Syrie inutile
Il y a aujourd’hui et pour les quelques mois à venir deux Syrie et les deux sont inutiles.
La première est celle des zones de « réduction de tensions » imposée par la Russie. Celles-ci recoupent les aires d’influence du régime et de l’international chiite, de la Turquie et ses islamistes au radicalisme gradué, des Kurdes et d’unités non kurdes protégés par les Américains. La Russie est la garante politique et effective de la trêve, par ses observateurs, sa police militaire et ses avions au besoin. Si la trêve permet au peuple syrien de ne plus mourir au quotidien par contingent entier, elle ne peut ni arrêter la violence ni permettre un début de reconstruction. Au sein de l’armée syrienne, des unités entières et des milices de défenses ont acquis une autonomie de décision financière et politique. D’autres sont passées sous commandement russe. Tel les gouverneurs de province sous les califats Abbaside et Ottoman, ces princes de guerre ne relèvent que nominalement du pouvoir central, qui est même parfois leur obligé. Certains occupent même des sièges au parlement et à la direction du parti Baath. Il ne passe pas un jour sans qu’on ne rapporte des combats entre ces bataillons et des exactions, qu’elles font subir à la population, à Damas, à Alep et dans d’autres villes ou régions. Même ses deux villes, réputées sécurisées, continuent à subir l’explosion de voitures piégées et attaques-surprises de rebelles encore tapies dans les faubourgs. Le président Assad a voulu, pour donner le change, organiser une foire internationale de l’industrie à Damas. Grand mal lui a pris, un obus tombé à l’entrée de la foire a fait cinq morts.
Les régions sous contrôle des rebelles ne sont ni plus sûres ni normalisées, malgré les efforts admirables de la société civile qui tente de réorganiser la vie au quotidien par des comités élus et ose encore manifester contre les abus. La décomposition et recomposition à très haute vitesse des milices, où l’allié de la veille devient l’adversaire du jour pour se remettre en ménage le lendemain, se fait au rythme de combats meurtriers. Les civiles sont tués et leurs biens élevés au statut de butin de droit divin.
Il faut pour reconstruire la Syrie entre 300 et 350 milliards de dollars. Le gouvernement n’en a pas le premier. Les pays du Golf, grands perdants à ce jour, ne voudront pas payer. Le ministre des Affaires étrangères des États-Unis a clairement déclaré que son pays ne participerait pas à la reconstruction. La Russie, la Turquie et l’Iran, auront des difficultés à dépenser des dizaines de milliards de dollars, alors que leurs citoyens leurs réclament ceux déjà dissipés en Syrie. La Russie a tapé à la porte de l’Union européenne pour financer ce que ses avions ont détruit. Il lui a été répondu sèchement d’aller taper une autre caisse. Déjà avant la guerre, la Syrie avait une économie de subsistance et pour cause : la politique de l’offre de produit d’importation était au seul profit de la clique au pouvoir, l’agriculture moyenâgeuse et le secteur secondaire artisanal. Le président syrien en visite à la foire de Damas s’extasiait devant la puissante production de son pays. Du savon, de la margarine et des douceurs ! Les seules usines qui exportaient ont été ou détruites ou pillées. Seuls des pays intéressés par des retours sur capitaux s’investiraient en Syrie. Or la Turquie le ferait-elle dans l’industrie syrienne qui au risque d’une concurrence sur les marchés Occidentaux et Asiatiques ? L’Iran, trop heureux depuis la fin de l’embargo, d’investir chez lui, ses propres capitaux et ceux étrangers qui affluent pour renforcer son économie, voudra-t-elle en détourner une partie en Syrie ? Ces deux pays ont déjà fait main basse sur l’exploitation des faibles ressources en hydrocarbures de la Syrie. Pour remettre en marche les installations d’extraction, il faudra beaucoup d’argent pour un marché du pétrole dépressif, alors qu’ils en regorgent eux-mêmes. Maigres perspectives.
Deux autres calamités vont rendre cette trêve cauchemardesque. D’abord, les dizaines de milliers de miséreux énergisés par la haine du salafisme jihadiste, venus du monde entier combattre le régime. Afghans, Pakistanais, Chinois, Libyens, Tunisien, Irakiens, etc. Que vont-ils devenir ? S’il existe, pour les anecdotiques djihadistes occidentaux, des structures juridiques et parfois de réintégrations, quel sort attend les autres s’ils prenaient le risque de rentrer chez eux ? Torture, disparition, morts et rien d’autre. Ils vont rester en Syrie, rejoindre les combattants démobilisés de Daech, exploser et faire le plus de morts possible pour échouer, stupéfaits, en enfer.
