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citoyen libanais
6 janvier 2016

Samir El Quntar, le résistant est mort à seize ans.

samir el kountar

En 1979, Samir El Quntar, libanais, seize ans, avec trois autres combattants du FLP (Front de libération de la Palestine) trois Syriens, ont exécuté l’opération de Nahariya. C’était un commando dans la droite ligne de l’esprit des révolutionnaires arabes pros palestiniens. Depuis la défaite de 1967, les régimes arabes avaient perdu toute crédibilité. Même l’OLP de Yasser Arafat, depuis son aventure jordanienne en 1970 et son implication dans la guerre civile au Liban à partir de 1975,  ne convainquait plus. Les jeunes arabes, élevés dans l’humiliation qu’étaient la création d’Israël et l’expulsion des Palestiniens parqués dans des camps, donner la priorité à la libération de la Palestine, au détriment des autres causes politiques telle la démocratie, et causes sociales, telle l’inégalité des classes. C’est dans cet état d’esprit que Samir El Quntar va rejoindre le FLP, un groupe dirigé par des Palestiniens, mais incluant dans ses rangs des combattants de toutes nationalités arabes. Le jeune résistant, qui refuse de participer aux combats au Liban, a déjà à son actif une première infiltration en  Israël qui échoue et lui vaut un passage dans les geôles jordaniennes. Quand on lui propose de mener l’opération à Naharia, il exulte. Il est promu au grade de lieutenant et il dirigera le commando alors qu’il est le plus jeune des quatre participants. L’opération va porter le nom de l’icône des Arabes, Gamal Abdel Nasser, qui malgré la défaite de 1967, reste celui qui a défié Israël le premier et qui est mort avant les grandes manœuvres diplomatiques qui mèneront aux divers accords officiels et officieux entre l’état hébreu et les pays arabes. Le but de l’attaque est de tuer des militaires israéliens et d’enlever d’autres, ou des civils pour les échanger contre des prisonniers palestiniens. Après un débarquement réussi sur la côte de Naharia, un soldat israélien est tué, un autre le sera lors des accrochages et un père et sa fille sont amenés au bord de la plage.

Le commando ne reprendra pas la mer, il est cerné. Deux combattants sont tués, deux autres, dont Samir El Quntar sont blessés, et celui-ci avant de se rendre va abattre un des otages et la fille de quatre ans va également mourir. Ici les versions sont divergentes. Les Israéliens affirment que Samir El Quntar a tué l’otage de sang-froid et la petite fille en la frappant avec le canon de son fusil. S’il reconnait dans son livre (1) où il raconte son histoire après sa libération, avoir tué l’otage, il affirme que c’est parce que celui-là ne cessait de crier et de diriger les soldats israéliens. Quant à la fille il nie l’avoir tuée et que c’est un tir israélien lors des combats féroces qui l’aurait atteint. Même si la version israélienne est vraie, je ne crois pas que Samir El Quntar l’ait tuée de sang-froid. Quand on compare les objectifs assignés à l’opération et la tactique utilisée, on se rend compte de l’extrême amateurisme de ceux qui l’ont préparé, ou de leurs intentions cachées pour qu’elle échoue. Toujours est-il que Samir El Quntar, a appliqué à la lettre le plan sans se douter un instant qu’il n’avait aucune chance de réussir. De plus, son âge et son inexpérience, malgré tout son enthousiasme, ne pouvaient lui permettre malgré son assurance de se dégager de l’impasse où il était tombé face à une armée professionnelle, qui n’a à aucun moment hésitée à attaquer le commando sous un déluge de feu, tout en sachant que deux otages étaient entre leurs mains. Si Samir Al Quntar a tué la petite fille, c’est vraisemblablement dans un moment de panique, de démence passagère face à une situation qu’il ne contrôlait plus, peut être excédé par les cris de la victime terrorisée. Si cela ne fait pas de lui un tueur de sang-froid, son acte est sans l’espace d’un doute celui d’un criminel, quelle que soit la justesse de la cause qu’il défendait.

