttetia », du nom du célèbre hôtel, est un ancien policier reconvertit en responsable de la sécurité du dit établissement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel est réquisitionné par l’Abwehr le service d’espionnage et de contre-espionnage de l’armée allemande, qui participa à la traque des juifs. La loi du gouvernement du maréchal Pétain stipulait la collaboration avec les nazis. Edouard Kiefer est en contact avec des juifs rentrés en clandestinités. Doit-il les dénoncer ? Il ne le fera pas et aura cette phrase « À force de se fixer l’obéissance comme horizon moral, on en vient à abdiquer toute responsabilité ». Il y dénonce le renversement de la philosophie de Kant. L’obéissance à une loi morale juste issue de la raison s’est transformée en une moral de l’obéissance à n’importe quelle loi, du moment qu’elle est la loi aussi immorale et oublieuse du droit, soit-elle. Il met en évidence aussi le détournement de la même philosophie par notre égoïsme, notre passivité et notre manque de courage. Il le fait en adressant cette réflexion autant aux dignitaires nazis et gouvernants collaborateurs, qui se sont retranchés derrière l’obéissance aux lois du troisième Reich par devoir pour justifier leurs crimes, qu’à la population allemande ainsi qu’à l’ensemble des peuples soumis à l’invasion nazis et dont seule une minorité rentrera en résistance. Certes la brutalité du régime nazi et d’autres raisons dont les conséquences de la Première Guerre, l’humiliation du peuple allemand, la loi des vainqueurs, la disparition et la naissance de nouveaux états, la crise financière de 1929, la démocratie encore balbutiante, ont contribué à cette abdication face à la démagogie et la brutalité. Mais cette minorité de résistants reste la preuve qu’il y’ a une responsabilité à refuser toute fatalité, que l’égoïsme, le petit confort et la crédulité ne sont pas irréversibles. L’histoire leur a donné raison, comme elle a donné raison à ceux qui pendant soixante-dix ans se sont battus derrière le rideau de fer contre le totalitarisme communiste. Ce qui différencie ceux-là des résistants au totalitarisme nazis et la transmission du combat et de l’espoir d’une génération à une autre.

La vague de dirigeants populistes et autoritaires qui bouscule les vieilles démocraties et plombe celles naissantes n’est pas comparable à celles des régimes fascistes et totalitaires. Un article de Sheri Berman dans « Foreign Affair » rappelle à juste titre que les populistes d’aujourd’hui ne prétendent pas annuler le système démocratique, mais l’améliorer, la crise économique de 2008 n’est pas comparable à celles de 1929, les canaux d’expressions et la capacité de rebondir sont de loin supérieurs sur celles qui prévalaient au moment de la déferlante fasciste des années vingt et trente du siècle passé. Ceci étant dit, des indicateurs qui permettent de juger ce que les politologues appellent « consolidation démocratique », virent tous au rouge. Notamment la conviction que la démocratie est le meilleur système politique, que les militaires ne sont pas qualifiés pour gouverner, le rejet des résultats d’une élection, l’intimidation, et la confiance dans les institutions. Les quatre premiers sont à la baisse et le cinquième à la hausse, ce qui n’est pas étonnant pour cette dernière tant la classe politique a démontré les limites de ses capacités, ancrées dans des schémas de gestion dépassés, paresseuse intellectuellement et avide de rétribution, si ce n’est matériel du moins statuaire. C’est le cas dans les jeunes démocraties comme la Grèce, la Pologne et le Venezuela, mais aussi dans des pays ou la tradition démocratique est plus ancienne et mieux ancrée dans les esprits. Dans les années trente, la démocratie américaine, plus ancienne que l’Allemande, à mieux résisté à la dérive antidémocratique. Aujourd’hui c’est l’inverse. Ce qui veut dire, qu’il n’y a pas de fatalité et que l’histoire ne se répète pas systématiquement. Son mouvement, même s’il peut déboucher sur une régression, peut également aboutir à l’inverse. Faut-il donc par devoir obéir à la seule loi des urnes, ou au devoir de faire triompher l’éthique démocratique qui ne peut se résoudre au seul respect des élections quand le vainqueur piétine cette éthique ?

Des caractéristiques des démocraties consolidées sont l’existence d’une société civile, bien assise, tenace et active, ainsi que prospère. Ce qui est le cas des sociétés occidentales. La première à avoir élu un populiste avec de grands pouvoirs et la société américaine et elle est la première à organiser la résistance à sa politique outrancière, dès le lendemain de son élection. Celle-ci prend plusieurs formes. Les médias américains s’en font tous les jours l’écho. Des élus démocrates, promettent une surveillance tatillonne de toutes les lois proposées par le président, des gouverneurs d’états annoncent qu’ils ne coopéreront pas avec les autorités fédérales à l’expulsion des immigrés clandestins non impliqués dans des délits, des artistes, les ligues des droits des citoyens en matière d’avortements, contre la ségrégation raciale et sexuelle se mobilisent. La presse guète et dénonce tous les manquements du président, de sa famille et de ses collaborateurs, au respect de la constitution. Juifs et musulmans s’organisent ensemble pour dénoncer la stigmatisation religieuse. Un activiste résume l’état d’esprit qui prévaut parmi tous ces individus et groupes hétérogènes « Ce qui nous renforce est de faire partie de quelque chose de plus grand que chacun d’entre nous », une autre activiste d’ajouter « ce qui importe est de retrouver le sens de l’espoir, le sens de l’efficacité ».

Avis aux défaitistes et ceux réfugiés dans une bulle de savon.

Amine Issa

11/12/2016

 

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Commentaires
S
Merci pour ces intéressantes réflexions sur les faiblesses de l'être humain. Mais peut-il en être autrement, d'une manière générale? Nous apprenons à nos enfants à dire oui au lieu de non, ce qu'ils pratiquent très tôt. Nous leur apprenions, il n'y a pas encore si longtemps, à respecter les "délégués" auxquelles nous les confiions (instituteurs, professeurs).Cette attitude semble largement révolue.<br /> <br /> Le mal fait par excès d'obéissance (pas toujours), peut maintenant être facilité par l'indifférence. Et la non-indifférence n'est pas forcément positive. Finalement il faudrait revenir à l'éducation du jugement, du bien, et du mal, la morale, la naturelle, matrice de toutes les autres.
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citoyen libanais
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