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citoyen libanais
20 janvier 2021

La présidence Trump et le legs de la « défiance systématique »

Source: Flickr

Depuis quatre décennies une inquiétante polarisation qui fait de leur système démocratique majoritaire, au lieu d’une alternance policée et une collaboration bipartisane quand cela est nécessaire, une guerre de tranchées. Cependant, ce mouvement s’est considérablement accéléré durant les quatre années de présidence de Donald Trump, jusqu’à amener l’Amérique au bord de l’affrontement interne, dont les scènes terribles de l’invasion du Capitole du 6 janvier – qui valent au milliardaire de faire face à une seconde procédure d’« impeachment » – constituent sans doute le point culminant. Un climat renforcé par certaines de ses prises de position à l’extérieur, notamment lorsqu’il a fait l’apologie des dirigeants de « démocraties illibérales » – en réalité des autocraties masquées – particulièrement en vogue depuis le retour des replis identitaires et de la montée des xénophobies.

« Vérité relative »

Plus largement, la présidence Trump aura été marquée par le règne des « faits alternatifs » (« alternative facts »), popularisés dès janvier 2017 par sa conseillère Kellyanne Conway pour justifier l’assertion selon laquelle les partisans réunis la veille au Capitole constituaient « la plus grande audience à avoir assisté à une investiture ». Une donnée pourtant démentie par des méthodes de comptage éprouvées. Depuis, tout son mandat s’est déroulé sur le ton de ce que l’on pourrait qualifier de « défiance systématique » vis-à-vis des faits. Il a méthodiquement récusé ou relativisé toutes les vérités climatiques, sanitaires, économiques et sociétales. On se souvient de ses généralisations mensongères sur les musulmans et les Hispaniques, sa défiance infondée sur la question du climat, ses assertions démenties par les chiffres sur l’économie et la justice sociale, son entêtement à dédramatiser les effets ravageurs de la pandémie du Covid-19, tant sur la santé que sur l’économie. Autant de coups de boutoir contre la recherche de la vérité via la confrontation d’opinions basées sur des faits. Au doute méthodique de Descartes, qui constitue un effort intellectuel pour permettre l’émergence d’une vérité incontestable, du moins jusqu’à ce qu’un nouveau paradigme construit scientifiquement vienne corriger ou remplacer le précédent, la « défiance systématique » oppose une « vérité relative », construite à partir d’une pulsion morbide pour semer le trouble et saper de fait les fondements de la démocratie.

Ce comportement prend toute son ampleur dramatique pour l’Amérique et le monde quand il s’agit de son racisme qu’il nie avec candeur et son soutien aux suprémacistes blancs souvent quand il ne les dénonce pas clairement. Le racisme est la plaie de l’Amérique, sa faute originelle depuis sa création par des protestants venus d’Europe qui ont fondé cette attitude sur d’obscurs versets de la Bible. Le souci égalitaire de la nation américaine s’est toujours heurté au racisme, mais depuis, un long chemin a été fait pour dépasser cette contradiction. Avec Trump, le présage formulé il y a cinquante ans par Claude Julien a semblé soudainement se réaliser : « Ce jour-là, elle (l’Amérique) serait exposée à la tentation, peut-être irrésistible, d’élaborer un autre rêve fondé sur un racisme qu’elle jugerait impossible de déraciner ou de surmonter » (L’Empire américain, 1969). Certes, Donald Trump pour se dédouaner se prévaut d’une morale religieuse qui lui interdirait tout racisme. Mais elle est celle élastique des évangélistes les plus radicaux, ses conseillers spirituels qui mélangent affaires frauduleuses, quand ils soutirent sans aucune charité les économies des crédules et menacent d’enfer les contrevenants aux bonnes mœurs. « Les indifférents ont un empressement merveilleux à être tracassiers au nom de la morale, et nuisibles par zèle pour la vertu ; on dirait que la vue de l’affection les importune, parce qu’ils en sont incapables ; et quand ils peuvent se prévaloir d’un prétexte, ils jouissent de l’attaquer et de la détruire. » Tout indique que tant dans la conduite de ses affaires privées que dans son mandat, Trump semble bien avoir fait sienne cette maxime de Benjamin Constant (Adolphe, 1816).

Commencement

Son refus de dénoncer clairement les suprémacistes blancs regroupés en milice armée ne peut être compris que comme un encouragement : « Stand back and stand by » (« Reculez et tenez-vous prêts »), avait-il ainsi lancé fin septembre 2020 aux Proud Boys, un groupe extrémiste proche de ceux impliqués dans les troubles du 6 janvier. Sommet de duplicité ! On connaît également cette autre plaie des États-Unis qu’est la prolifération légale des armes de guerre. Le deuxième amendement permet ainsi la formation de milices pour protéger la sécurité d’un État libre. Ces milices patriotiques, nécessaires il y a deux siècles quand l’Amérique devait défendre son indépendance, deviennent avec Donald Trump une milice parallèle. Une milice composée de citoyens déclassés par la vague néolibérale destructrice d’emplois, de soudards et de petits délinquants, qui prétendent pour certains naïvement vouloir sanctuariser leur patrie face à la menace migratoire mondiale et le complot de « l’État profond ». Or, comme le soulignait Gide, « ce qui menace la culture, ce sont les fascismes, le nationalisme étroit et artificiel qui n’a rien de commun avec le vrai patriotisme, l’amour profond de son pays » (Retour de l’URSS, 1936). Ce n’est pas encore les gardiens de la révolution islamique, mais le principe est le même. Contourner les institutions pour imposer son point de vue quand les autorités militaires et policières refusent de réprimer les mécontents. Son apologie maquillée de la violence et son populisme ressemblent étrangement aux prédictions de Sinclair Lewis qui, dans son roman Impossible ici ! (1935), décrit un pouvoir autoritaire aux États-Unis. « C’est que l’intensité du regard de Windrip (le président dans le roman) n’était pas dirigée sur la foule prise en bloc, mais sur chaque individu en particulier : son regard parcourait lentement les gradins, du plus éloigné au plus proche, de telle sorte que chacun pouvait croire que c’était à lui, à lui seul, et en particulier, que Windrip parlait, et qu’il révélait des vérités et des faits importants et dangereux qui, jusqu’à présent, lui avaient été cachés. » Voilà comment Donald Trump s’est adressé aux déclassés pour obtenir leurs voix, les abreuvant de promesses qu’il n’a pas tenues, les remontant en vivifiant leurs instincts les plus bas, mentant sans vergogne.

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