Le Liban n’a pas besoin de thaumaturge
Il y a au Liban deux grands électeurs : Le Hezbollah et un club hommes d’affaires.
Le premier, conséquent avec son idéologie, ne souhaite qu’une direction administrative du Liban, pour profiter de ses services. Toute forme de gestion politique qui puisse construire une personnalité citoyenne, si bancale soit-elle, est à contrecarrer. Tout ce qui peut séduire ses partisans et les détourner du projet de république islamique, seul garant à leurs yeux d’une société plus juste en l’absence de l’imam occulté, est à contrarier. Il ne faut pas se juger la réalisation de ce projet à l’aune du facteur temps. Dans la mythologie chiite, celui-ci possède une valeur différente que celle que lui accorde les autres libanais. L’attente de la parousie du Mahdi depuis bientôt onze siècles, sans en douter un seul jour, module leur rapport au temps.
Le second est un club d’hommes d’affaires, qu’il ne faut pas confondre avec la classe d’entrepreneurs sur laquelle je reviendrais. Les membres de ce club politiquement transversal sont, soit proches du pouvoir, soit en font partis. Ils se partagent les adjudications de l’état. Protégés, ils délivrent des projets ou des services de mauvaise qualité, bénéficient de passe-droit quant aux diverses taxes, réclament et obtiennent lois et règlements au bénéfice de leurs investissements qu’ils préfèrent à court terme. Associés à une classe politique qui n’a aucune vision, leurs bénéfices doivent être réalisés rapidement et facilement expatriés si nécessaire.
Ces deux électeurs ont en même temps éprouvé l’urgence de suspendre le délitement des institutions, la gabegie d’une administration au seuil du collapsus et l’effondrement de l’économie.
Comme je le disais plus haut, le Hezbollah ne souhaite qu’un état à minima. Mais il a estimé que la situation tant économique que sécuritaire devenait dangereuse. Ne l’oublions pas, la communauté chiite est encore le maillon faible de l’économie et c’est elle qui souffre le plus de la crise, l’Iran n’ayant plus les mêmes largesses. De plus la situation dans la Bekaa nord est devenu explosive, Sayed Hasan Nasrallah lui a consacré, fait rare, une longue intervention télévisée. En causes, les trafics en tout genre entre les villages chiites et la Syrie, dont celui de voitures qui ont transportés des explosifs destinés aux attentats perpétrés dans la banlieue sud, les vols et agressions, l’impunité des trafiquants de drogues, surtout leurs résistances, parfois violente, au parti qui ne peut plus les contrôler. Cette intervention faisait écho au cri d’alarme des tribus du Hermel, réunies solennellement pour dénoncer le délitement des règles sociales séculaires aux profits de celles des hors la loi.
Le second électeur est lui, tétanisé par la perspective de l’écroulement de ses investissements immobiliers dont il tire une partie substantielle de son profit et de la paralysie de l’état qui a gelé tous ses projets. Les nominations aux postes vacants au sein de l’administration, relais nécessaire pour la redistribution partisane des services et des passe-droits, sont suspendues.
Je parle de grands électeurs libanais. Les acteurs régionaux et internationaux, sont conscients que les querelles libanaises sur la personnalité du président ne relèvent que de calculs d’influences sans portées réelles sur le visage du pays. Il leur importe que le Liban ne sombre pas dans l’anarchie et n’ajoute encore une inconnue à une équation régionale suffisamment compliquée à gérer. Redonner aux institutions un pas de marche même boiteux, leur suffit.
Voilà comment, le Général Aoun, qui avait cristallisé tous les antagonismes, s‘est retrouvé dans la stature du rassembleur, mais autour d’un festin de prédateurs, dont le chef de rang, le président de la chambre distribue les plats, dussent-ils refroidir quand un boudeur conteste bruyamment sa portion et retarde l’ouverture du banquet.
Aux scènes de liesse populaires qui ont suivies l’élection de l’homme providence, va rapidement succéder la désillusion. Le nouveau président et notre système politique n’en sont pas les seuls responsables. Le désespoir des citoyens et leur manque de culture politique l’est tout autant. On ne fait pas du neuf avec de l’ancien.
Mais un gouvernement, aussi inefficace soit-il, qui réactive le train de l’état et qui donc agit et s’expose, est une opportunité pour l’activité politique. Je me répète peut-être, mais demandons-nous : que peut-on faire quand on n’a pas encore le pouvoir ? Par une politique de pression permanente. Cela est efficace et possible. Les moyens sont multiples et nous en avons surtout les capacités humaines. C’est là où je voudrais revenir aux entrepreneurs que je citais plus haut. Dans la jungle qu’est la gestion du pays et malgré l’incertitude du lendemain, des entrepreneurs qui croient encore que le Liban est un atout, réussissent et parient sur l’avenir. Je citerais deux exemple. Celui d’un ami qui a hypothéqué jusqu’à la bicyclette de son fils pour monter dans la Bekaa un projet agricole unique au Moyen-Orient, tant par sa taille que les techniques qui y sont utilisées. Il n’en attend pas un retour sur son investissement avant dix ans. L’autre, est celui de ces plateformes digitales qui embauchent des centaines de jeunes libanais talentueux, ce qui démontre la qualité de notre enseignement. L’intérêt de ces plateformes est de réduire l’émigration et d’exploiter dans l’innovation qui est l’économie de demain, notre principal capital, l’humain. A cet égard Toni Fadel, dirigeant chez Apple, dans une tribune du Nahar (1), se penche avec admiration sur ces entreprises de nouvelles technologies. Il constate avec amertume la défaillance des infrastructures qui freinent leurs développements. Mais en même temps les solutions qu’il propose ne demandent ni thaumaturge, ni un renversement de régime. Il suffit de coordonner un mouvement de pressions de citoyens pour les obtenir. Elles et d’autres sont à portée de notre volonté.
Sinon, espérons que le Général continue à faire rêver ceux qui perdront petit à petit le sommeil, ou patientons jusqu’au retour du Mahdi…dans une maison vide.
Amine Issa
27/11/2016
1-Al Nahar, 19/11/2016