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citoyen libanais
13 mars 2022

Ukraine : la faute est à l’occident, mais elle n’est pas celle que l’on croit.

Source: Flickr

L’agression de Vladimir Poutine, n’a aucune justification géostratégique ou économique.

A la fin des années 90, l’OTAN a commis l’erreur de se déployer à l’Est, ce qu’a critiqué Georges Kenan pourtant le père de la doctrine du contingentement de l’Union soviétique. Interrogé par Thomas Friedman du New York Times il regrette ce déploiement à son sens inutile face à une Russie affaiblie après la chute de l’URSS. D’ailleurs ce déploiement n’a pas empêché la Russie de s’en prendre à la Tchétchénie, à la Géorgie, à l’Ukraine et à la Moldavie en encourageant le séparatisme de régions et à la prise de la Crimée, sans que l’OTAN ne prenne la moindre mesure pour l’y faire renoncer. L’Occident lui imposa des sanctions économiques limitées dont elle s’est rapidement remise. Et, bien loin de ses frontières, la Russie s’est déployée en Syrie, en Libye et aujourd’hui au Mali à l’aide de ses mercenaires de l’organisation Wagram.

Économiquement, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale il est admis que la guerre n’est plus le meilleur moyen de s’enrichir. La Chine, pourtant dirigée par un président ultranationaliste et à l’affut de Taiwan, n’a pas comme Poutine l’aurait espéré applaudi son invasion. Même l’Iran en conflit ouvert avec l’Occident « comprend » les craintes de la Russie aux menaces du Grand Satan, ce qui est de bonne guerre, mais appelle à la fin des combats et à une solution diplomatique. La Russie elle, même si elle n’a pas reconstruit son économie productive sauf celle de l’armement et se contente de vendre au monde son gaz, son pétrole et ses matières premières, ne peut se permettre de se couper du monde comme autrefois l’Union soviétique. Les Russes et ses oligarques sont durablement contaminés au mode consommatoire de l’Occident. Son économie est dépendante de la technologie importée. La Russie ne peut pas se replier sur elle-même telle la momie coréenne du nord à une époque où l’interconnexion des peuples et des systèmes économique et culturelles a atteint un point de non-retour.

Mais alors qu’est-ce qui a motivé Vladimir Poutine à s’engager dans cette guerre ?

On avance son souhait de donner aux Russes une victoire symbolique pour flatter leur sentiment de grandeur, qui lui permettrait de modifier la constitution pour se représenter en 2024. Cette victoire devrait compenser une économie à la traine (La Russie occupe le cinquante-troisième rang mondial pour le PIB par habitant pour un pays qui se considère la seconde puissance mondiale). Mis à part une frange restreinte de la population, les Russes dont le sort s’est certes amélioré depuis la disparition de l’URSS, restent un peuple pauvre et observent contraint les inégalités se creuser.

Une autre raison est suggérée, la peur de la contagion de l’Ukraine si proche culturellement, mais qui depuis 2014 a pris le chemin de la démocratie.

De même il est dit que le président russe est entouré d’une cour de « Raspoutine » complotistes, des anciens du KGB, qui le coupent de la réalité et le poussent à l’aventurisme. Connu sous le nom des « Siloviki », ce sont des ultranationalistes pour qui les  dirigeants ukrainiens sont de non-humains, la Russie détenant une supériorité morale sur l’Occident accusé de vouloir légalisé la zoophilie et en perpétuelle embuscade pour détruire la Russie.  

Mais est-ce suffisant pour expliquer cette agression dont les perspectives sont pour le moins incertaines ?

Je ne le crois pas. Je retiens les trois derniers arguments et y ajoute ce qui les a vraisemblablement démultipliés pour pousser le président russe à l’aventure : Un Occident économiquement dominant qui a trahi son modèle de fonctionnement que le monde, après la chute du mur de Berlin voulait copier, totalement ou partiellement.

Partiellement comme la Chine ralliée à l’économie du marché, qui n’a plus de communiste que le nom et les modes de répression. Également des régimes autoritaires au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie acquis également à ce système, sans être libéraux toutefois, peinent à survire pour avoir négligé la construction de leur appareil de production et sont perpétuellement en ébullition. D’autres, tels des pays de l’Europe de l’Est, d’Afrique et des deux Amériques centrales et du Sud, ont adopté le libéralisme politique et économique.

