Désespèrent seuls ceux qui n’écoutent pas et ne savent pas
L'air du temps s'engouffre évidemment dans les esprits proportionnellement au vide qu'il y trouve, la culture consiste le seul filtre efficace, Lucien Jerphagnon (De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles).
Les Libanais sont communément divisés en trois groupes selon leurs convictions politiques. Il y’a ceux qui se rangent dans le sillage du Hezbollah et du CPL et défendent l’alliance avec l’Iran et la Russie et ceux qui se rangent dans l’orbite américano-saoudienne, à leur tête les Forces Libanaises et avec plus de nuance le PSP. Il y’a enfin les Libanais qui veulent sortir par le haut de cette binarité en renvoyant dos à dos les deux précédents et leurs affiliations étrangères. Ce sont les activistes, politiciens, députés et partis issus de la Rupture du 19 octobre 2019.
Cette division tripartite en cache une autre plus prégnante qui se situe sur un plan psychologique individuel et de groupe. Cette autre division replace les Libanais dans deux groupes distincts ; ceux qui sont encore partisans des six grands partis et que je qualifierais d’acteurs passifs, et ceux qui ont effectué une maturation individuelle se voulant désormais acteur agissant dans la sphère politique.
Pour illustrer mon propos, je reviens sur la journée du 30 octobre, ou le président sortant Michel Aoun quitte le palais présidentiel. La foule scandant sa fidélité éternelle à l’homme providentiel, reprenait les propos de celui-ci, tant pour ce qui est de son empêchement par les « autres » de réaliser son programme, que son inventaire de réalisations fictives. Entre le président et la foule s’insérerait les députés et responsables de son parti qui à l’appui de leurs notoriété, autorité, pouvoir et mandat, accorder une couche de vraisemblance au propos du président.
Ce serait il s’agit d’un autre chef des six grands partis quittant ses fonctions, la représentation aurait été pareil.
Il s’agit bien d’une représentation particulaire. La foule, un acteur qui joue un rôle qu’on lui a suggéré. Mais à force d’autosuggestion elle se l’est approprié, confondant rôle et réalité. La foule croit à ce que dit le chef, non pas par conviction raisonnée, mais sous l’effet d’une propagande réfléchie, par désespoir et ignorance. Je m’explique.
Pour la propagande on a suffisamment disserté sur les techniques des partis confessionnelles a joué de la peur de l’autre pour empêcher toute tentation d’un citoyen partisan de renoncer à son affiliation politico-communautaire sensée le protéger. Cette technique ayant encore fonctionné aux élections législatives de 2022. Les dirigeants de ses partis, réconfortés par leurs résultats, ont renoncé à toute remise en question, reconnaissance d’une part de responsabilité dans l’effondrement de l’économie. Face à la gronde généraliser, ils avaient été un temps, déstabilisé, fait preuve d’une certaine humilité et accepté de porter une part de responsabilité tout en matraquant la sempiternelle « c’est les autres » qui sont les fautifs. Au lendemain des élections plus rien de tout cela, une assurance sans faille dans leur bon droit et plus que jamais ils se présentent comme la solution, dussent-ils mentir effrontément sur leurs réalisations.
Les politiciens libanais ne sont pas les seuls dans cette pratique du mensonge systématisé. Des dirigeants tels Donald Trump, Jair Bolsonaro, Ebrahim Raissi, Nicolas Maduro y sont abonnés. Ils ont menti sur l’économie, l’écologie, le bienêtre social, le Covid 19, tout en attribuant les dysfonctionnements à « l’autre » fut-il interne ou externe. Dépendamment du degré de liberté politique dans ses pays, ces dirigeants se maintiennent ou été sanctionné. Ils n’en restent pas moins que leurs partisans continuent à croire à leurs mensonges.
Et c’est là ou j’en viens après l’émetteur des mensonges au réceptacle, les citoyens. Pourquoi les croient-ils encore ? Au Liban, en plus je l’ai dit de la peur de l’autre, il y’a comme partout ailleurs deux éléments qui alimente cette croyance, le désespoir et l’ignorance.
Les Libanais ont vécu à leurs façons le dérèglement des normes politiques et économiques qui régissaient la conduite de leurs pays un demi-siècle auparavant. À la sortie de la guerre civile, ils ont été délestés de toute participation active réelle à la vie politique. Celle-ci étant d’abord régi par l’occupant syrien, ensuite par les partis installés par celui-ci, au sein uniquement dès qu’elles pouvaient militer les Libanais. Au départ de l’armée syrienne, le retour des Forces Libanaises et du CPL, n’a pas apporté de changement radical. Le président sortant et le chef des FL ont intégré le système en place dans un léger remaniement du paysage politique et une redistribution des revenus de l’État sous forme de clientélisme exacerbé et de corruption.
