Pour tuer il faut être déjà mort.
L’assassinat, comme acte banal, s’installe dans une presque-indifférence. Les pleurs d’une mère alimentent les réseaux sociaux et les courbes de l’audimat. Mais ils ne provoquent pas une réaction en chaîne.
Nous sommes dégoutés, mais, frileux, repliés dans de l’ouate synthétique ! Nous faisons l’autruche, sauf que nous n’en sommes pas et que nous étoufferions dans le sable. Entre-temps, les tueurs ambulants poursuivront leur « road trip » vermeil.
Appliquer la peine de mort sans délai pour les meurtriers. Est-ce vraiment dissuasif ? Ceux qui tuent aujourd’hui, sont déjà morts d’une certaine façon dans leur humanité.
Traçons-en un peu le portrait.
Les meurtres, suite à un vol qui tourne mal, ou pour accélérer un héritage, ou éliminer un témoin, sont rares. Ceux qui commettent cette catégorie de forfaits n’imaginent pas vivre en marge de la société.
Ceux qui tuent aujourd’hui avec une telle légèreté d’esprit, ne sont pas seulement ceux au-dessus des lois, parceque sous protection de qui a besoin d’exécutants de basses besognes. Quand on fait appel à un spadassin, la première qualité exigée est la discrétion. Il le sait et il s’y conforme.
Si la drogue et les excès de l’alcool étaient une explication, la population terrestre serait réduite de moitié.
Mêmes les barons de la drogue et de divers trafics, barricadés dans des repères inexpugnables se savent condamnés à tomber un jour. Peu nombreux sont leurs ainés, morts dans leurs lits d’une indigestion. Ceux qui les couvrent parce qu’ils partagent leurs bénéfices, les lâcheront nécessairement un jour pour faire bonne figure. Si ces rois de la cavale se pavanent sur les télévisions en cassant toutes les règles, c’est bien pour exorciser ce sentiment de vulnérabilité.
Ceux qui tuent aujourd’hui sont les premiers arrivés dans la course à la déshumanisation. Celle-ci a commencé quand nous avons renoncé à placer la vie, et celui qui la porte, comme première valeur. Pourtant, à ceux qui croient, leurs religions ne disent pas autre chose. Au Liban, les religions sont encore le premier liant de la société, qui est également le lieu de création de la richesse économique. Pour le musulman, Dieu dit « celui qui tue un homme tue toute l’humanité » (V-32). Pour les chrétiens, l’homme est à l’image de Dieu ; est-ce que l’on tue le Dieu auquel on croit ? Mais les croyants n’ont pas voulu retenir cela. Ils ont préféré des identités de substitution. La religion politique ou la confession communauté ; pour les laïques, la nation. Or celles-ci, sans le premier fondement de l’intangibilité de la vie, sont ouvertes à tous les excès. Dans les manuels d’histoire, on préfère citer les conquêtes de l’Islam par le sabre que le fait que celui-ci a sauvé l’héritage grec. Chez les chrétiens, l’on dresse plus de statues à Saint-Élie, l’épée prête à s’abattre, qu’à Saint François d’Assise. Certains se félicitent d’une apparentée avec les croisés, un ramassis de soudards. La nation, ce creuset de convivialité entre des hommes d’une même culture, que l’on doit certes défendre, est devenu ce moloch qui mange ses fils parce que la nation, qui est une idée, s’est incarnée dans un homme qui la résume. Chaque parti ou communauté a son homme, infaillible au point que Dieu en devient à son image.
Dans leurs comportements économiques, les Libanais qui adhérer à l’idéologie socialiste l’ont abandonnée suite à son échec d’assurer un développement qui faciliterait notre quotidien en rapport aux progrès techniques. Ils l’ont abandonné avec son idéal de justice et rejoignent le néo-libéralisme. Je dis néo, parce que le véritable libéralisme, celui d’Adam Smith, a pour objectif une meilleure répartition des richesses, « la main invisible du marché » n’étant qu’un moyen de la créer. Ayant pris le moyen pour la fin, tout devient marchandise, tout est quantifiable en monnaie et seulement en monnaie. On ne loue plus la force de travail, on loue le travailleur, il devient objet.
Alors, comment s’étonner que celui sans éducation ni formation, qui n’a que la force de ses bras, qui ne vaut plus rien puisque le réfugié syrien la vend moins cher, ne lui restant alors que la force brutale ; que celui qui vit dans l’ombre de l’homme-dieu et nous avons tellement ; que ceux qui croient en un Dieu, chef de guerre ; que ceux qui ne voient en l’autre qu’une matière négociable ; comment s’étonner que tous ceux-là n’en viennent pas à mépriser la vie au point de l’ôter aussi facilement ?
Même s’ils ont tenté de fuir, les deux meurtriers de Kab Elias et de la Quarantaine, n’ignoraient pas qu’ils seraient rapidement rattrapés par la justice. Et pourtant pour un café trop sucré et une égratignure de carrosserie, ils n’ont pas hésité à tuer.
Dans l’urgence, il faut impérativement sévir sans aucune clémence. Dénoncer sans détour les autorités qui couvrent ces crimes. Mais cela ne suffira pas à endiguer cette épidémie. Il faut rétablir la primauté de la vie, en alignant la dignité de chaque citoyen sur celles de tout autre, fut-il président, homme de religion, riche ou instruit. Il faut démystifier toute fonction ou statut social qui donnerait à son détenteur un privilège de nature différente que celle de n’importe quel citoyen. Il faut ramener les idées, les partis à leurs fonctions utilitaires et les mettre en dessous du seuil de la vie. C’est le seul combat politique qui vaille la peine et nous avons les ressorts.
Amine Issa
26/06/2017