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citoyen libanais
29 avril 2011

Itinéraire d’une communauté

Comme les autres familles spirituelles du Liban, les chiites en 1943 se sont joints à la République libanaise. Ils ne faisaient que confirmer leur appartenance à ce territoire, où leur présence est avérée depuis le VIIe siècle. Leurs droits, inscrits dans le Pacte et la Constitution, ne pouvaient, par les seuls textes et les bonnes intentions, rattraper des siècles d’ostracisme. Desservis par leurs représentants, qui fonctionnaient encore sur le mode moyenâgeux de la servitude, ils restaient en marge du développement. Dès les années 50 du siècle passé, ils épousaient les idées progressistes et nationalistes, dans l’espoir de tordre le cou à un système politique qui les ignorait. L’espoir fut de courte durée, à cause de l’irruption de la guerre civile, mais surtout grâce aux initiatives de l’imam Moussa Sadr. Celui-ci, un clerc opposé aux idées séculières, soucieux de renflouer une communauté dévalorisée, parvient à la doter d’institutions qui en faisaient l’égale des autres dans le partage du pouvoir politique et des prébendes de l’Etat. Disparu en 1978, son action fut prolongée par son successeur, Nabih Berry. Ce dernier renforça, à partir de 1990, la participation des chiites au sein de l’administration et dévia une partie des investissements de l’Etat au profit de sa région par le biais du Conseil du Sud. Ainsi, la communauté chiite rattrapait son retard dans le partage des ressources de l’Etat. Il lui manquait ses lettres de noblesse. Effectivement, les deux autres grandes communautés, maronites et sunnites, pouvaient se prévaloir d’avoir fait le Liban de la première République, par le biais du pacte de 1943. L’invasion du Liban par Israël allait permettre aux chiites de mener la seconde indépendance. Dix-huit ans de harcèlement, le Sud ravagé plusieurs fois, et 1271 martyrs, ont fini par avoir raison de l’occupation israélienne. Décidément pour l’armée israélienne, le Sud n’était pas le Golan. La banlieue sud, jadis zone de non-droit, se transformait en une extension de la capitale. Le Sud se reconstruisait à coup de millions transférés par les émigrés. Une classe moyenne chiite progressait au sein de la société, ses enfants fréquentaient les meilleures universités, investissaient les professions libérales, montaient des entreprises de toutes tailles. Ceux qui tenaient, autrefois, la porte de l’ascenseur social, le prenaient désormais. Certes, des zones interdites aux autorités persistaient, des quartiers entiers de la banlieue sud avaient été érigés illégalement et la Békaa restait miséreuse et sentait le soufre. C’était le reliquat d’un exode commencé en 1920 à partir du Sud, l’abandon des zones rurales par tous les gouvernements et, bien sûr, la guerre civile.

Le Akkar et la banlieue de Tripoli n’étaient pas logés à meilleure enseigne. Loin de l’éclat de Beyrouth, seules les régions qui avaient amassé un capital avant 1975, quoique fortement entamé, gardaient la tête hors de l’eau. Pourquoi alors cet élan sans précédent dans la progression d’une communauté, semble se briser aujourd’hui? Pourquoi en moins de cinq mois, l’image de cette communauté s’est soudain dégradée? Révélation d’achat massif de terrains appartenant à d’autres communautés, la nuit des chemises noires entraînant la chute du gouvernement, mutinerie à la prison de Roumié, menée par des trafiquants de drogue, routes coupées, tirs d’armes automatiques meurtrières à chaque apparition télévisée du leader du Hezbollah. Les débits de boissons sommés de fermer leurs portes à Nabatiyé, la Békaa repaire de tous les recéleurs de voitures volées. Le soutien prononcé apporté aux chiites du Bahreïn, qui subissent dans le silence et l’hypocrisie généralisée une répression sanglante, alors que l’insurrection en Syrie n’est  considérée que comme l’œuvre d’agents extérieurs. Et dernier épisode: les biens domaniaux envahis en deux semaines par des centaines de constructions illégales.

Il est nécessaire de signaler que la communauté chiite ne détient pas l’exclusivité de ces agissements. Pour ne citer que le domaine public, ce ne sont pas les chiites qui bétonnent impunément le littoral depuis des décennies. Mais rien n’explique cet emballement soudain, sauf une décision concertée des dirigeants de la communauté. Il est impossible de les croire impuissants et innocents. Par des manœuvres grossières et, pour de transitoires et pitoyables bénéfices politiques, ils ébranlent un édifice qui s’est construit à grand-peine sur sept décennies. Ils resteront responsables du préjudice moral qu’encourt leur communauté.

Amine Issa

L’Hébdo Magazine

29/04/11

 

 

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