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citoyen libanais
7 janvier 2018

Jérusalem, dites-le avec des pierres

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Quelles sont les conséquences immédiates de l’annonce par Donald Trump du transfert de l’ambassade de son pays à Jérusalem sur le processus de paix et le conflit israélo-palestinien? Aucune. Le premier est moribond. Israël depuis les accords d’Oslo, les dénonce tous les jours en multipliant les colonies et ne laisse aux Palestiniens qu’une autonomie de survie pour qu’il n’ait pas à supporter tout le poids financier de la gestion de ce bantoustan. Les Palestiniens, surtout le Hamas, les arabes, la Turquie et particulièrement l’Iran avec le Hezbollah, iront-ils jusqu’à déclarer la guerre à Israël? Je ne le crois pas. Est-il un moyen de le contraindre à laisser émerger un Etat palestinien viable avec Jérusalem Est comme capitale, à démanteler à cet effet des colonies? C’est possible.

Je m’explique. Israël est Sparte et Athènes. Sparte, car ses habitants sont peu nombreux, n’admet pas d’étrangers et possède une armée redoutable. S’il était attaqué, il répliquerait avec une très grande violence, ce dont il a les moyens. Les destructions qu’il infligerait à ses ennemis seraient de loin supérieures à ce qu’il subirait. Israël, après la guerre de 2006, connait mieux ses ennemis et en première ligne le Hezbollah. Si celui-ci s’aventurait à lancer des roquettes qu’il dit posséder par dizaines de milliers et engagé ses combattants aguerris, il faut prévoir un scénario tel celui de 1982 à la puissance dix. Une invasion en profondeur et des destructions massives pour la couvrir. Ce ne sera pas une promenade. Le Hezbollah n’est pas l’OLP, mais il risque d’être irrémédiablement défait et le Liban ne s’en remettra pas. Quant à la communauté internationale, si les États-Unis n’interviennent pas, et n’interviendront vraisemblablement pas, auprès d’Israël, celui-ci ne s’arrêtera pas en chemin.  L’Iran et le Hezbollah le savent. Les Arabes empêtrés dans leurs querelles sont hors-jeu. La Syrie n’est plus qu’un cloaque, l’Irak est gouverné par une myriade de milices et de prédateurs, l’Égypte au bord de la faillite n’ira pas au feu tout seul, Ankara encore moins. Quant au Hamas, à Gaza qu’Israël a transformé en un mouroir collectif, il peut en lançant des roquettes qu’accélérer la descente en enfer des survivants.

Mais comme je le disais, Israël est également Athènes, une démocratie, mais dont tous les habitants, fussent-ils originaires de la cité, ne jouissent pas de tous les droits du citoyen. Ainsi en va-t-il en Israël des Arabes qui sont restés après l’exode de 1948, aujourd’hui un peu moins que deux millions de personnes et qui détiennent la nationalité israélienne. Et je ne parle pas ici des 4 millions de Palestiniens de Cisjordanie et Gaza qui sont eux citoyens d’un pays rêvé, détenteur d’un passeport qui a moins de valeur qu’un ticket de métro. Certes, on pourra toujours avancer qu’en refusant le plan de partage de la Palestine en 1947, les Palestiniens sont responsables de leur sort. Que l’histoire des nations au Moyen-Orient et ailleurs est la réalisation de la volonté des vainqueurs, en l’occurrence en Palestine, celle de l’Occident de diviser ce territoire entre deux peuples. Mais c’est vite oublier que les Israéliens n’ont, eux aussi, jamais voulu de ce partage. David Ben Gourion, premier chef de gouvernement du nouvel Etat ne disait-il pas dès 1937«Après la formation d’une grande armée suite à la création de l’Etat, nous abolirons le partage et nous occuperons toute la Palestine» (1)?

Le leurre d’un Etat démocratique, où tous ses habitants seraient des citoyens égaux, n’a duré que dix-neuf ans, quand les dirigeants d’Israël étaient des hommes de gauche, laïcs, qui portaient la parole du socialisme et du progressisme et qui impressionnaient tant le monde par leurs courages et leurs ténacités à faire émerger un Etat moderne dans un environnement hostile.

