Cheikh Naim Kassem, les femmes, la science et le Coran.
Dans une intervention lors d’une des veillées de Achoura (1), Cheikh Naim Kassem s’est inquiété de l’irrespect des jeunes femmes pour la sharia, telle la séparation des sexes dans les lieux publics, leurs maquillages excessifs, l’utilisation effrénée des réseaux sociaux qui entraine une promiscuité, même virtuelle, avec des hommes. Son frère dévotieux Cheikh Sami Khadra, lui, demande aux femmes de ne pas sortir de leurs domiciles, et, si elles doivent se rendre au marché, de raser les murs et de ne jamais rire en public (2). L’image de la femme pour ces deux ulémas est fixée : Légère, aguicheuse, tentatrice, source de désordre. Cheikh Naim Kassem, ne s’arrête pas là. Les femmes divorcées sont troublées et sont un mauvais exemple. Elles ne devraient pas être éducatrices dans les écoles. Quand il s’inquiète sur le rôle de l’école, il ne se soucie pas de la qualité de l’enseignement « tout le monde enseigne » dit-il, mais de la transmission des codes de conduites religieux. Puis il annonce, très satisfait, que le nombre de femmes voilées est une des plus grandes réalisations des trente dernières années.
Cheikh Naim Kassem a raison de s’inquiéter de troubles sociaux provoqués par la consommation de drogues ou de déviances sexuelles humiliantes, pratiquées secrètement, dont on a vu exceptionnellement une manifestation, ce jeune homme drogué, enchainé comme un chien, lécher les pieds d’un travesti prostitué.
Mais qu’est-ce qui provoque ce relâchement des codes de conduites ? Est-ce le manque d’éducation, l’irrespect des valeurs. Est-ce l’influence des réseaux sociaux et de l’Occident honnis qui déchainent les instincts pervers tapis en chacun ? Ou est-ce cet excès de pudibonderie, la condamnation de tout contact entre les deux sexes fusse-t-il virtuel ? La misère affective qu’entraine la séparation des hommes et des femmes, et celle sexuelle, ne serait-ce que par pensées, ne sont-elles pas à l’origine des excès ? Le puritanisme en Amérique, n’est-il pas responsable de l’explosion de la pornographie et de l’alcoolisme, en comparaison avec l’Europe catholique plus permissive ? Mai 68 a débuté à Berkley en 1964. La prostitution est un péché en Islam, pourtant le pouvoir tunisien à la fin du 19e siècle, où les pouvoirs temporel et spirituel ne faisaient qu’un, non seulement tolérait les maisons closes, mais les organisait et leur prélevait une taxe par le « mezouar », un officier de police. Conscient de sa rigidité dans les rapports homme-femme et craignant des actes répréhensibles, pour maintenir la cohésion sociale, il s’y était résolu. Il admit la prostitution, car à Tunis, comme à Florence au même moment, on assistait à la prolifération d’hommes « efféminés », de pseudo-chanteurs qui se produisaient dans des lieux publics sordides. Ceux-là n’étaient pas pour la plupart des homosexuels qui vivaient leurs préférences sexuelles, mais servaient de substitut aux femmes (3).
Comment expliquer l’obnubilation de Cheikh Naim Kassem et ses homologues pour le voile ? Le Coran consacre deux versets à ce sujet où il s’agit de rabattre son voile sur la poitrine des femmes et non pas de le poser sur leurs têtes et pour les distinguer des femmes de mauvaise vie (4). L’Islam, une religion vieille de 1400 ans, comme d’ailleurs le Christianisme, conseille la retenue dans la relation entre les deux sexes. Mais pourquoi cette focalisation sur les femmes, que l’on vêtit tout de noir, de la tête aux pieds, dans des habits amples. Parce que la conviction répandue est que ce sont elles les tentatrices, qui provoquent les instincts les plus vils des hommes. Or cette conviction est en contradiction avec le Coran qui dit clairement « Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté…Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté » (5). Dans le Coran également qui conte l’épisode du renvoie d’Adam et d’Ève du paradis et contrairement à la Bible où c’est Ève qui a incité Adam à pécher, les deux commettent la faute en même temps. Ève ne précède pas Adam dans le péché (6).
Dieu ne dit-il pas « …Les femmes vertueuses sont pieuses: elles préservent dans le secret ce que Dieu préserve » (7) et nos deux Cheikhs veulent les renvoyer dans l’ombre !