Mais ce modèle a commencé à être vicié dans son aire d’origine, c’est-à-dire l’Europe et les États-Unis. Le siècle des Lumières avait entamé une rupture épistémologique en ramenant l’individu au centre de l’univers, faisant de lui la seule finalité et lui rendant la maitrise de son destin. Au vingtième siècle, des avancées sociales importantes ont été acquises même si inégalement des deux côtés de l’atlantique grâce aux luttes sociales que permettaient la démocratie.

Il a fallu quelques siècles ponctués de reculades, de trahison de ces principes pour y parvenir. Trahison quand il s’agissait de traiter les peuples colonisés. La déshumanisation de l’individu qui atteint des sommets avec les deux guerres mondiales, les deux régimes de Mao et de Staline et de leurs avatars de moindre ampleur telle Pol-Pot et la dynastie des Kim en Corée du Nord.

A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, un retournement sur ses principes s’est mis de nouveau en place. 

D’abord dans des pays où la gauche a enfin pu prendre le pouvoir. Réputée éthique, pourfendeuses de l’égoïsme de la droite et de sa supposée propension à la corruption par le copinage des élites et son néocolonialisme économique, la gauche n’a pas tardé à pratiquer ces travers. Un mode de gouvernement que désormais tous les régimes qu’ils soient de nouveau de droite ont adopté sans état d’âme. Plus encore, la droite confrontée par cette trahison de la gauche n’a pas tardé à ressusciter son conservatisme le plus sombre sous le nom du néo-libéralisme économique et reprenant ses manies impériales.

Malgré des avancées spectaculaires de la science et particulièrement dans le domaine de la baisse des coûts de production, la plus-value n’a pas été équitablement distribuée. Si le niveau de vie général s’est amélioré, les inégalités se sont creusées au point d’obscurcir les effets positifs de l’amélioration et a créé un sentiment de frustration. De plus les déréglementations de tout genre et la levée des barrières à l’utilisation des outils financiers, ont créé des riches, mais pas de richesse et le retour de bâton de la crise de 2008 à ruiné des millions de citoyens leurrés par le crédit facile et les bonds de sauterelles des bourses. Non seulement les agences de notation des entreprises financières qui ont fait faillite n’ont pas été punies d’avoir mentit sur leurs évaluations, mais les PDG n’ont pas payé le prix de la faillite généralisée, certains ont même reçus des compensations astronomiques.

En même temps les majors de la communication qui eux dissèquent nos faits et gestes, au-delà de nous pousser à la consommation ont détruit l’intimité que le combat pour l’individualité de tout un chacun face à l’envahissement des traditions des sociétés prémodernes. Par le harcèlement, les fausses informations et des « faits alternatifs » ils ont entamé l’autonomie de chaque citoyen à penser, sentir, croire, agir qui ont permis un développement tant de la personne que des sociétés.

Grâce à l’image diffusée jusqu’à dans des lunettes annoncent-on bientôt, circule sans frein une violence sublimée depuis que l’agression physique et verbale ne sont plus des interdits répréhensibles au nom de l’intégrité de l’individu. Je veux pour cette dérive cité le film d’Oliver Stone « Natural Born Killer » ou un couple se déplace d’une ville à l’autre, tue sans raison. Barbarie contemporaine haussée au niveau d’une œuvre d’art par le talent du réalisateur. Une autre chute de l’éthique civilisationnelle qui souffrit des siècles de la dévaluation de la vie.

En même temps une politique migratoire non contrôlée et couplée avec la capacité des pays hôtes d’intégrer des citoyens d’autres cultures, a provoqué des malaises de sociétés dans ces pays. Par besoin de bras, des millions d’émigrés du Sud ont été accueillis, et quand la mécanisation de la production les a rendus inutiles, ils furent parqués loin des yeux dans des banlieues ou le trafic de stupéfiants devenait pour beaucoup le seul moyen de survie. Par lâcheté et manque d’intelligence, ces zones ont échappé à l’état de droit et on nourrit la haine entre autochtone et émigrés eussent-ils obtenus la nationalité de leur pays d’accueils.

Enfin les invasions et occupations de longues durées de l’Afghanistan et de l’Irak, la complaisance envers des régimes dictatoriaux, ceux qui ont dans le golf nourri l’hydre du salafisme jihadiste, l’intervention tronquée en Lybie et la non-intervention en Syrie qui ont abouti à la destruction de ces pays.