En 1967, suite aux provocations inconséquentes d’Abdel Nasser, Israël envahit Jérusalem Est, la Cisjordanie et Gaza. Grisé par sa victoire, il ne mesure pas les conséquences de l’évènement. Seul Moshé Dayan aura une remarque qui passera inaperçue et pourtant si prémonitoire.  Devant le mur des Lamentations, il réagit à l’enthousiasme d’un de ses officiers par : « pourquoi aurions-nous besoin d’un tel Vatican » (2). Le contrôle de la Judée et de la Samarie, nom biblique des territoires occupés, et de l’emplacement supposé du temple, va ranimer l’appétit des religieux pour le rétablissement du royaume d’Israël. Le réveil de l’islam politique après la défaite du nationalisme arabe, la révolution iranienne et son slogan de l’annihilation d’Israël, l’encouragement du Hamas en sous-main par les Israéliens pour faire pièce à Yasser Arafat, et les contradictions insurmontables d’une démocratie ségrégationniste, vont renforcer l’identité religieuse de l’Etat et amener les gouvernements successifs à céder des pans entiers de leurs prérogatives aux religieux orthodoxes. Ceux-là, dans tous les gouvernements, imposent la séparation des hommes et des femmes sur certaines lignes de bus, dans certaines rues, interdisent la plupart des activités le samedi ainsi que les photos de femmes sur les publicités à Jérusalem. Ils refusent de partager avec les religieux réformateurs la gestion des affaires civiles dont les mariages et le contrôle de la judaïté des immigrés, ainsi que le contrôle de l’accès au mur des Lamentations. Ils mènent une résistance acharnée pour éviter aux étudiants des Yeshivas de faire le service militaire et obtiennent la création de bataillons qui leur sont réservés où les femmes sont évidemment exclues. Cette même contradiction, une démocratie ségrégationniste, va pousser des centaines de milliers d’Israéliens, pour y échapper, à basculer dans l’extrémisme pour s’assurer une posture idéologique rationnelle. Si la démocratie et xénophobie sont un mélange indéfendable, autant se rabattre sur une vision biblique et inattaquable de l’État d’Israël. L’exclusion des Palestiniens de la citoyenneté est désormais justifiée par Dieu. Ceux qui ne veulent pas verser dans la vision théocratique et adopter le mode de vie des religieux sans pour autant reconnaître les droits des Palestiniens, ont trouvé un juste milieu dans le nationalisme religieux, un mélange de croyance biblique qui croit à la judaïté de l’Etat et encourage la colonisation, tout en essayant de rester en phase avec l’évolution de notre temps par le biais de la rationalité scientifique dans les modes de production économique et de gestion sociétale. J’ai deux fois utilisé le mot rationalité et l’oppose à celui de raisonnable. Car le raisonnable ne peut être résumé à l’utilitarisme rationnel sous-entendu par une idéologie discriminatoire.  

Les Israéliens qui sont dans l’opposition sont conscients que leur société se défait et se consume de l’intérieur. Sur le plan de la gestion de l’Etat, la politique des compromissions bat son plein. À chaque concession accordée aux religieux, ceux-là ferment les yeux sur les scandales de leurs alliés au sein du gouvernement. Les malversations qui poursuivent le premier ministre ne sont que la partie visible d’une corruption qui se généralise. Depuis un mois, des milliers d’Israéliens qui se présentent comme Etat «ni de droite ni de gauche» sont dans la rue tous les samedis pour protester contre le délitement de l’Etat de droit. Beaucoup plus grave est cette observation d’un journaliste israélien, Uri Misgav, qui met en garde contre l’effondrement même du sionisme, à l’origine de la création d’Israël. Cet État, dit-il avait été imaginé et créé pour que les juifs n’aient jamais plus à justifier leurs croyances, à la cacher, à la subir comme une charge. Or, Israël est dit-il devenu le pays où l’appartenance au judaïsme, a ses diverses tendances est devenu le sujet le plus polémique qui attise la haine. Tsahal, le pivot inoxydable d’une nation menacée par ses voisins, «l’armée la plus morale au monde», tire et tue aujourd’hui un lanceur de pierre dans une chaise roulante. Elle perd ses moyens quand une adolescente gifle un soldat. Celle-ci est arrêtée la nuit à son domicile par une unité militaire armée comme pour affronter un commando de terroristes!

