La distance entre Beyrouth et Téhéran.
La démission du Premier ministre Saad el Hariri est un épisode parmi tant d’autres dans la guerre des autres au Liban et notre guerre avec l’aide des autres. Ce dernier travers remonte au recours à l’OLP du sunnisme politique et du druzisme politique, lui, sous couvert de la lutte sociale, pour tordre le bras au maronitisme politique. Depuis, rien n’a vraiment changé. Les Libanais avaient-ils le choix ? Oui, et ils ont levé l’option, mais sans la classe politique. Ce sont ceux-là qui ont permis au Liban pendant les quinze années de guerre civile et pendant l’occupation syrienne de ne pas subir le sort de la Syrie, de l’Irak ou de la Libye d’aujourd’hui. Ce sont ces mêmes Libanais qui ont massivement manifesté le 14 mars 2005, au pied d’une tribune qu’occupait la pléthore de politiciens saoulés par la revanche prise sur Damas, mais incapables de se défairent de leurs égoïsmes, incapables de comprendre ce que voulaient les Libanais, pressés de se recomposer leurs allégeances extérieures dans leurs guerres intestines. Il est très facile de démonter ce raisonnement en avançant simplement que les Libanais plébiscitent leurs dirigeants et qu’ils ne valent pas mieux qu’eux, ce qui est partiellement vrai. Mais combien faut-il être aveugle ou paresseux pour refuser d’admettre que le Libanais, comme tant d’autres, n’est pas un atome, mais une molécule complexe, qu’on ne peut réduire au bulletin de vote. Si le système confessionnel, la peur de l’autre savamment entretenu et l’enclavement identitaire s’expriment dans les urnes, d’autres réactions actionnent le corps libanais, depuis que cette bande de terre est habitée. Ce sont ces réactions en chaine qu’aucun parti ne pourra jamais contrôler.
Certes le Hezbollah est aujourd’hui la force politique qui a livré les clefs de la ville à une autorité hors des frontières. A un degré en dessous, les autres, par affairisme, opportunisme et manquent d’imagination font allégeances ailleurs. Le Hezbollah sait qu’il ne peut à cause de la proximité d’Israël, de la composition fragmentée de la nation libanaise et de la tradition de résistance chez les chrétiens et les druzes, prendre le pouvoir par la force. Mais le Hezbollah à la ferme conviction et s’en donne les moyens, qu’il peut formater d’abord sa communauté et réduire l’espace politique des autres à la stricte représentation de façade, en leur laissant la petite monnaie de la fonction publique et à la grosse du partage des contrats de l’état. Les dernières nominations et le récent partage des marchés publics ne signifient pas autre chose.
Mais la distance entre Beyrouth et Téhéran est plus grande que ce qu’imagine le Hezbollah. Remplacer la répression du régime iranien, par une distribution généreuse des fonctions et prébendes pour circonscrire toute opposition, ne fonctionne qu’à la surface. La société elle, continue à résister par sa créativité et une mobilité d’esprit que le Hezbollah est incapable de comprendre, mentalement pris dans les limites d’une idéologie totalisante et convaincue que l’histoire s’est arrêté ou du moins ne peut avoir qu’une seule issue. C’est bien cela le principal message de Sayed Hasan Nassrallah le 8 mars 2005, quand il s’adresse au Libanais en leur rappelant que Liban n’est pas la Géorgie, faisant référence au renversement pacifique du régime du président Chevardnadze. Le Hezbollah préfère une résistance armée. Mais la société n’en veut pas. Il y eut bien la tentative par des têtes chaudes et imbéciles de le tester sur ce terrain. Il en résulta le 8 mai 2008. Mais même cette victoire ne porta pas les fruits souhaités. Le 14 mars se délita. Vicié depuis le début par le nombrilisme de ses dirigeants, il n’était pas fait pour durer. La société, elle, se recompose ailleurs et autrement dans un espace que le Hezbollah est incapable d’occuper.
Même au sein de sa communauté l’étau idéologique qu’il serre depuis la maternelle, montre des signes de faiblesses. Ce ne sont pas les quelques individus douteux qu’on a vu insulter le secrétaire général du Hezbollah qui sont la vague de fond tant attendu par ses adversaires. Ce n’en est pas une, pas encore. Mais le malaise est certain. En cause, le résultat négatif de l’aventure du parti en Syrie. Pour comprendre ce raisonnement il faut admettre, ce que peu feront, ce qui suit. La guerre en Syrie n’est pas le résultat d’une stratégie internationale, mais la révolte d’un peuple désespéré après des décennies de dictatures. Les acteurs régionaux ne se sont impliqués, chacun selon son style et ses intérêts, qu’après le déclenchement de la révolte et de la répression qui la suivit qui a ouvert la voie aux islamistes, l’arme de la Turquie et des pays du Golf. Pour le Hezbollah, il s’agissait de protéger sa profondeur stratégique que lui assurait le président Assad. Il en fut incapable seul, car il refusait d’admettre que la révolte, même de la frange la plus barbare de l’opposition au régime nourrie au wahhabisme, est conséquente à quarante années d’humiliation. Il fallut l’intervention russe pour empêcher l’effondrement du régime. Le résultat est lamentable. Stabilisation des fronts, l’Amérique avec les Kurdes surveillent la frontière avec l’Irak, Israël bombarde sans retenues tout convoi suspect d’être destiné au Hezbollah. L’Iran jusqu’au déclenchement de la guerre, était seul maître du jeu en Syrie. Aujourd’hui il doit composer avec la Turquie et la Russie, qui n’ont pas les mêmes objectifs que lui. Le défilé des dirigeants politiques et religieux irakien en Arabie Saoudite, s’il n’indique pas un changement radical d’alliance, signifie au moins que la tutelle qu’exerce l’Iran en dehors de ses frontières peut être jugée déstabilisatrice même pour une population qui lui est acquise.
Au lendemain de la guerre de 2006, grâce à la réaction démesurée et non coordonnée d’Israël à la provocation du Hezbollah et à l’héroïsme des combattants libanais, celui-ci n’avait engrangé que des bénéfices. Les milliards de dollars pour la reconstruction, l’embellie économique, le statut inégalé depuis Nasser de Sayed Hasan Nasrallah dans l’ensemble du monde arabe, avaient effacé la douleur des morts et de la destruction.
Aujourd’hui il n’en est rien. L’économie est en berne et les chiites qui en sont encore le maillon faible, souffrent le plus. La soupape des emplois dans les pays du Golf se ferme de jour en jour et l’Iran ne peut s’y substituer. Sayed Hasan Nasrallah est rétrogradé au rang de terroriste. Plus de 1500 combattants ont été tués et des milliers d’autres blessés au nom de la préservation du territoire libanais, alors qu’il n’a fallu que quelques jours au Hezbollah pour déloger les islamistes du jurd d‘ Ersal et que l’armée a fait la preuve qu’elle pouvait s’en charger.
Les chiites libanais au contact quotidien de leurs concitoyens, se rendent compte qu’ils parlent la même langue, vivent de la même façon. Sauf qu’ils se battent, ne vivent pas uniquement d’expédients, de petits boulots, d’assistances divines. Certains fondent des Start-Up, d’autres font du théâtre et de la musique, exportent leurs savoirs et leurs arts. Ils n’habiteraient jamais à Hay el Selom et ne mourront pas inutilement en Syrie.
Ceux sont ces Libanais la qui viendront à bout de l’utopie de Hezbollah, ce ne sera ni la démission du Premier ministre ni son retour aux affaires.
Amine Issa
05/02/2017