Samir Al Quntar sera torturé et condamné à la prison à perpétuer plusieurs fois, la peine la plus lourde qu’Israël pouvait lui infliger. Il restera trente ans en prison. L’état hébreu, grâce au manque d’intelligence ou au cynisme des dirigeants palestiniens, en sortira vainqueur, du moins pour son image d’un état de droit. Un combattant qu’elle aurait pu légitimement tuer au combat, a droit à un procès et au cours de son incarcération pourra même faire des études universitaires. Certes les prisons israéliennes tout en étant brutales, ne le sont pas autant que celles des régimes arabes, mais pendant trente ans de détention le prisonnier va avoir le temps d’observer toute la duplicité de ses geôliers. Pas à son égard, mais à celui des Palestiniens emprisonnés. Leur chiffre varie, entre six milles et dix milles selon les années. Beaucoup sont des « prisonniers administratifs ». C’est-à-dire qu’ils peuvent passer des années en prisons sans être jugés. Eux et les autres, à part ceux qui ont tué des Israéliens, soldats ou civils et qui sont une infime minorité, sont des résistants qui n’ont jamais tiré un coup de feu. Des lanceurs de pierres, des résistants aux expulsions de leurs maisons sous des prétextes fallacieux, à l’arrachage d’oliviers dans les champs par l’armée israélienne, des opposants à la colonisation de la Cisjordanie, aux vexations aux points de contrôle, au blocus économique, au détournement de l'eau pour irriguer les plantations des colons. La liste est sans fin. En résumé, sont incarcérés tous ceux qui refusent d’être apatrides et réclament le droit d’être libres dans ce qui reste du territoire de leurs pays. Trente ans à observer les victimes de l’occupation et de l’injustice, derrière les barreaux, à observer l’indulgence pour Israël des grandes nations et la démission des pays arabes, sont garants de la déshumanisation de quiconque. Ne nous leurrons pas, Nelson Mandela est une exception.

Un autre acteur pour d’autres raisons a contribué à la déshumanisation de Samir El Quntar. Le Hezbollah. Le parti à mener une résistance légitime contre Israël qui avait envahi une partie du Liban. La libération de la Palestine a été également un de ses objectifs déclarés. Mais tant que le sol Libanais été occupé, le Hezbollah ne pouvait mener ce second combat dont d’ailleurs il n’avait ni les moyens, ni l’autorisation politique de la Syrie, ni celle et les moyens de l’Iran. Quand en 2000, Israël se retire, le Hezbollah fait face à d’abord à une volonté silencieuse et après le départ de l’armée syrienne en 2005, exprimé au grand jour, de voir sa force militaire démanteler. Le Liban ne peut devenir une nation souveraine, tant qu’un parti détient des armes et décide seul quand les utiliser contre Israël. Si l’armée libanaise n’a pas l’exclusivité de la défense du territoire, le Liban restera une nation en sursis. Mais le Hezbollah n’est pas sensible à cette logique. Après l’assassinat de Rafic El Hariri, le retrait syrien, la manifestation du 14 Mars, le Hezbollah, aussi fort par ses armes qu’il soit, est gêné. Ses parrains le sont également. La Syrie après l’invasion de l’Irak, à laquelle elle refuse de participer, est inquiète et les sanctions contre l’Iran se mettent en place. La guerre de 2006 est sur le plan interne un désastre pour le Hezbollah. Les Libanais ne comprennent pas l’utilité de cette guerre et contestent plus encore sa possession d’un arsenal et sa liberté d’action. Le Hezbollah a besoin d’une nouvelle légitimité. Samir El Quntar, va faire l’affaire. Le Hezbollah a toujours tenté d’obtenir sa libération, cause palestinienne oblige, mais mollement. Des échanges de prisonniers et de cadavres avec Israël ont déjà eu lieu. Mais Israël n’a jamais voulu le relâcher et le Hezbollah n’a jamais insisté. Après 2006, il devient l’élément central de l’échange. Il n’est pas le seul à être libéré, mais on ne retiendra que son nom, tant le Hezbollah va capitaliser médiatiquement sur son nom et derrière lui la cause palestinienne qui est désormais son nouveau prétexte pour justifier son refus de désarmer. De son côté Israël est obligé de céder. La guerre a été pour elle également un désastre, Tsahal a été humilié par la résistance héroïque des combattants du Hezbollah. La récupération des deux soldats aux mains du Hezbollah devient un impératif pour sauver la face de l’armée et du gouvernement. Samir El Quntar est libéré et amène avec lui d’Israël une haine qui occupe tout son être. Il est reçu en héros, personnellement par Sayed Hassan Nasralah qui n’apparait jamais en publique, dans une mise en scène spectaculaire et devant toutes les caméras du monde, au nom de la cause palestinienne. Il est ensuite pris en charge par le parti, qui va lui organiser sa vie privée. Il se convertit au chiisme et le secrétaire général du parti convainc la famille réticente de sa future femme d’accepter qu’il l’épouse (2). Il mènera ensuite une campagne médiatique, organisée par le parti, où il va louer le Hezbollah comme la seule organisation qui se soucie encore de libérer la Palestine.