Cette attitude dégradante à l’égard des femmes, machiste et patriarcale, va chercher des justifications partielles dans le Coran et ignore des versets comme celui que j’ai cité. Pour les juger incapables et les cantonner dans des rôles subalternes, les ulémas se basent sur les versets qui considèrent que le témoignage d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme, que les filles ne reçoivent que la moitié de la part d’un garçon en héritage ou que l’homme seul peut avoir quatre conjointes (8). Or, cette interprétation littérale du texte ne correspond pas à l’intention de celui-ci. Le Coran est avant tout une évolution radicale par rapport à ce qui le précède, particulièrement en ce qui concerne les femmes, qui n’avaient aucune existence juridique, aucun droit, sous la jahilya (l’aire préislamique). Le fait de pouvoir témoigner et d’hériter ainsi que le mariage qui est un contrat entre deux partis sont déjà une avancée significative. Et les versets qui les codifient portent en eux-mêmes leurs dépassements, quand cette première avancée aura été acceptée et mise en œuvre. Pour la question de l’héritage, le verset qui donne une demi-part aux femmes et suivit par un autre qui stipule que l’on peut établir un testament qui permet de transmettre son patrimoine à qui l’on veut et comme l’on veut. Pour ce qui est du témoignage de deux femmes égalant celui d’un homme, l’argument avancé est que la femme peut se tromper. Comme si l’homme ne le pouvait pas ! Enfin, pour les quatre épouses, alors que précédemment il n’y avait aucune limite et elles pouvaient être une dizaine voir plus, répudiées sans pension (introduite par le Coran), le texte exige de celui qui souhaite avoir plus d’une femme de les traiter toutes sur un pied d’égalité. Or un autre verset plus loin confirme qu’aucun homme ne pourra le faire (9).
Le Coran est certes un texte divin, mais adressé aux hommes. On ne peut ignorer sa dimension pédagogique et surtout suggestive, car il est bien dit qu’il n’y a pas de contrainte en religion (10). Mais ces trois règles et d’autres, sont tellement évoquées dans les discours des hommes de religion qu’on a l’impression que le Coran n’est qu’un recueil de lois et règlements. Ce qui est faux, puisque ceux-là ne comptent que 200 à 600 versets selon les lectures, sur un ensemble de six milles. La grande majorité des versets sont d’ordre spirituel, racontent l’histoire des prophètes et citent quelques grands principes, valables eux pour tous les temps. Pour ces principes je cite celui-ci «Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils commandent le convenable, interdisent le blâmable accomplissent la Salât, acquittent la Zakat et obéissent à Allah et à Son messager » (11). Il ne concerne ni le témoignage, ni l’héritage, ni le mariage qui sont des activités partielles de la vie en société, mais surplombe et instruit l’ensemble des relations entre les deux sexes. Cheikh Naim Kassem devrait s’en souvenir avant de condamner l’institutrice divorcée. Ce vesret devrait l’interpeller quant à l’absence de femmes aux postes de responsabilité au sein de son parti.
Venons-en maintenant à cette phrase prononcée par Cheikh Naim Kassem qui se soucie peu de l’instruction à l’avantage de l’éducation religieuse. De quel texte a-t-il déduit cette hiérarchie ? Certainement pas du Coran qui stipule «…Dieu placera sur des degrés élevés ceux d’entre vous qui croient et ceux qui auront reçu la science…» (12). la piété est mise au même niveau que la science à une époque et dans une région où il y’avait beaucoup de foi et peu de science. C’est peut-être pour cela, qu’Al Khawarizmi, qui était un musulman pieux, a voulu rétablir l’équilibre, en inventant les algorithmes. Est-il utile de rappeler l’importance de cette découverte, qui avec ses développements ultérieurs, est au service de toutes les sciences et particulièrement l’exploitation du Big Datta ?
Au 19e siècle, Hegel avait écrit que des peuples étaient sortis volontairement de l’histoire. Le ticket d’entrée, même vieux de plus de cent ans ne cesse d’augmenter de prix. Aujourd’hui, l’Intelligence artificielle, la connexion machine homme, la nanotechnologie qui découvre de nouvelles fonctions à la matière, les manipulations génétiques à effet thérapeutique, la neuroscience qui remet en question des certitudes sur les causes de comportements en société, la biochimie qui permet l’agriculture hors-sol intensive et en même temps raisonnée, reconfigurent la place de l’humain dans sa relation à la nature. Il ne suffit de le savoir et d’en faire usage. Cheikh Naim Kassem, dans les institutions éducatives et les hôpitaux qu’il dirige, est certainement soucieux d’en avoir l’usage. Mais consommer n’est pas créer. Dans des domaines aussi complexes, si l’on ne participe pas aux découvertes et à leurs mutations, on restera à la merci pour une parcelle de savoir, de qui voudra bien vous la livrer. Il sera toujours capable de vous la retirer ou d’en neutraliser l’usage, car il l’aura bien entendu prévu. Jusqu’au début du 20e siècle, dans les manuels de médecine en occident, on trouvait encore les découvertes d’Avicenne. Depuis, une très faible participation à la marche du monde, celles de quelques individus exceptionnels, dont des prix Nobels. Si aucun n’a renié sa religion, ils ont tous la particularité d’avoir échappé à l’emprise mentale des congénères de Cheikh Naim Kassem.
Amine Issa
15/10/2017
1- https://www.youtube.com/watch?v=mNFyT7H4fpU.
2- https://www.youtube.com/watch?v=WgHpkU-cM_s
3- Marginales en terre d’Islam, Dalenda & Abdelhamid Larguèche, Cérés.
4- Coran : XXIV-31 & XXXIII-59.
5- Coran : XXIV-30-31.
6- Coran : VII-19 à 22.
7- Coran : IV-34.
8- Coran: II-282 & IV-II & IV-III.
9- Coran: II-180 & IV-129.
10- Coran: II-256.
11- Coran: IX-71.
12- Coran : LVIII-11.