Faut-il que les Palestiniens prennent les armes, lancent à partir de Gaza des roquettes, fassent exploser des voitures piégées parmi des civils, applaudissent à une éventuelle intervention du Hezbollah? Je ne pense pas, et ce, pour deux raisons. D’abord, Israël à montrer sa capacité à réduire ces incidents à un niveau acceptable et possède une force de frappe et une supériorité en armement de loin supérieure à tous ses ennemis. Deuxièmement, Israël qui doit sa force entre autres à l’opinion occidentale, accroîtrait son capital de sympathie auprès d’elle si elle était attaquée de front, ce qui se traduirait par un support diplomatique et des aides massives en armement.

Il faut pour les Palestiniens mettre en avant les contradictions de l’Etat hébreu et cela ne peut se faire que par une révolte des pierres avec Israël dans le rôle de Goliath. Si celle de 1988 a abouti aux accords d’Oslo qu’Israël n’a pas respecté, celle d’aujourd’hui aurait un effet bien plus dévastateur dans une société aussi polarisée et irréconciliable et l’obligera à céder aux Palestiniens leurs droits au risque d’imploser. De surcroît, les actuels révoltés ne se reconnaissent ni dans le Fatah ni dans le Hamas, ce qui les rend plus redoutables, car autonomes et donc moins sensibles aux tentatives d’apaisement. Aux États-Unis, les jeunes juifs se sentent de moins en moins concernés par Israël et évitent de discuter du conflit israélo-palestinien, tant celui-ci les embarrasse  et est contraire à leurs convictions libérales. Des attentats meurtriers feraient taire leurs scrupules, une révolte des pierres les renforcerait. Quand on connaît le rôle des États-Unis pour la survie d’Israël et celui de la communauté juive, il serait plus efficace de pousser l’Etat hébreu à la faute. Pour le malheur de celui-ci, la jeune file qui a giflé le soldat israélien, Ahed Tamimi, est blonde comme les blés et a les cheveux aux vents, on est loin d’une kamikaze en tchador qui révulserait l’opinion occidentale. À l’aire de la communication et de l’émotionnelle, l’image de cette jeune fille à laquelle peuvent s’identifier les Occidentaux est plus destructrice qu’un obus. Mais il faudra aux Palestiniens pour vaincre de la persévérance dans leur révolte. À mon sens, ils n’ont pas d’autre choix.

 

 Amine Issa

07/01/2018

 

1- Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, John Mearsheimer et Stephen Walt, La Découverte, page 106.

 

2- Au nom du temple, Charles Enderlin, Seuil, page 22.

Commentaires
S
J'approuve tout à fait votre vision de la dérive religieuse de l'État d'Israël, et du blocage qui en résulte, les forces conséquentes des palestiniens puisant aussi dans la religion et son totalitarisme, les raisons de combattre sans concession. Seuls les rapports de force maintiennent cette guerre sans mouvements. La raison n'a pas de place face aux religions, qui sont des raisons particulières.<br /> <br /> Vous voyez dans les défauts de la société israélienne les prémices d'un effondrement permettant un mouvement favorable aux palestiniens. Je ne suis pas sûr que la démocratie israélienne se laissera prendre dans ce piège. Elle réagira plutôt contre les religieux, les remettant à leur place.<br /> <br /> J'ajoute que "l'histoire sainte", le livre de l'exode, a, très tôt dans le conflit, servi d'armement moral aux combattants juifs. Les exploits de leurs lointains ancêtres les ont accompagnés. Quant aux religieux, ils n'ont pas hésité à présenter la reconquête de Jérusalem comme le signal de la réconciliation entre Yaveh et son peuple.<br /> <br /> Comme dans bien d'autres pays trop religieux, les états s'occupent des corps, et les religieux des cerveaux. La Raison y perd forcément.<br /> <br /> Sceptique
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