La Nation juive se déchire
Soixante-dix ans séparent ces deux phrases.
« L’État d’Israël assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ». La déclaration d’indépendance d’Israël, 1948.
« Israël est la patrie historique du peuple et les juifs ont un droit exclusif à l’autodétermination nationale » la loi État-nation, 2018.
Il ne s’agit pas de reprendre la dispute sur les droits de deux peuples sur une terre, mais d’observer la régression mentale d’une nation, la nation juive, vers une forme d’enfermement, le ghetto dont elle a été sans doute celle qui a le plus souffert dans l’histoire de l’humanité. Très brièvement, au cours des siècles, en Orient et encore plus en Occident, les juifs ont été relégués, au mieux dans des quartiers qui leurs étaient exclusifs, au pire enfermés dans des zones géographiques, voir massacrés et ou expulsés hors des frontières. Ce n’est que lorsque la notion de liberté de conscience dans le sillage de la révolution des Lumières a été portée comme valeur universelle dans le cadre naissant des États-nations, que les juifs ont, pour la première fois de leurs existences, senti s’alléger le poids de leurs identités religieuses.
Puis il y eut la Seconde Guerre mondiale, qui elle a failli éradiquer la nation juive, la Shoah cette apocalypse de la bestialité, a été pour l’ensemble de l’humanité et ses valeurs humanistes une éclipse dont elle aurait pu ne jamais se remettre.
Paradoxalement les fondateurs de l’État d’Israël, tout en chassant un peuple de sa terre, voulaient au sein de leur nation perpétuer les valeurs humanistes qui se déclinaient à l’époque dans les programmes de parti dit de « gauche ». Ils avaient bien compris qu’elles étaient le seul rempart contre les replis identitaires qui avaient failli les faire disparaitre à tout jamais. Ils les combinèrent avec le messianisme juif circonscris dans un moment de l’histoire et pas à sa fin, au rassemblement du peuple sur une partie de la terre promise. C’est ainsi qu’ils proposaient au Palestinien, resté dans les frontières de 48, les mêmes droits que ceux des juifs.
Mais au lieu de réparer l’injustice de départ, l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens, ils se sont enfoncés dans son déni, refusant toute réparation, encouragés par le refus des Arabes de toute négociation. Ces mêmes arabes qui par ailleurs n’autorisèrent jamais les palestiniens refugiés chez eux à s’implanter à Gaza sous occupation égyptienne ou en Cisjordanie que le royaume hachémite avait annexé. À partir de 1967 ils se sont lancé dans une politique de colonisation à Gaza, Cisjordanie et dans le Golan, qui s’est nourri d’elle-même et a abouti en 2018 à cette phrase de la loi Etat-Nation « Les implantations juives relèvent désormais de l’intérêt national. L’Etat prendra les mesures pour encourager, faire avancer et servir cet intérêt ».
Mais qu’elle est cette nation qui repousse sans cesse ses frontières ? Comment pourrait-elle les fixer quand les colons sont devenus le point nodal du futur d’Israël et avouent, pour certains d’entre eux, des appétits bibliques, d’un Israël qui irait de l’Euphrate au Nil ?
À défaut de frontières matérielles, d’autres, invisibles, traversent désormais la société israélienne. Entre orthodoxe et réformistes, entre nationalité d’origine, Ashkénaze, Séfarade, Mizrahi, Russe, Ethiopien etc. entre arabes, redéfinit depuis quatre ans comme une nation, et juifs, entre ceux qui produisent et font le service militaire et ceux qui refusent de s’enrôler et ne font que commenter la Thora, entre ceux qui admettent les femmes comme leurs égales et ceux qui veulent les cloitrer, entre ceux qui non aucune retenue à fréquenter l’autoritaire antisémite Victor Orban président de la Hongrie du moment qu’il s’en prend aux musulmans et qu’il professe un nationalisme identitaire de la pire espèce et ceux qui y voient la résurgence d’une Europe hostile aux juifs, entre ceux qui se battent pour les droits des homosexuelles et ceux qui interdisent la Gay Pride. Mêmes les liens avec les juifs américains majoritairement libéraux se distendent. La Nation juive retrouve sa terre, mais se déchire, l’exil devient intérieur.
Israël est une trop petite et jeune nation pour se permettre de telles frontières. De surcroît le ciment de la menace extérieure sur son existence s’est dilué, devient impropre à sceller les parties détachées. La menace intérieure elle se traduit par cette évolution du terrorisme dont les actes sont perpétrés par des juifs. D’abord celui sioniste pour la création de l’état d’Israël contre les anglais et les arabes jusqu’en 1948, puis israélien en représailles contre le terrorisme palestinien et aujourd’hui celui juif contre l’état d’Israël qui veut le détruire au prétexte qu’il n’applique pas exclusivement la loi religieuse. Des terroristes de cette dernière mouture sont actuellement jugés, soutenus ouvertement par des manifestants à l’extérieur du tribunal dans l’indifférence générale.
Amine Issa
05/08/2018