Tous ces facteurs à divers degrés ont fait émerger en Occident des partis politiques et des rhéteurs tenants un discours d’exclusion et de repli national, parfois financé et souvent indulgent à l’égard du président russe. Cette dérive s’est aggravée quand de grandes nations démocratiques telles les États-Unis, l’Inde et le Brésil ont élu des présidents populistes et xénophobes qui n’ont, à part le prétexte du bouc émissaire, aucune vision pour réparer les dysfonctionnements de leurs sociétés. Plus grave encore ses dirigeants ont accordé des certificats de bonne conduite à des dirigeants autoritaires tels Vladimir Poutine, Recip Tayyip Erdogan et même Kim Jong-un.

Gorgée aux hydrocarbures de la Russie et aux produits bon marché de la Chine totalitaire, ils ont laissé ces deux pays sans autre chose que des protestations verbales, tué la démocratie à Honk-Kong, menacé sans répit Taiwan, laissé la Russie occupée directement ou par des satrapes des pans des territoires géorgien, ukrainien et moldave. Sans oublier que malgré quelques mesures symboliques Israël continue sans férir à nier les droits politiques les plus élémentaires du peuple palestinien, ni la politique à géométrie variable à l’égard des Kurdes, un peuple malmené par quatre régimes qui, à part l’Irak défait, ne veulent leur reconnaitre aucune autonomie.

Toutefois cet occident malade reste l’horizon incontournable. Son système économique est encore le plus solide par sa capacité d’innovation et la liberté d’entreprendre. Culturellement l’Occident continue par ses productions de qualités variables à dominer. Même la démocratie est singée dans les pays autoritaires ou l’ont imaginé pas une prise de pouvoir sans respect de la constitution et le vote, même si la première est contorsionnée et le vote contrôlé. Il fut un temps, celui du triomphe du communisme, ou l’URSS rivalisé par la science avec l’Occident, promettait l’égalité absolue et l’abondance de biens. Son modèle séduisit des peuples entiers et l’Occident accéléra ses réformes sociales pour ne pas perdre la main. Mais quelques décennies plus tard et à la chute du Mur de Berlin les regards ont changé de direction.  Sauf quand cet Occident se trahit lui-même, bafoue en société, économie, droit international et celui des peuples, les règles qu’il a lui-même établies après des siècles de luttes et évolution de la pensée, peut-il reprocher à Vladimir Poutine, dont l’ADN est l’héritier de deux empires tyranniques de ne pas les respecter ?

Telle est la faute de l’Occident, avoir par ses renoncements donné un blanc-seing à un régime qui a si peu d’inclinaison à s’embarrasser de principes démocratiques, de retenu expansionniste et de respect de l’individualité de tout un chacun, de son intégrité physique à la liberté de choisir son destin.

Aujourd’hui un événement est advenu qu’on avait plus connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Un état autoritaire qui envahit une démocratie. Ce précédent s’il reste impuni aura des conséquences désastreuses pour l’ordre mondial. Quelle que soit la stratégie arrêtée, l’Occident démocratique doit forcer Vladimir Poutine à se retirer sans conditions humiliantes pour l’Ukraine ou concessions à sa souveraineté. Cela servira de leçon aux autocrates tentés de l’imiter. Sinon il y’a fort à parier que le prochain a réclamé une sécession en Europe sera le serbe Milorad Dodik en Bosnie-Herzégovine enfant chéri et grand admirateur de Vladimir Poutine.

En même temps l’Occident doit entamer sa régénération, corriger toutes ses dérives. L’échec de Donald Trump et sa possible poursuite en justice pour avoir enfreint les fondements de la constitution américaine sont un signe encourageant tant est grande l’influence de ce pays.

 

Commentaires
F
Analyse riche et claire. Pour autant, la Russie de Poutine est déjà allée trop loin dans sa guerre en Ukraine. Si l’Occident avait voulu l’arrêter, il aurait dû agir de façon préventive. Dans la situation présente, il n’y a que deux possibilités: la victoire de Poutine (et ses conséquences terribles pour les temps à venir) ou son incapacité à réaliser son objectif au prix de la destruction du territoire ukrainien et du massacre de sa population. L’occident est frileux, il a peur d’affronter un adversaire aussi bien armé que lui. La terre revit les années terribles 1936-1938, quand le chantage à la guerre et les réticences à y aller n’ont pas empêché la grande boucherie. Jours sombres en perspective…
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