La seconde calamité est le sort des enfants, ceux de l’intérieur et de l’exil, beaucoup enrôlés de force par les islamistes. Rien que pour les réfugiés, le HCR décompte 3.5 millions d’enfants entre 5 et 17 ans non scolarisés. C’est-à-dire 3.5 millions de désespérés. Le profil idéal pour finir avec une bombe à la ceinture. L’Irak, qui commence à peine à évaluer ce danger, malgré l’aide de plusieurs pays et ONG, reconnait sa totale impuissance.
La seconde Syrie est celle du Sud Est qui correspond à la frontière avec l’Irak par les grands axes routiers et qui est proche de la frontière israélienne. Depuis que la bataille pour la reprise de Deir El Zor a commencé à l’ouest et l’est de l’Euphrate, Daech est le premier visé par les forces du régime et ses milices chiites alliées d’un côté et de l’autre par les « Forces de la Syrie Démocratique » composée principalement de la milice kurde. Ce sont ces hommes qui sont au sol. Dans les airs, la Russie et les États-Unis, chacun couvrant d’un tapis de bombes l’avancé de ses protégés et bombardent au besoin l’avancé de l’autre camp. Dans les états-majors politiques de ceux qui ne souffrent pas, il y a quatre décideurs. L’Iran, la Russie, les États-Unis et Israël. Le premier veut absolument continuer l’œuvre de Daech et abolir la frontière entre la Syrie et l’Irak pour convoyer par la route, avec l’accord officiel des deux gouvernements, combattants, armes, munitions et fabrique de missiles. La Russie, laisse faire. Benyamin Netanyahu en visite à Moscou n’a pas obtenu de Vladimir Poutine la sanctuarisation du Sud syrien de toute présence iranienne. Vladimir Poutine ne veut monnayer son veto qu’avec les Américains, contre une reconnaissance de sa seule maîtrise de la Syrie et de celle de son Blitzkrieg en Crimée. Il voudra obtenir également l’arrêt de l’expansion de l’OTAN vers l’est de l’Europe et la levée de l’embargo économique sur son pays. Les États unis eux, ne cessent de marteler qu’ils veulent mettre fin à la poussée déstabilatrice de Téhéran au Moyen-Orient et menacent de dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien. Enfin, Israël peut contenir le Hezbollah à sa frontière Nord avec le Liban, le Hamas à Gaza. Il ne s’est pas jusqu’à aujourd’hui retenu de bombarder les convois clandestins d’armes et de missiles iraniens vers le Golan Syrien. Mais il ne peut admettre une officialisation du corridor autoroutier de Téhéran au Sud syrien en passant par l’Irak.
Israël est le plus susceptible d’engager une action de grande envergure. D’autant plus que Benyamin Netanyahu est dans une mauvaise posture. Suites aux scandales à répétitions pour lesquels, ainsi que son épouse, il est interrogé par la justice, sa coalition gouvernementale se fissure. Les partis religieux, qu’il n’aime pas, le font chanter. Donald Trump est empêtré dans sa querelle avec une partie des Républicains, qui bloquent avec les démocrates tous ses projets législatifs. Il est menacé par la justice pour le support présumé des Russes pour sa campagne électorale. Il est également soupçonné de conflit d’intérêts. Est-ce le moment de détourner l’attention des opinions américaines et israéliennes par une confrontation ouverte avec le régime syrien et l’Iran ? Donald Trump ferait ainsi oublier son trafic électoral avec les Russes à peu de frais. La Russie, en ne répondant pas aux inquiétudes israéliennes, risquerait-elle de réintroduire les Américains, en force en Syrie et qui ne voudront donc plus rien lui concéder ailleurs ? L’Iran, qui a déjà divisé son taux d’inflation par quatre, mettrait-il en danger le redressement de son économie et sa réhabilitation internationale ?
Je n’ai pas de réponse, mais une certitude. Contrairement au triomphalisme ambiant la guerre en Syrie n’est pas terminée. Elle fait une pause et change de nature.
Amine Issa
01/10/2017