Devant les salaires et les impôts, il y’a une grille à abattre.
La raison principale pour laquelle le général Michel Aoun fût finalement élu, était la constatation de l’ensemble des partis, que la situation socio-économique du Liban avait atteint le point de rupture. Un président par défaut pour éviter un défaut de payement fatal.
Dans la même logique, l’augmentation des salaires des 200,000 fonctionnaires de l’État est devenue une nécessité, une tentative de relance par la demande, la consommation. L’arrêt des investissements, le creusement du déficit de la balance commerciale, la baisse de la production industrielle et agricole, l’état lamentable des infrastructures et des communications, pour les sociétés de services notament, paralysent notre économie et laminent le pouvoir d’achat des Libanais.
Au-delà de la justesse de la correction des salaires, se pose celle de son financement et de son efficience économique. Pour distribuer de la richesse, il faut d’abord la créer. L’État ne l’a pas fait. Les revenus de l’État, à travers la fiscalité et les taxes, n’ont pas augmenté. Corriger les inégalités par une augmentation des taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés et des hauts revenus, serait une voie. Mais elle ne sera pas empruntée. Pour deux raisons. La première est que, ceux qui seraient visés sont les mêmes, ou sont associés à ceux qui en voteraient l’augmentation. Une autre raison, technique elle, est que les secteurs qui produisent encore des marges ce sont réduits comme peau de chagrin. Restent évidemment les banques dont les bénéfices continuent à caracoler. Mais l’état se gardera bien de pressuriser ceux qui financent son déficit et encore une fois à cause de la porosité entre les conseils d’administration et le conseil des ministres.
Tout cela veut dire que ce que l’on donnera d’une main on le reprendra de l'autre, les nouvelles taxes et impôts vont être payés principalement par les Libanais des classes moyennes et pauvres.
Les Libanais ne sont pas dupes. Ils l’ont exprimé dans la rue.
Créer de la richesse est d’abord, une partie qui se joue à deux. Le secteur privé paye des impôts à l’état, qui sont redistribué sous forme de salaires, d’allocations, dans l’enseignement et la santé et investit dans les infrastructures, qui à leur tour permettent le développement du secteur privé. C’est un cercle vertueux, à condition d’avoir de la vertu ! Ensuite, un pays qui veut créer de la richesse doit exploiter ses capacités. Pour le faire, il a besoin de liberté, de droit et de stabilité. La liberté n’est pas seulement celle de la parole et de la circulation, mais aussi celle de choisir ses dirigeants et de les sanctionner. Le droit que la justice applique, devrait assuré l’égalité dans le traitement par une administration qui n’est pas corrompue et un système judiciaire aveugle. La stabilité se traduit par un fonctionnement régulier des institutions, qui comprend entre-autre l’alternance au gouvernement du pays, dans le respect des règles constitutionnelles. Nous n’avons ni cette liberté, ni ce droit, ni cette stabilité.
Au résultat, depuis la fin de la guerre en 1990, l’économie libanaise a connu une croissance sur des bases fragiles. L’investissement privé s’est surtout engagé, dans des projets à court terme qui ne crée pas suffisamment d’emplois stables et dans une économie de rentes et peu productrice. A savoir l’immobilier, le commerce et la consommation de biens importés et la souscription aux bons du trésor à des taux usuriers, qui permet de financer généreusement les capitaux entrants. Grâce à ceux-là, la balance des payements est positive. Mais ce n’est pas un signe de vitalité, car ses capitaux ne s’investissent que très peu dans l’économie réelle à long terme. La dépense publique a suivi la même direction. Les infrastructures sont défaillantes et l’administration composée de clients est hypertrophiée et inefficace.
Ceux qui pensent que nous sommes condamnés se trompent. Une classe d’investisseurs et d’entrepreneurs en apporte la preuve empirique. Dans l’industrie et l’agriculture et surtout les services, celle notamment des nouvelles technologies, des produits à hautes valeurs ajoutés sont proposés sur le marché libanais et surtout sont exportés, sans difficulté à leurs entrées sur les marchés extérieurs. Les émigrés libanais moyennement et hautement qualifiés sont également « exportés ». Leur contribution au PIB est de l’ordre de 25%.
Peut-on renverser le courant ? Oui à condition de retrouver notre liberté de choisir et sanctionner nos gouvernants. Est-ce possible ? Suite à la manifestation de dimanche le spectacle des ministres et députés se renvoyant la patate chaude, était édifiant. Chaque parti clamant son innocence et accusant l’autre d’être à l’origine de telle ou telle taxe. D’autres se sont carrément opposés à tout impôts ou ont suspendu leurs participations aux séances parlementaires. A les croire, ces impôts ont été discutés et proposés par des martiens. Au résultat, Le projet est aujourd’hui suspendu
Comme pour le scandale des déchets, celui de l’Eden Rock et maintenant les impôts, la pression d’une rue indifférenciée, inclassable politiquement et communautairement, aussi insuffisants que soit ses accomplissements, suggère deux constatations. La première est que cette pression peut ébranler l’édifice. La deuxième est que les Libanais ne sont pas résignés. Ce qu’il faut c’est un suivi modulé de la protestation. Cela n’est pas impossible.
Amine Issa
26/03/2017