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citoyen libanais
5 mai 2018

7 mai, le jour d’après

Source: Flickr

La composition des listes électorales est révélatrice de la déshérence des partis traditionnels. Excepté le Hezbollah dans ses fiefs et dans une moindre mesure Amal, les candidats qui se retrouvent sur une même affiche sont un attelage hétéroclite avec comme seul dénominateur commun la capacité de mobiliser des voix et de l’argent, les deux le plus souvent allant de pair. Ce n’est plus de la realpolitik, mais de la ploutocratie. Exit les programmes et les principes. Un souverainiste s’allie avec le PSNS, des membres du 14 et du 8 ripaillent ensemble, des individus condamnés pour crimes sont absouts pour la «cause», les parangons de la vertu s’affichent avec un pestiféré, certains qui avaient juré ne jamais s’acoquiner avec d’autres, sont frappés d’amnésie, le propriétaire d’un cheptel attend le dernier quart d’heure pour décider à qui vendre son réservoir de voix. Bref, l’éthique politique déjà élastique est catapultée suffisamment loin pour enterrer toute honte loin des regards. Néanmoins, les hommes politiques ne sont jamais à court d’idées pour nous amuser. Nous étions habitués à «fils de». Comme la politique au Liban est avant tout une affaire commerciale et qu’il est rentable de faire des diversifications horizontales, verticales et voir diagonales, nous avons désormais «fils de et co». Le frère, le gendre, le neveu, le beau-frère, l’épouse, etc. Comme les places sont comptées et les appétits féroces, on a vu un fils se présenter contre son père, un aîné contre le cadet, les valeurs familiales se perdent! Il n’y a que la femme de ménage qui a gardé sa dignité et qui a refusé des actions dans la nouvelle société.

J’ai indiqué dans un article précédent comment la demande de changement à laquelle devait répondre l’offre des réformateurs a été déçue. Les nouveaux venus, car beaucoup ne méritent pas le qualificatif de réformateurs, s’avérant autant voraces et individualistes que les anciens.

Le Liban et les Libanais dans tout cela, un détail.

Mais c’est justement ce détail qui sera le grain de sable qui grippera la machine à sous qui nous déleste de notre capital. Une frange considérable de Libanais, une fois la loterie électorale terminée, va rejoindre ceux qui croient déjà que rien à changer sauf pour le pire. De nouveaux invités au banquet avec les incontournables jamais rassasiés vont vouloir racler les fonds de caisse de l’Etat pour continuer leurs commerces. Navires électrifiés qui transforment le fioul en commissions, poubelles aux miasmes changés en or.

Qui est ce grain de sable? Personne et des femmes et des hommes.

Personne, est la dynamique protestataire et réformatrice à mon avis irréversiblement engagée et qui ratisse large. En deux mots, nombreux sont ceux qui n’avalent plus de couleuvres et beaucoup de ceux qui s’en nourrissent encore, le font parce qu’ils ont faim, mais ne rêvent que d’une chose, de cracher sur la main qui les nourrit et les humilie. D’autant plus que ces couleuvres se raréfient vu la faillite de l’Etat et la dégradation continue des services publics.  

Contrairement aux défaitistes, le Liban n’est pas la Syrie qui oscille entre la tyrannie et la barbarie. Le Liban n’est pas que les aboyeurs au service ou fascinés par l’Iran ou l’Arabie Saoudite. Tous les Libanais ne rêvent pas de missiles intercontinentaux, d’islamiser le monde selon un des deux modèles du moment, n’attendront pas la parousie du Mehdi, ont depuis longtemps autorisé les femmes à conduire et ne comptent pas exclusivement sur un pétrole qui bientôt ne vaudra plus le prix de son extraction. Ces Libanais sont ces hommes et ces femmes de tous les milieux, entrepreneurs dans les nouvelles technologies, dans l’intelligence artificielle, qui investissent dans le nouveau capital qu’est l’information. La classe politique même si elle émaille son discours de référence à ces nouveaux paramètres qui changent la face du monde, n’y comprennent rien, ne savent pas combien ils sont porteurs de changement dans la redistribution du pouvoir au sein des sociétés. Ils sont arcboutés à leurs anciens schémas de rapports de pouvoirs faits d’alliances tactiques, d’allégeances féodales et confessionnelles, de déploiements de fier-à-bras et de capitaux financierx. Même les deux modèles, l’Etat providence au service de la classe politique et celui de l’aide à caractère communautaire sont concurrencés par l’entrepreneuriat social tant au niveau du principe de l’expression de la solidarité que de son effectuation.

Bien évidemment, l’ancien modèle est loin d’être mort. Les mentalités bougent lentement et il reste un reliquat de crédit pour acheter des allégeances et des consciences.

Tout ce que je veux dire, est que les Libanais sont loin, très loin d’être désarmés.

Alors que faire? Je me risque à de la politique fiction.

Le 7 mars le Liban va se retrouver avec une chambre sans majorité claire. Une grande moitié de députés seront affiliés aux trois blocs, Hezbollah-Amal, CPL et Futur. Une petite moitié, celle des «embarqués» par ces trois blocs dont l’allégeance, après leurs élections, est plus que douteuse, et quelques réformistes des vrais et des faux. Le CPL se trouvant à la charnière des députés Hezbollah-Amal et Futur qui ont des intérêts divergents, chaque projet de loi, ou arrêté ministériel du prochain cabinet nécessairement d’unité nationale, cette hérésie, donnera lieu à des négociations de marchands de tapis entre ces trois blocs, avec l’obligation d’aller chercher des voix chez les «embarqués» et les faux réformistes. Au final, un Etat soit paralysé, soit des décisions qui voulant ménager la chèvre, le chou et surtout le porte-monnaie, seront contreproductives.

Une occasion pour que la dynamique citoyenne ne chôme pas. Forte de ses compétences, elle devra engager une lutte de longue haleine pour autant dénoncer l’incurie de la classe politique que de proposer des alternatives. C’est la première étape du renversement qui permettra au Liban de traverser les quatre prochaines années sans dégâts irréversibles et rendez-vous est pris pour 2022. C’est une lutte multiforme, dans la rue, les médias, les pétitions, les élections sectorielles et surtout la constitution d’une «masse» critique de protestataires autour d’un véritable collectif citoyen à plusieurs voix mais ne s’exprimant que d’une voie. Ce qui n’a pas été possible avant les élections, tant cette dynamique était encore balbutiante et l’appât d’un siège au parlement dénaturant, le sera après le 6 mai. Le pouvoir n’est plus en mesure de traiter les opposants par le mépris. Il devra céder et réviser sa copie, car au-delà de la protestation le système est à bout de souffle. Lors des harangues électorales les soucis des libanais étaient totalement absent, seuls furent mobilisés les instincts de survie communautaire dont l’impact n’est plus ce qu’elle était.  Un système sourd, aveugle et incompétent ne peut que reculer. Il suffit d’observer ceux d’Arménie et du Nicaragua ces deux dernières semaines pour s’en convaincre.

Amine Issa

06/05/2018

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Commentaires
S
La reconstruction d'une collectivité déchirée, fragmentée, mais désirant avec pragmatisme un rassemblement, une nouvelle cohésion, obéit à un principe simple, l'entrée en action d'une personnalité capable de rallier une par une toutes les factions concernées. Car le désir collectif n'existe pas en tant que tel. C'est un désir individuel qui convainc les autres, un temps suffisant pour réaliser le rassemblement durable.<br /> <br /> Je ne vois pas d'autre solution, même si cet homme (plus sûrement qu'une femme) n'est pas encore connu, et reconnu.
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