Cette démission forcée de toute activité politique, renvoya les Libanais à leurs affaires, dans la foulée de l’effort de reconstruction, du relancement de l’économie et son corollaire la consommation. Cette frénésie fut abreuvée par des centaines de milliards de dollars « importés », de crédits abondants, de financements internationaux à chaque alerte sur la balance des payements. Bref une euphorie dont personne ne voulait ou ne savait qu’elle était appuyée sur une dette insoutenable, une gestion calamiteuse de l’argent public et un modèle économique vicié. Les Libanais n’ayant en tous les cas aucune prise sur cette politique ou les moyens de la sanctionner.
Quand l’effondrement eut lieu, les Libanais se retrouvent face à deux interlocuteurs. Ceux qui les ont menés à la faillite et les activistes et partis de la Rupture. Les premiers ayant causé le désastre ne pouvaient et ne pourront amener de solutions. Les autres pour l’instant, minoritaire et donc sans pouvoir réel ne sont pas en mesure d’en imposer. D’où consciemment ou pas, le désespoir profond et aveuglant des Libanais.
Devant cette impasse, ne pouvant se résoudre à accepter leur réalité, pour ne pas perdre pied définitivement, ils sont enclins à se projeter dans une fiction dans le fol espoir qu’elle devienne réalité. Incapable de se résoudre à avoir presque tout perdu, ils s’accrochent aux promesses mensongères de redressement qu’assènent sans fausse honte leurs dirigeants. Et pour renforcer cette autosuggestion, ils accordent le crédit nécessaire aux réalisations factices de ces dirigeants. Au bout de cette logique de désespoir face à un interlocuteur contradictoire et retors, ils leur restent comme dernier argument « vous verrez si on les laisse faire ».
Pourquoi ces Libanais en sont-ils arrivés là, à ces artifices pour que le désespoir ne les engloutisse pas ? C’est certes tout d’abord l’instinct de survie commun à chacun de nous. Mais pourquoi se traduit ‘il par une fuite de la réalité et de ce qu’il convient de raisonnablement de faire pour lui tordre le coup ? Je l’ai expliqué plus haut, l’élévation du mensonge au rang de vérité par les hommes politiques. Leur diffusion massive par les réseaux sociaux qui dans l’imaginaire collectif sont des sources d’informations véridiques. Mais cela ne serait pas suffisant pour opérer une telle mystification si l’ignorance et la paresse intellectuelle, au Liban et ailleurs, n’avaient engourdi les esprits. Paradoxalement, si le niveau de l’instruction s’est élevé les dernières décennies, celui de la curiosité a régressé. L’hyperspécialisation technique et la suffisance de de celle-ci pour améliorer notre niveau de vie, nous a détourné de la nécessité de toute autre connaissance plus générale, ou de culture sociale et politique, nous contentant de poncifs, raccourcis que l’on peut trouver au bout d’un clic sur une souris d’ordinateur, reléguant le bon sens au rang de curiosité. La paresse s’est installée alors que le monde se complexifie. On ne lit plus, on ne s’interroge plus, on ne doute plus, on ne débat plus on se chamaille. Cela est suffisant pour que, déstabilisée, on croie aux affabulations que l’on veut bien nous servir.
C’est la ou je termine avec ma distinction de deux groupes de Libanais en début du texte. Le premier que je viens de décrire et un autre, particulièrement les jeunes du camp de la Rupture. Pour un grand nombre d’entre eux, ils ne ce sont pas contenter de lancer la révolte du 19 octobre par opposition à un système faillit et pour certains de ressortir des antiennes éculées et inopérantes comme solution de rechange. Il est un fort pourcentage qui en plus d’une conscience aigüe de la défectuosité de notre système politique et des particularités du corps social différencié, ont réfléchi, ce sont renseignée, consulter, libéré du suivisme politique générationnelle, débattue entre eux sur ce qui pourrait être une ou des solutions pour construire un état, fonctionnelle, juste et prospère. Ils ont été traités d’hurluberlus, de novices par les cyniques qui ne croient qu’au rapport de forces, qui s’ils ont une réalité, laissée à eux même détruise tout. Il n’en reste pas moins que conscient de la réalité et sa laideur, imperméables aux mensonges, ce sont les seuls à porter une proposition qui peut aboutir à un renversement curatif.
N'est-ce pas les mêmes qui en Israël et en Iran dans des contextes et mode de luttes différentes, s’élèvent autant contre des régimes faillis que contre les opposants traditionnels, en Israël l’OLP et le Hamas, en Iran les religieux dits « modérés », pour avancer leur vision de leur avenir ?
Écoutons-les.