Quand le Hezbollah s’engage en Syrie pour combattre les hordes d’islamistes, ceux-là ne sont pas son seul objectif, on l’a vite comprit. Ses calculs stratégiques dépassent le seul souci de protéger les chiites. La Syrie de Bachar el Assad est la base arrière du parti, là où l’Iran peut sans aucune gêne lui livrer les armes et l’entrainement dont il a besoin. Le régime de Damas, qui est hypothéqué à l’Iran et le front du Sud Liban tenu par le Hezbollah, sont deux cartes maitresses que Téhéran détient face à ses adversaires, arabes et occidentaux. Le régime syrien ne doit pas tomber, dussent-ils être remplacés par un régime laïque, démocrate ou même sunnite modéré opposé à une paix avec Israël. Mais cela le Hezbollah ne peut le reconnaitre officiellement. Bachar El Assad est paré de toutes les vertus du résistant à Israël, il est un des remparts du front du refus. Et qui mieux que Samir El Quntar, incarne la cause palestinienne ? Celui-ci après trente ans de prison et de conditionnement par le Hezbollah, est envoyé en Syrie. Malgré son inexpérience militaire, on lui confie le commandement d’une milice affilié au pouvoir et il est en charge du front qui jouxte le Golan Syrien occupé par Israël où les islamistes sont implantés. Samir El Quntar, qui à seize ans s’était engagé dans FLP, pour la seule raison qu’il refusait les compromissions des organisations palestiniennes qui s’étaient ramollies au contact du pouvoir et de l’argent, était alors prêt à mourir pour réparer l’injustice faite aux Palestiniens. Le voilà en Syrie, complice d’un régime qui assassine son peuple, le voilà qui défend un pouvoir dictatorial qui pendant quarante ans a humilié son peuple, renonçait à la moindre opération contre Israël, tué plus de Palestiniens que l’état hébreu, a  démantelé quand il occupait le Liban toutes les capacités de combat des organisations palestiniennes.

Samir El Quntar, chef de commando à seize ans n’est pas celui qui est mort à cinquante-deux ans. Israël et le Hezbollah, en ont fait un autre homme, s’il en était encore un. Il est certes un cas particulier, la mort d’une petite fille qu’on lui attribue alors qu’il n’était qu’un adolescent, son long emprisonnement et sa libération spectaculaire. Mais combien sont-ils ceux qui subissent des conditionnements de cette sorte, par la déconsidération, l’endoctrinement, la déshumanisation par la perte de leur dignité fut-elle physique, économique ou par la confiscation du statut d’acteur social ou politique ? Nous le voyons avec Daech au Moyen-Orient, avec la montée du nationalisme xénophobe en Europe. Combien sont-ils ceux qui deviennent des meurtriers dont la neutralisation, n’est qu’un report du prochain attentat ?

 

Enfin, un dernier mot sur l’élimination de Samir El Quntar par l’aviation israélienne. Les échos suite à sa mort sont tous unanimes. On n’applaudit pas la disparition d’un complice de Bachar El Assad, mais de celui qui n’aurait jamais dû quitter la prison. Certes Samir El Quntar a mérité la peine qu’il encourait. Mais libéré de prison, Samir El Quntar était aux yeux de la loi, réhabilité. L’instance qui l’avait condamnée à la prison à vie, a accepté de le laisser partir, pour des raisons qui sont peut-être contestables moralement, mais qui bénéficient de la légitimité d’une juridiction souveraine et inattaquable sur le plan de la loi. Que le parent d’une des victimes refuse cette décision et décide de l’assassiner, jugeant sa libération insupportable, n’est pas un acte complètement condamnable. D’ailleurs dans des cas similaires, l’assassin bénéficie de circonstances atténuantes et sa peine est moins sévère que prévu pour un meurtre crapuleux. Mais qu’un état se soustrait à la décision de ses tribunaux, et par son bras armé, ici son aviation, revient sur le droit de vie et de liberté qu’elle a accordé, la frontière entre la justice et la vengeance se perd et l’anarchie s’installe.

 

Amine Issa

16/02/2016

 

1-Kosati, Samir El Quntar, Dar Al Saki , pages 50 & 90.

2-The Daily Star, 31/12/2015. http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2015/Dec-31/329649-a-look-inside-the-life-of-hezbollahs-slain-commander.ashx?utm_source=Magnet&utm_medium=Entity%20page&utm_campaign=Magnet%20tools

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Commentaires
S
Les médias français ont parlé de ce combattant palestinien tué par une action ciblée de l'aviation israélienne. Il en était déductible que les israéliens le considéraient toujours comme dangereux pour eux, puisqu'ayant repris les armes.<br /> <br /> Les francs-tireurs, quelque soit la justice de leur cause, ne bénéficient pas des lois de la guerre. Le droit commun leur est appliqué. Les geôliers savent bien qu'ils ne se reconnaissent pas comme criminels, et ne reviendront pas à de bons sentiments. Il a pris une valeur d'échange, et les israéliens l'ont relâché contre un des leurs.<br /> <br /> Sa captivité n'était pas une peine, mais son maintien hors de combat.
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